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Le Cholestérol : ce faux coupable !

par | 25 Sep, 2023 | 0 commentaires

Souvent, pour juger du risque cardio-vasculaire d’un patient on pratique la mesure du taux de cholestérol, des fractions « LDL » et « HDL », du taux de triglycérides et de la glycémie à jeun. Avec un succès équivalent, on pourrait lire les lignes de la main. Explications…

LE BOUCHON DE GRAISSES…

Une grande théorie a longtemps eu cours concernant la pathogénie et l’étiologie de l’athérothrombose. Elle partait de ce que l’on voyait à l’œil nu, l’infiltration lipidique (la fameuse strie lipidique constituée de cholestérol). Quand le dépôt était suffisamment gros, il pouvait boucher les artères. Cette conception a conduit à la diabolisation du cholestérol, et à la vogue des aliments « cholesterol free » aux Etats-Unis, où pourtant l’incidence des maladies cardio-vasculaires n’a pas chuté. Cette théorie, la plus ancienne de celles qui ont été formulées par le corps médical, a la vie dure. Pourtant, elle n’explique que très partiellement le développement de la maladie cardiaque. De fait, le mythe du cholestérol perçu comme unique responsable de la maladie cardiaque ne résiste pas une seconde à une analyse précise des faits. En effet, la moitié des coronariens français n’ont pas de dyslipidémie, (c’est-à-dire d’élévation des taux de triglycérides, de cholestérol, ou des deux marqueurs simultanément). Face à ce constat qui s’est peu à peu établi, on a tenté de peaufiner l’analyse et on a évoqué le « bon » ou le « mauvais » cholestérol, avec des influences respectives très différentes sur le risque cardio-vasculaire. Dans l’esprit du public, il existe d’ailleurs deux types de cholestérol, et l’élévation de la fraction « LDL » (la mauvaise), est souvent vécue comme la conséquence du flagrant délit de délinquance alimentaire.

Pour comprendre plus précisément ce qui se joue, souvenons-nous que le cholestérol, en tant que molécule lipidique, n’est pas soluble dans le sang. Un peu comme de l’huile à la surface de la mer, il ne peut pas se mélanger dans l’eau. Or, il doit impérativement être apporté aux cellules, notamment pour participer aux multiples synthèses dont il est acteur : vitamine D, ubiquinone, hormones stéroïdes notamment. Alors comment faire ? L’organisme fait appel à des transporteurs, de la famille des protéines. Celles-ci ont en effet la particularité de comporter des parties hydrophiles et des séquences hydrophobes, leurs présences respectives dépendant de la structure des acides aminés constitutifs et de leur agencement sur la chaîne protéique. On devine comment ces protéines de transport interviennent. Le cœur hydrophobe se lie à des molécules lipidiques telles que le cholestérol mais aussi les triglycérides, les vitamines liposolubles ou encore les pigments des végétaux. La partie située à la périphérie, expose au contact du sang des acides aminés hydrophiles, dont certains seront même rendus encore plus acceptables au terme d’une réaction de « lissage » avec des glucides. C’est ce qu’on appelle la « glycosylation ».

Il existe différentes molécules protéiques transportant des lipides. Elles se nomment, pour cette raison, des « lipoprotéines ». Leur densité varie en fonction de la quantité de protéines et de graisses qu’elles renferment. On distingue ainsi les « LDL » (pour « Low Density Lipoproteins »). On l’assimile au « mauvais » cholestérol. Pourquoi ? Parce que la fraction »LDL » exporte le cholestérol du foie vers les tissus utilisateurs. Elle met donc en circulation le cholestérol. D’après la théorie ancienne, c’est un facteur défavorable. La fraction « HDL », à l’inverse, ramène le cholestérol des tissus vers le foie. Intervenant pour débarrasser en partie l’organisme du cholestérol excédentaire, ce « HDL » est considéré « protecteur », ce que la clinique et l’épidémiologie ont d’ailleurs confirmé. En risque relatif, la chute de la fraction « HDL » pèse plus lourd que l’élévation de la fraction « LDL ». Ceci peut surprendre nos lecteurs. Ils savent sans doute en effet que, comme le leur a expliqué leur médecin, un taux de LDL élevé est statistiquement associé à un risque relatif de maladie cardio-vasculaire plus fort, relativement à la possession d’un taux normal. Mais les connaissances acquises depuis une quinzaine d’années sur le déroulement des maladies cardio-vasculaires nous ont permis de comprendre que cette relation a davantage un caractère de corrélation et qu’elle ne décrit pas réellement une relation de cause à effet. De ce fait, la prise en charge optimale du risque de maladie cardio-vasculaire ne peut se contenter de faire appel à ces marqueurs simples. Alors auxquels se fier ? Un arrêt rapide sur des acquisitions fondamentales récentes va nous permettre de les exposer et de mieux cerner les enjeux de la prévention… 

UNE COURSE PAR ÉTAPES SANS VAINQUEUR…

L’histoire naturelle de la maladie cardio-vasculaire se scinde en 3 étapes qui peuvent s’étaler sur plus de 40 ans. En fait, elle évolue dans un continuum du sujet à risque vers le sujet exprimant la maladie. L’étape initiale est le dysfonctionnement endothélial, c’est-à-dire des anomalies dans le fonctionnement des vaisseaux sanguins. La mise en évidence de la perte de certaines fonctions bien précises des cellules de la paroi artérielle au cours de la maladie athéro-thrombotique, comme on dit aujourd’hui, a constitué un progrès majeur. Les implications cliniques de ce dysfonctionnement endothélial sont importantes et constituent un des axes majeurs de la prévention. Les grandes fonctions endothéliales vont être touchées très tôt (facteurs d’agressions), avant même l’apparition des 1ères lésions artérielles cliniquement détectables. La présence de molécules oxydées est un des facteurs clef de cette étape. Il va notamment s’agir des molécules de LDL oxydées. Mais il en existe d’autres, comme on va le voir en détail. Il est intéressant de noter que les triglycérides semblent également jouer un rôle dans ce dysfonctionnement endothélial.

· La 2ème étape est dominée par des réactions immuno-inflammatoires, facteur essentiel de la progression des lésions et de la formation de la plaque. A l’intérieur de cette étape, l’apoptose (mort cellulaire programmée) joue un rôle majeur, notamment dans la formation du futur thrombus.

· La 3ème étape inclut la rupture de la plaque et la thrombose. C’est à ce stade que l’athéro-thrombose devient vraiment une maladie.

De ce fait, on peut faire appel à divers marqueurs, représentatifs des différents stades d’évolution de la maladie. Il est également évident que la maladie athéro-thrombotique est plus que jamais une pathologie multifactorielle dans laquelle les lipides ne jouent pas un rôle exclusif. Ainsi, de très nombreux autres facteurs de risque vasculaires ont pu être authentifiés. Une altération de la capacité de l’endothélium d’induire une vasodilatation est également retrouvée chez le diabétique, l’hypertendu, le tabagique et ce même avant l’apparition des plaques. Ceci correspond à leur statut de « facteurs de risque » indépendants, dans la survenue de la maladie cardio-vasculaire. Chez l’hypertendu, l’angiotensine II semble jouer un rôle majeur dans l’atteinte endothéliale. Plus récemment, l’accent a été mis sur le rôle potentiel des agents infectieux dans l’athérogenèse. Analysé sur un modèle de souris, Chlamydia pneumoniae est capable d’induire une altération de la vasodilatation dépendante de l’endothélium. Parallèlement, les épisodes infectieux et inflammatoires peuvent également participer à l’activation endothéliale par l’intermédiaire de l’oxydation des LDL. Les dyslipidémies (perturbation des taux de cholestérol LDL et HDL, ou des triglycérides) ne sont présents que dans 50% des pathologies coronariennes (32). Et six fois sur sept, aucune perturbation de la cholestérolémie n’est notée De plus, le dosage des triglycérides n’est pas un paramètre très pertinent. On lui reproche notamment de considérables variations inter et intra-individuelles. En première intention, ces dosages se justifient malgré tout. S’ils sont positifs, la prise en charge qui en découle est maintenant bien codifiée. S’ils sont négatifs, cela ne sera pas forcément un élément rassurant. « Plutôt que de se fier à la seule baisse du cholestérol ou même des lipoprotéines, marqueurs tout à fait insuffisants du risque de maladie coronarienne, l’analyse des acides gras des phospholipides plasmatiques devra dorénavant constituer le marqueur principal du changement requis. Car c’est grâce à cette analyse que l’on peut être sûr que l’objectif est atteint » (32).

Face à cette complexité des causes possibles, et devant un processus s’étalant dans le temps, il est nécessaire de faire appel à d’autres marqueurs. Pour la plupart, ils n’ont aucun lien avec le métabolisme des lipides et ne sont jamais recherchés dans un bilan biologique conventionnel, ce dont conviennent en catimini les experts interrogés à ce sujet. Voyons en détail ces marqueurs modernes. 

ENCADRE : LE RÉGIME CRÉTOIS

Des études de surveillance des différentes ethnies et des études transculturelles ont notamment montré que dans les populations méditerranéennes, la fréquence des infarctus du myocarde était très faible comparativement aux populations d’Europe du Nord et des Etats-Unis. Ainsi, un crétois a 95% moins de risque de faire un infarctus qu’un Hollandais ou un Américain. Seules des habitudes alimentaires radicalement différentes peuvent expliquer cette différence. Elle est principalement due à la présence protectrice de l’acide alpha-linolénique à des taux optimaux chez les Crétois. Cet acide gras essentiel de la lignée « oméga 3 »a un effet direct sur le rythme cardiaque, mais c’est aussi le matériau de base à partir duquel on fabrique des molécules anti-agrégantes, anti-inflammatoires, vasodilatatrices. Ces composés de la lignée « oméga 3 » sont donc en tous points favorables, puisqu’ils peuvent freiner l’évolution de la maladie cardiaque à chacune de ses étapes.

Mortalité coronarienne et mortalité toutes causes confondues (mortalité par 100 000).

Renaud S. Le régime Santé. Ed. O. Jacob, 1998.

L’étude « Lyon Heart Study » de Serge Renaud a comparé les effets d’un régime de type méditerranéen à ceux des conseils diététiques habituels des cardiologues chez des coronariens à haut risque (ayant eu récemment un infarctus). Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue internationale « Circulation » (21). Les bénéfices ont été tellement probants, en faveur du régime d’inspiration crétoise, que l’étude a dû être arrêtée prématurément, afin de faire bénéficier les patients sous traitement « classique » du rôle protecteur du régime crétois. Les effets manifestement protecteurs d’un tel régime ne sont liés ni aux concentrations sériques du cholestérol, ni à celles des LDL et des HDL. En effet, le bilan lipidique est peu différent entre les deux groupes et le taux de cholestérol n’a diminué que d’environ 5%. En revanche, on constate des différences entre les taux sériques d’acides gras : le taux des AG ω3 (surtout l’acide α-linoléique…) est plus élevé et le taux des AG ω6 (acide linolénique, acide arachidonique…) est plus bas sous régime méditerranéen.

 

CE QU’ON NE VOUS DIT JAMAIS…

Selon Serge Renaud, le principal critère expliquant la situation privilégiée des Crétois, c’est la présence à un taux optimal d’un acide gras particulier l’acide alpha-linolénique, chef de file des « oméga 3 ». Il n’est évidemment jamais dosé de manière routinière, mais on sait que les situations de déficit sont monnaie courante en France. On travaille donc en général en aveugle et le plus souvent dans l’ignorance, sur le critère le plus influent en termes de prévention. Demandez donc à votre médecin de vous faire doser le taux d’acide alpha-linolénique, pour voir…

Mais ce n’est pas tout ; de récentes données, notamment certaines issues d’études épidémiologiques, mettent en évidence la participation de processus inflammatoires dans les mécanismes des maladies cardio-vasculaires (10, 33). L’étude prospective de Ridker (33), notamment, a suivi sur huit années 22.000 sujets. Des prises de sang furent réalisées au démarrage de ce suivi, et congelées, ne furent analysées qu’au terme de ces huit années. Ce fut notamment le cas pour les 543 individus ayant connu un accident cardiaque dans l’intervalle. Qu’est-il ressorti de ce travail ? Que ceux dont le taux initial de CRP se situait au dessus de 2,11 mg/l présentaient un risque relatif d’infarctus trois fois supérieur à celui des sujets dont la CRP ne dépassait pas 0,55 mg/l.

Cette inflammation est productrice, comme le tabac, d’une grande quantité de radicaux libres. Or, ces derniers peuvent interagir avec les molécules situées à leur proximité. Il peut ainsi s’agir des lipoprotéines transportant les graisses dans le sang, c’est-à-dire les lipoprotéines. Lorsque ces grosses macromolécules subissent un tel nombre de dommages que leur réparation complète s’avère impossible à assurer, elles changent de forme dans l’espace. De ce fait, ces molécules du « soi » deviennent des antigènes, pris en charge par le système immunitaire non spécifique. Ce seront notamment les macrophages du système endothélial qui vont se charger de ce travail. Ils vont interagir avec ces antigènes et les incorporer dans les cellules spumeuses qui tapissent l’intérieur de l’endothélium. Au fur et à mesure que ces particules s’accumulent, la plaque grossit et la lumière du vaisseau se rétrécit. Sur le plan épidémiologique, comme sur la base d’éléments cliniques, la participation des LDL oxydés aux maladies cardio-vasculaires est bien établie. Ces LDL transformées sont particulièrement impliquées dans la survenue des maladies cardio-vasculaires (16, 17, 35). Elle est bien plus significative que le taux brut de LDL cholestérol ou, a fortiori, de cholestérol total (12, 44). Son taux est tout à fait prédictif du risque cardio-vasculaire associé aux lipides (29).

Un autre facteur de risque indépendant, au poids très important, est le taux d’homocystéine. De quoi s’agit-il ? C’est un acide aminé ordinaire, qui est fabriqué à partir de la méthionine (acide aminé soufré) au cours de la transformation des aliments protéiques dérivés de la ration. Lorsque l’homocystéine gagne le sang, il réagit avec l’oxygène et son oxydation provoque l’apparition d’un dérivé, l’homocystine, susceptible d’endommager les parois des vaisseaux (1, 23). Son accumulation peut aussi faire suite à une anomalie génétique. Quinze pour cent de la population présente une hyper homocystéinémie due aux mutations hétérozygotes de l’enzyme MTHFR (méthylène tétrahydrofolate réductase). Cette protéine doit assurer le passage de l’homocystéine à la méthionine (11). L’élévation du taux plasmatique de cet acide aminé peut également résulter d’une carence en vitamine B6, B9 ou B12. Le taux d’homocystéine, évalué en début de grossesse, permet d’ailleurs de dépister les déficits en acide folique (vitamine B9), impliquée dans la survenue du spina bifida. L’alimentation moderne, trop pauvre en légumes à feuilles (sources de »folates », forme active de la vitamine B9), favorise la survenue de ce déficit. Sous la forme hétérozygote, la moins sévère, l’apport de compléments de ces trois vitamines ramène le taux d’homocyctéine à la normale. Sous la forme homozygote, il peut s’agir d’un des facteurs familiaux de risque cardio-vasculaire, rencontré par exemple lorsque, au sein de plusieurs générations successives, on rencontre des cas d’infarctus ou de maladie athéromatique de survenue précoce. Divers travaux récents ont montré qu’il s’agit bien d’un facteur de risque indépendant (23, 38). Sa toxicité résulterait en réponse à son oxydation. Les formes altérées de cette molécule pourraient alors, à l’égal du LDL oxydées, être captées par les macrophages et contribuer à la formation de la plaque lipidique (4, 22). L’apport de vitamines B6, B9, B12 fait chuter le nombre d’accidents cardio-vasculaires chez des sujets préalablement déficitaires (6).

Autre marqueur très intéressant, le taux de Lp (a). Cette protéine représente un facteur de risque indépendant (9). Elle possède une structure assez proche de celle des LDL ainsi que du plasminogène, protéine impliquée dans la coagulation. Si son taux est supérieur à 300 mg/litre, on note une augmentation significative du risque cardio-vasculaire. Elle pèse d’autant plus lourd que le patient possède par ailleurs au moins un autre facteur de risque. Il présente lui aussi un caractère génétique et, avec 15% d’individus ayant une Lp (a) > 300 mg/l.

Signalons enfin l’intérêt du dosage (très peu routinier) de la vitamine E. En effet, l’étude MONICA a montré qu’il existe une corrélation inverse très significative entre la mortalité coronarienne et la concentration plasmatique de vitamine E (a-tocophérol normalisé pour un taux de cholestérol), la vitamine A (également ajustée aux lipides circulants), la vitamine C (42). L’ a-tocophérol a, de loin l’effet protecteur le plus marqué, mais cet effet semble renforcé par les vitamines A et C. En analyse multivariée, la prédiction de mortalité par cardiopathie est de 62% pour le taux plasmatique de vitamine E (41). D’autres éléments sont parfois regardés de manière expérimentale. Citons ainsi la leptine, hormone libérée par les adipocytes, et marqueur du niveau des réserves viscérales, reconnues aujourd’hui pour être corrélées au risque cardio-vasculaire.

LE SPORT PROTÈGE-T-IL VRAIMENT ?

On considère généralement que l’exercice s’accompagne d’une diminution du risque de développer une maladie cardio-vasculaire. Les causes avancées sont multiples : d’abord structurelles, au niveau cardiaque, avec une augmentation du volume d’éjection et une diminution du pouls de repos et de la pression systolique. Ensuite métaboliques, avec une baisse du LDL cholestérol et une élévation de la fraction HDL (14, 15, 19, 36). Ce constat réjouissant a un sens seulement si on considère que l’ancienne vision de la maladie cardio-vasculaire est celle qui doit prévaloir. Or, selon cette conception, un aspect du problème est de fait négligé, alors qu’il peut constituer un élément caractéristique de l’exercice chronique. Il s’agit de la production de radicaux libres et de l’altération de certaines molécules tissulaires et circulantes qui en résulte. Ce point mérite d’être débattu du fait que les processus oxydatifs jouent un rôle crucial dans l’évolution des atteintes de l’endothélium. Mais comment aborder ce problème sous l’angle de la biologie de terrain, et non plus sous celui de la théorie et des connaissances fondamentales ? Un moyen de juger de l’impact de séances répétées et de leur empreinte véritable sur notre corps pourrait être fourni par la mesure de marqueurs chroniques, témoins de la balance entre attaque d’une part, et protection et réparation d’autre part. De ce point de vue, nous notons avec beaucoup d’intérêt que des auteurs commencent à doser de manière systématique le taux d’anticorps anti-LDL oxydés chez les sportifs (13). Que peut signifier, chez eux, une élévation de ce paramètre ? Si l’attaque radicalaire est ponctuelle ou peu supérieure au « bruit de fond », les dérivés toxiques formés sont éliminés et il n’en persiste, de manière chronique, aucune trace dans l’organisme. Par contre, si le cumul d’agression radicalaire aboutit à la présence permanente de molécules porteuses d’anomalies, elles finissent par être reconnues par le système immunitaire comme « anormales ». Il va alors diriger des anticorps contre elles. La quantité de gendarmes formés à ce combat renseigne assez bien sur l’effet chronique du cumul d’épisodes radicalaires. Le taux de LDL oxydées constitue donc le reflet de l’état de la protection cellulaire. Sa mesure nous informe aussi sur le risque cardio-vasculaire qui en résulte (37, 39). Peu de travaux systématiques ont été réalisés, chez le sportif, avec ce marqueur encore expérimental. En fait, nous n’avons recensé que quatre études, toutes récentes, ce qui témoigne de l’intérêt croissant pour cette question. L’une porte sur des professionnels de football américain (34), l’autre sur des basketteurs (29). La troisième, plus récente, rapporte des observations faites auprès de footballeurs professionnels polonais (18). Ces publications ont en commun de montrer une grande hétérogénéité des valeurs d’anticorps anti-LDLox au sein de ces populations de sportifs. On note également une fréquence élevée de sujets dotés d’un taux situé au-dessus des normes (> 800 mU/ml). Cette fréquence (environ 20% des sujets sont concernés dans ces travaux), est supérieure à celle relevée au sein de la population générale (38). Les conséquences de cette élévation, à terme, sont mal connues. Pour y voir plus clair, revenons à la physiologie : Le sport génère de manière chronique des radicaux libres, qui s’ajoutent à ceux délivrés par d’autres formes d’agression (pollution, tabac, stress). Chez certains sujets moins bien armés génétiquement, ou dotés de défenses anti-oxydantes peu performantes, du fait par exemple de déficits micronutritionnels, cela peut suffire à ce que la protection tissulaire ne s’opère plus de manière satisfaisante. L’agression radicalaire augmente alors, et le taux de LDL oxydés (ou d’anticorps anti-LDL oxydés qui est un marqueur de même signification), s’élève également. Autrement dit, chez certains, la pratique régulière du sport pourrait augmenter le risque cardio-vasculaire en raison d’une augmentation du taux de LDL oxydés.

Cette importance du stress oxydatif dans la survenue d’une atteinte de l’endothélium amène à réviser une autre idée admise, celle du « HDL cholestérol » protecteur. On admet classiquement que ce transporteur du cholestérol est d’autant plus favorable que son taux est élevé, et qu’il n’exerce jamais d’effet délétère. Ce n’est pas si simple. Cette famille de transporteurs qui ramène le cholestérol vers le foie et en débarrasse l’organisme peut, elle aussi, subir des stress oxydatifs (28), notamment dans le cadre de l’exercice. Un entraînement régulier favorise en effet l’élévation du taux des formes altérées de HDL, comme cela a été démontré chez des femmes ménopausées, engagées dans un programme régulier d’activités physiques. Chez elles, la valeur moyenne atteinte par le taux de HDL oxydé est significativement supérieure à celui enregistré chez des sédentaires de même âge (20). Celles recevant un traitement à base d’oestrogènes apparaissent, à l’inverse, mieux protégée, surtout si elles pratiquent un sport plusieurs fois par semaines. Ceci s’explique par l’effet anti-oxydant de ces hormones féminines.

Quelle peut être la conséquence de ce stress oxydatif ? Il s’ensuit que le retour du cholestérol vers le foie s’effectue moins bien (25) et que ces antigènes peuvent être incorporés, au même titre que d’autres molécules oxydées, par les macrophages, au coeur de la plaque athéromateuse. De plus, on reconnaît à la forme oxydée du HDL cholestérol un effet neurotoxique et une responsabilité dans la survenue de spasmes coronariens, pouvant eux-mêmes favoriser les maladies cardio-vasculaires (3, 27).

Ces résultats ouvrent un intéressant champ de réflexion, en regard des récents accidents cardio-vasculaires survenus dans des disciplines comme le football. C’est pourquoi la dernière des quatre études consacrées au taux de LDL oxydées s’avère intéressante (43). Elle montre qu’après seulement deux sessions consécutives prolongées (6 h chacune) de marche, le taux de LDL oxydés décroît significativement. L’étude en question prête à discussion dans le sens où la méthode de dosage n’est pas celle utilisée classiquement et qu’elle peut comporter des biais. Ce constat montrant un effet aussi net de seulement deux sessions d’exercice est trop beau pour être tout à fait vrai. Quoiqu’il en soit, même s’il s’agit d’un effet aigu, et qu’il ne permet pas d’extrapoler au bénéfice à attendre d’une pratique régulière, ce résultat va dans le sens de ce qui est classiquement admis, à savoir qu’un exercice modéré joue un rôle protecteur sur le plan cardio-vasculaire. Mais que le sport pratiqué de manière trop intensive peut majorer le risque. Ceci sera d’autant plus intéressant que, en ce qui concerne les taux respectifs de HDL et de LDL, un important polymorphisme a été trouvé, notamment dans le cadre de l’étude à vaste échelle, conduite sur plusieurs années, et nommée « Heritage » (2). Celle-ci a néanmoins montré que les phénotypes défavorables pouvaient bénéficier d’une protection accrue vis-à-vis du risque cardio-vasculaire grâce à l’impact d’un exercice modéré.

D’autres marqueurs impliqués dans les maladies cardio-vasculaires ont également été étudiés chez les sportifs. Ce fut par exemple le cas de la CRP, protéine inflammatoire. Chez des coureurs à pied, neuf mois d’entraînement s’accompagnent d’une tendance à la baisse de ce marqueur, effet attribué à une action anti-inflammatoire systématique de cette activité (24). Cela signifie-t-il que cet effet de l’entraînement est favorable en ce qui concerne le risque cardio-vasculaire ? Mattusch et ses collègues sont très prudents, du fait que de nombreux facteurs déterminent la valeur de ce paramètre sanguin. Il s’élève notamment de manière aiguë en réponse aux infections ou à des traumatismes survenant en cours d’activité. Tout dépendra donc du contexte de l’activité, des atteintes tissulaires qui l’accompagnent, et de la vulnérabilité aux microbes qui en résulte. Rappelons en effet que la relation entre le volume d’entraînement et la susceptibilité aux infections est une courbe en forme de «J », dont on ne sait jamais, a priori, quand la deuxième branche commence à remonter (31).

Quelques auteurs ont porté leur attention sur les taux d’homocystéine des sportifs. Ainsi Nygård et ses collègues, en 1995, ont-ils publié les conclusions d’une enquête à vaste échelle très instructive (26). En dépouillant les résultats tirés d’un questionnaire adressé à 16 176 individus, il est apparu que l’activité figurait parmi les facteurs susceptibles d’abaisser le taux de ce marqueur. Mais que les déficits vitaminiques pouvaient influer en sens inverse. L’effet de l’activité variera donc d’un sujet à l’autre. Par contre, concernant un autre facteur de risque indépendant, la Lp (a), il apparaît que son taux n’est pas modifié sous l’effet de l’exercice (8). Seule la génétique en détermine le taux. Ce qu’il importe alors est de prévenir son oxydation. Un sportif doté génétiquement d’un taux de Lp (a) très au-dessus des valeurs de référence devra donc bénéficier, à titre préventif, d’une couverture en anti-oxydants appropriée, surtout s’il présente d’autres facteurs de risque.

Notons enfin que de récents travaux ont mis en exergue, à l’aide de marqueurs biologiques comparables à ceux développés par Serge Renaud dans le cadre de son étude « Lyon Heart Study », que 90% des sportifs à haut niveau de pratique présentent un déficit en acide alpha-linolénique (7). Cette situation résulte en partie des choix alimentaires pratiqués, de l’utilisation préférentielle de cet acide gras essentiel à des fins énergétiques (plutôt que dans des tâches fonctionnelles très importantes) et de son oxydation sous l’effet des radicaux libres produit dans le cadre de l’activité. Si on suit Serge Renaud dans son raisonnement, cette carence généralisée fragilise le sportif, pas tant durant son activité (même si les épisodes de mort subite existent), qu’au terme de son activité, où cet élément défavorable s’ajoutera à d’autres, comme le désentraînement, la prise de surpoids viscéral, l’élévation des triglycérides, un éventuel démarrage du tabagisme et un mode de vie associé à une moins bonne gestion du stress. Et si jamais, à l’instar de Michel Jazy, un infarctus vient à frapper, une fois sur deux, on ne trouvera aucune anomalie biologique d’après un bilan « classique »…

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Denis Riché, pour “Sport & Vie” – 2005
Photos : MCC

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