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« F » qui veut dire « Furane » et l’histoire des Oméga 3 des Poissons Gras…

par | 22 Sep, 2023 | 0 commentaires

Les experts attribuent l’effet cardio-protecteur des poissons gras à leur richesse en « oméga 3 »… Et s’ils avaient tout faux ?

DU POISSON GRAS ?…

Les experts nous le serinent à longueur de journée : Les « oméga 3 » sont bons pour le cœur. Ils pointent ainsi que, quand on compare les populations entre elles, plus elles consomment de poisson, et plus le risque de développer une maladie cardiovasculaire est faible. Le consensus scientifique actuel attribue cet effet bénéfique des chairs d’animaux marins à certaines graisses particulièrement abondantes dans le poisson : les acides gras « oméga 3 ». L’hypothèse a d’autant plus acquis de crédit que des travaux de recherche fondamentale ont permis d’apporter une explication à leur mode d’action : Ils diminuent l’inflammation, réduisent l’agrégation des plaquettes, et exercent un effet anti-inflammatoire. De telles propriétés ont incité deux chercheurs français Michel De Lorgeril et Serge Renaud, dans une étude devenue célèbre, à vérifier la réalité de leurs effets protecteurs sur le terrain, auprès de patients ayant déjà connu un infarctus. Leur étude a montré une diminution de 20 % de la mortalité cardiaque et de 45 % de la mort subite chez ceux qui recevaient une margarine enrichie en huile de colza, pourvoyeuse d’acides gras « oméga 3 », comparativement à un groupe placebo. Différence suffisamment spectaculaire pour les inciter à interrompre prématurément l’étude, histoire de protéger d’une mort possible les membres du groupe n’ayant pas reçu ce corps gras à tartiner. Mais, me signalerez-vous, on ne trouve pas le colza dans les océans.

Alors quel rapport entre cette étude et les poissons ? En fait, les oméga 3 forment une grande famille de composants. Parmi eux, figure l’acide gras essentiel, abrégé « ALA » ( pour « acide alpha linolénique »), ainsi que l’EPA et le DHA, qu’on trouve dans les poissons (notamment ceux des grands fonds) et dans les algues. « Le plus abondant, explique Michel de Lorgeril, c’est l’acide alpha linolénique, le précurseur des autres oméga 3, c’est-à-dire celui qui permet de fabriquer les autres ». On le trouve dans les noix, le lin, le colza ainsi que dans les céréales et les plantes sauvages, comme le fameux pourpier du régime crétois. Les poissons, quant à eux, renferment plutôt l’EPA et le DHA, car leur nourriture se compose d’algues, riches en acide alpha linolénique, et de micro-organismes, qu’ils transforment pour fabriquer de l’EPA et du DHA, aux vertus particulièrement protectrices. Pour Michel de Lorgeril, « le DHA serait sur le plan cardiovasculaire l’acide gras le plus protecteur »… d’où le retour en grâce du maquereau, ou des sardines, jadis tout juste bons à nourrir les ouvriers. 

OU DU POISON GRAS ?

Pour le professeur Gerhard Spiteller, docteur en chimie organique à l’Université de Bayreuth, l’histoire n’est pas si simple. En grand spécialiste des finesses des molécules, il rappelle une réalité : le « DHA » comporte cinq doubles liaisons, qui constituent autant de points faibles où les radicaux libres peuvent attaquer et léser la molécule. Il cite toutes les études qui confirment que, lorsqu’un stress oxydatif important ou une inflammation aigüe surviennent (comme dans le cas d’une pathologie cardio-vasculaire), il se forme des dérives d’acides gras, les « peroxides », qui deviennent très toxiques. Il pose alors une question très simple : comment peut-on expliquer l’effet protecteur du poisson en mettant en avant la présence de molécules qui peuvent se révéler toxiques ? L’affaire est sérieuse ; le travail conduit à l’Hôpital de la Tronche par le docteur Catherine Garrel a confirmé ces craintes. Cette biologiste a mis au point une technique (-80°C) qui permet de mesurer précisément la quantité de molécules oxydées présentes dans l’organisme des sportifs, et notamment celui des dérivés oxydés des acides gras. Elle a constaté que, chez des sujets exempts de déficits, plus la quantité d’oméga 3 dans les membranes cellulaires était élevée, et plus le taux de molécules oxydées augmentait. Autrement dit, au lieu de protéger, ces acides gras agresseraient. Pourtant le poisson protège bel et bien. Alors ?

En fait, Gerhard Spiteller a étudié en détail la composition des chairs de poisson, et il a noté avec intérêt la présence d’une autre catégorie d’acides gras, peu pris en considération par ses collègues. A tort selon lui. Il s’agit de ceux qu’on nomme les « furanes », dont la structure chimique évoque celle des plus efficaces molécules anti-oxydantes, telles que la vitamine E ou les flavonoïdes. On les trouve en fait dans une grande variété d’espèces animales et végétales. Ils abondent particulièrement dans les graisses du foie de poisson, les crustacés, les gorgones, ainsi que dans le foie des bovins. Leur teneur élevée dans le règne animal résulte de leur accumulation progressive au fil du temps, après chaque ingestion de végétaux. On les dégrade en effet assez mal et ces substances tendent donc peu à peu à s’additionner dans nos tissus. Il s’agit de composés très réactifs, et leurs dérivés oxydés confèrent une odeur de foin caractéristique, comme celle du thé vert par exemple. Quel est leur rapport avec les maladies cardio-vasculaires ? En piégeant les molécules radicalaires susceptibles d’endommager les « oméga 3 » et de les faire changer de camp, les acides gras furanes les maintiennent sous un état actif et inoffensif… ce qui leur permet d’exercer leur rôle protecteur, sans risque d’effet secondaire. En quelque sorte, ils se sacrifient pour eux.

Le professeur Gerhard Spiteller défend cette hypothèse depuis 2005. Peu d’auteurs l’ont suivi dans cette voie, du moins jusqu’en octobre 2011. En effet, il se trouva de précieux alliés, il y a deux ans, lorsqu’une équipe japonaise, réunie autour du professeur Wakimoto de l’Université de Tokyo, a réussi à démontrer qu’un extrait de moules, riche en furanes, exerçait un effet anti-inflammatoire, « encore plus prononcé, selon eux, que celui de l’EPA ». Plus récemment, en août dernier, un travail conduit à l’Université d’Utrecht a montré que l’ajout d’acides gras F à des cellules cérébrales de rat en culture les protégeait de l’agression provoquée par l’exposition à des molécules toxiques. Grâce à cela, les processus dégénératifs qui en découlent, et participent notamment à la Maladie d’Alzheimer, se trouvaient fortement atténués. Ainsi, à ce jour, on peut envisager le rôle protecteur des poissons sous un angle nouveau : A l’action propre des « oméga 3 » intacts, s’ajoute celui qui est associé aux acides gras F, comme on les nomme déjà. Un « F » qui veut dire « furane ». Enfin, ce qui paraît totalement cohérent avec les travaux des professeurs Renaud et De Lorgeril, ces acides gras F se retrouvent à des taux élevés dans l’huile de colza et les noix. Ils courent, ils courent, les furanes…

BIBLIOGRAPHIE :

SPITELLER G (2005) : The relation of lipid peroxidation processes with atherogenesis ; a new theory on atherogenesis. Mol.Nutr.Food Res., 49 (11) : 999-1013.
SPITELLER G (2007) : The important role of lipid peroxidation processes in aging and age dependent disease. Mol.Biotechnol., 37 (1) : 5-12.
TEIXEIRA A, COX X & Coll (2013) : Furan fatty acids efficiently rescue brain cells from death induced by oxidative stress. Food Func., 4 (8) : 1209-15.
WAKIMOTO T, KONDO H & Coll (2011) : Furan fatty acid as anti-inflammatory component from the green-lipped mussel Perna canaliculus. Proc.Natl Acad.Sci. USA, 108 (42) : 17533-7.

Denis Riché pour  « Sport & Vie ».- 2005 
Photos : Maryse S. 

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