On considère de plus en plus que la restriction calorique serait l’une des clefs de la longévité. Or beaucoup de sportifs doivent, au long de leur carrière, subir des régimes- comme dans les disciplines à catégories de poids- ou s’astreignent à des restrictions caloriques parfois très importantes comme dans les sports d’endurance ou l’escalade. Cela peut-il contribuer à l’allongement de leur vie ?
SE BATTRE COMME UN « MEURT DE FAIM » :
Dans les sports à catégorie de poids, la pratique d’un régime très restrictif constitue une étape incontournable, parfois plus pénible que les combats eux-mêmes. Pour faire le poids coûte que coûte. Aux Jeux de Sydney, l’Anglaise Debbie Allan, trop lourde au moment fatidique, tenta le tout pour le tout (*). Montée sur la balance officieuse- qui permet de se tester une dernière fois avant la pesée officielle-, la jeune femme affichait 400 g de trop, et encore 50 au moment de vérité. Même nue. Elle saisit alors une paire de ciseaux pour se couper les cheveux directement sur l’appareil, pour un verdict enfin positif. De tels sacrifices, accompagnés d’incessants va-et-vient du poids, finissent par user. C’est ce qui a par exemple convaincu Audray La Rizza à monter de catégorie : « Marre des longs régimes à 1000 calories par jour qui usent le mental », confiait-elle alors à la presse (**).
Certains, parmi ses camarades de tatami, préfèrent prendre cela avec humour et philosophie, comme sur ce blog d’un jeune judoka où il écrit ainsi : » Tu sais que tu es judoka quand « :
– Tu dois sucer des glaçons pendant une semaine
– Tu te dis « la semaine prochaine, obligé je me fais un Mc Do, une pizza, un quick, un gâteau au chocolat, une raclette… »
– Tu es tellement fatigué que tu n’as plus envie de faire le moindre effort, juste de rester couché dans ton lit…
– Tu remarques toutes les personnes qui avalent ou boivent le moindre truc en te disant « oh la chance! »
– Tu sais exactement combien pèse un verre d’eau chez toi et 3 bouchées de pâtes avec une tranche de jambon.
– Quand tu bois à la bouteille, tu comptes tes gorgées en espérant ne pas trop craquer!
– Les steaks et compotes deviennent tes meilleurs amis!
– Tu amènes ta balance partout avec toi histoire de vérifier toutes les heures combien il te reste.
– Tu redécouvres certains muscles « ensevelis » depuis parfois un certain temps et perds toutes tes joues.
– Tu es de très mauvaise humeur et envoies bouler tout le monde (ce n’est pas bien, mais qu’est-ce que ca fait du bien!!)
– Tu sais ce que c’est de t’endormir avec la faim et la soif, comme si tu vivais dans le pays d’Afrique le plus pauvre, ravagé par la guerre, la sécheresse.
– Tu as déjà fait un footing avec 15 épaisseurs+bonnet+gants+écharpe alors qu’il fait 25° dehors! (les gens te regardent alors très bizarrement, va savoir pourquoi…)
– Tu te dis « mon prochain régime, je m’y mets plus tôt » mais tu t’y tiens une fois (voire 2) et la fois d’après, c’est reparti pour la galère!
– Tu comptes les jours, puis les heures, puis les minutes avant le début de la pesée.
– 5 minutes après la pesée, tu as déjà avalé 2 litres d’eau et englouti 3 sandwichs (l’équivalent calorique de ta semaine!)
En dehors de la contrainte « arithmétique » de la balance dans les sports à catégorie de poids, d’autres motivations peuvent justifier la pratique de régimes restrictifs, notamment le souci de légèreté dans la course à pied, le triathlon, mais aussi de plus en plus dans le vélo. C’est une forte tendance, pas forcément volontaire d’ailleurs. En effet, lorsqu’on mesure l’apport calorique réel d’adeptes des sports d’endurance et qu’on le compare aux besoins théoriques calculés, on trouve toujours, chez des sportifs ne s’affamant et ne pratiquant pas une stratégie avérée de restriction, un écart moyen de 500 à 600 calories, allant dans le sens d’un métabolisme économe (voir « le mystère des calories disparues », « Sport & Vie n° 94). Une telle tendance chronique au « déficit » calorique pourrait donc conférer une espérance de vie accrue à ces sportifs, si bien sûr l’hypothèse de l’effet positif de la restriction sur la longévité était avérée. A en croire un grand nombre de médias, cela ne fait pas de doute…
VIVRE LONGTEMPS, CHICHE :
L’expérience avait grand bruit à l’époque, au début des années 90, lorsque le Professeur Roy Walford, auteur du best-seller « Un régime de Longue Vie » (31), entreprit de mener une expérience unique dans le cadre de « Biosphère 2 ». Ce test grandeur nature était destiné à préfigurer les conditions qu’on imagine représenter celles d’un proche avenir, où la survie de l’espèce humaine constituerait un challenge à réussir impérativement. Cette étude menée en autarcie, et largement controversée au moment de son lancement par des accusations de dérive sectaire lancées-à juste titre- à certains de ses initiateurs, s’était fixée plusieurs objectifs. Parmi ceux-ci figuraient le recyclage total de l’eau, l’autonomie alimentaire et, au cœur de la réflexion du physiologiste New-Age, la restriction calorique. Elle était perçue comme étant un moyen de prolonger l’espérance de vie, dans la lignée de travaux remontant à l’entre Deux Guerre. De plus, par cette même approche, Roy Walford tablait sur une « compression de morbidité » dont rêve chaque individu dans la force de l’âge. Cette expression indique qu’en avançant dans la vie, on parvient à préserver un très bon état de santé, les gros pépins handicapant se concentrant sur la toute fin de vie. Un exemple de cette compression nous est apportée par la population vivant sur l’Île d’Okinawa, le « Hawaii japonais » qui, bien que n’hébergeant que 0,002% de la population mondiale fournit à elle seule 14% de tous les centenaires de la planète. Dans son dernier ouvrage (6), le docteur Jean Paul Curtay donne quelques exemples de cette préservation d’une santé optimale à un stade avancé de la vie, avec ces nonagénaires actifs, sportifs, amants performants et animés de moult projets. Bien loin des mouroirs du Vieux Continent !
FÊTER SES CENT ANS, OUI MAIS COMMENT ?
Cette évocation de la restriction suscite des réactions contrastée. D’un côté, mourir vieux et « en bonne santé » a un côté tentant. Mais de l’autre, le prix à payer semble très lourd ! En effet, cette notion de restriction calorique renvoie indéniablement à l’idée de frugalité et semble s’opposer à celle de l’épicurisme qui s’attache à l’acte alimentaire. Cà rappelle cette vieille blague à propos d’un centenaire interviewé la veille de son anniversaire : « Je n’ai jamais bu, ni fumé, toujours mangé très peu et prôné l’abstinence sexuelle, et je vais grâce à cela fêter mes cent ans !
– Fort bien lui, rétorque le journaliste. Mais comment allez-vous célébrer cet anniversaire? » Comme l’écrivait le philosophe et cuisinier Brillat-Savarin à l’époque de la Révolution : « Le plaisir de la table accompagne tous les autres et reste le dernier pour nous consoler de leurs pertes ». Alors doit-on opter pour un simple brouet et quelques fruits, en guise de souper, comme le préconisent les adeptes de l’ »anti-aging » pour continuer à faire des galipettes avec la cuisinière, peu éprouvée au demeurant par les tâches ancillaires ? On pourrait même s’imaginer, dans un futur proche, que pour garder jeunesse éternelle, il ne faudrait se nourrir que de deux tablettes vertes, renfermant tout ce dont on a besoin, jour après jour, comme dans le film « Soleil Vert ». Non merci, sauf pour la soubrette.
VIVRE COMME UN RAT :
Quand on analyse sérieusement les écrits qui assurent que la restriction calorique garantit la longévité, on tombe des nues. Il s’agit essentiellement d’extrapolations hasardeuses qui, dans d’autres domaines que celui-ci, ne vaudraient que scepticisme à leurs auteurs. Mais pas ici ; dans un domaine aussi émotionnel que la longévité, une lecture critique des données avérées fait assurément défaut. Mais reprenons au début. Les premiers travaux sur cette question remontent au milieu des années 30 (18). A l’époque, un certain professeur Charles Mc Cay réussit à freiner la croissance de rats grâce à la restriction de leurs apports caloriques après le sevrage. Si les premières tentatives se soldèrent par des réussites mitigées, à cause des carences provoquées par cette baisse des apports alimentaires, une meilleure élaboration de la ration permit par la suite de prévenir tout risque de déficit, malgré la restriction calorique. La longévité, tant moyenne que maximale, augmenta alors notablement au sein du groupe sous-alimenté, d’environ un an par rapport au lot témoin, ce qui représente un allongement de la durée de vie d’environ 50%. De quoi faire fantasmer l’Homme ! De plus, les membres du groupe de rongeurs sous-alimentés développaient moins de maladies liées à l’âge. Par contre leurs os étaient plus fragiles et ils souffraient d’une baisse de fertilité. Mais cette descendance plus clairsemée constituait-elle un inconvénient dans la promiscuité des cages ?
Ce n’est qu’au début des années 80 qu’une approche véritablement scientifique de la longévité des primates fut initiée. Les travaux princeps furent menés sur une espèce animale, le Rhésus macaque, doté d’une longévité maximale de 40 ans. Au stade actuel, à mi-course, rien n’indique que la restriction calorique allonge la durée de vie de ces singes. Une étude publiée en 2002 dans le cadre d’un congrès consacré à la longévité, qui s’était tenu le 11 octobre de cette année-là à Paris, a apporté les précisions suivantes : la mortalité était de 15% dans le groupe sous-alimenté, contre 24% dans l’autre (26).Donald Ingram, responsable de ces travaux rapporta, deux ans plus tard, que les longévités moyennes des deux groupes tendaient de plus en plus à s’égaliser. Un coup pour rien donc.
Qu’en est-il chez l’Homme ? Des épisodes dramatiques de l’Histoire contemporaine n’engagent pas à l’optimisme sur cette question. Comme le résume sobrement un récent article (16), les survivants des camps de la mort n’ont pas allongé leur espérance de vie à la suite de leurs séjours chez les nazis, bien au contraire ! De même, les personnes souffrant d’anorexie modérée ne vivent pas plus longtemps que leurs contemporains sains. La plupart des études rétrospectives conduites sur cette question suggèrent plutôt un effet défavorable de la malnutrition sur la longévité (2).
Qu’en est-il dans le milieu du sport ? On y a décrit les gros problèmes rencontrés par certaines représentantes de disciplines comme le triathlon ou la course à pied, chez lesquelles les apports sont tellement bas qu’ils finissent par contribuer à l’émergence de ce que les spécialistes ont baptisé la « triade ». Elle recouvre l’anorexie, l’aménorrhée et l’ostéoporose, survenant conjointement chez des sportives à la ration trop ostensiblement restreinte. Abondamment étudiée au coeur des années 90 elle fait l’objet d’un actif travail de prévention, dans la mesure où cette restriction, couplée à des charges de travail très lourdes et à un stress croissant, semble faire payer à ses jeunes femmes un lourd tribut aux maladies et aux blessures (32). Pas de quoi rassurer là non plus sur l’intérêt de la restriction calorique, même si dans toutes ces situations, elle est soit imposée sans discernement, soit pratiquée dans un contexte pathologique, à l’inverse de l’exemple des Japonais d’Okinawa qui ont au contraire, au fil des générations, sélectionné des aliments bien particuliers, dotés de vertus inégalables.
MANGER DU SOLIDE OU DU VIDE :
Une idée se dégage au fur et à mesure qu’on examine ces travaux. C’est que le niveau énergétique de la ration ne fait pas tout ; dans le cas des habitants de l’Ile d’Okinawa, l’apport calorique moyen associé à la longévité record des insulaire est de 1600 calories par jour. C’est le même niveau d’apport qui caractérise les femmes alsaciennes, âgées de plus de 65 ans, recrutées en 1988 dans le cadre de l’Etude « Alsanut ». Mais à la différence des Japonaises, leur ration très monotone favorisait l’apparition de profonds déficits, et d’un état de fragilité conférant une morbidité et une mortalité accrues. Il ne servirait à rien de leur payer un voyage en Extrême-Orient pour régler la question de leur survie. Des changements plus brutaux auraient été nécessaires. La question serait donc moins celle des apports caloriques que celle des aliments sélectionnés par ces populations très différenciées. Or, la prépondérance des aliments transformés, de végétaux appauvris, voire de viandes d’élevage, changements majeurs apparus ces 50 dernières années, ont bien sûr contribué à l’appauvrissement de la ration des pays Occidentaux, Etats Unis compris. Les insulaires d’Okinawa ont au contraire sélectionné, au fil des siècles, les denrées les plus nutritives disponibles au sein de leur environnement, et en ont banalisé l’emploi. Cet écart saute aux yeux quand on compare par exemple les apports moyens en micronutriments de ceux que les nutritionnistes nomment les « Nunnis », comparativement au contenu d’assiette (quand il y en a encore une !) de l’Américain moyen (voir l’encadré 1). Le constat est accablant. L’alimentation moderne dénutrit. Ainsi, comparativement à l’édition parue en 1936, les données nutritionnelles des fruits et légumes reportées dans la table de référence anglaise (Mc Cance et Widdowson) de l’édition 1991 ont beaucoup diminué, jusqu’à 30% pour certains nutriments comme le magnésium (19). Quand nos parents avalaient 300 g d’épinards cuits à la vapeur, ils disposaient de 90 mg de magnésium. Aujourd’hui, avec une assiette remplie de la même manière, il y en a moins de 60. Et le plus souvent elle renferme de plus faibles portions d’épinards, de sorte que la ration moderne contient quasiment deux fois moins d’aliments nutritifs, lesquels renferment pour leur part moins de nutriments ! C’est pour cette raison que, dans le cadre de l’étude « Biosphère 2 », les aliments choisis devaient se caractériser par une très forte valeur ajoutée, posséder une « forte densité nutritionnelle » (***). La difficulté, finalement, consiste à choisir des denrées qui nourrissent avec peu.
Cette densité nutritionnelle est beaucoup étudiée par les épidémiologistes, et tous les travaux aboutissent à un constat qui, en France, est consternant : Par leurs choix alimentaires plus ou moins spontanés, les Français trouvent en moyenne 120 mg de magnésium et 6 mg de fer pour 1000 calories. Quand on confronte ces valeurs aux chiffres recommandés par les experts à l’échelle de la population, on mesure l’ampleur de la tâche. Une femme doit trouver au minimum 350 mg de magnésium dans sa ration journalière. Ce qui revient à dire qu’en ne changeant rien à ses habitudes alimentaires, elle a un choix très simple face à elle : Le surpoids ou le déficit.
LA CARENCE : UN MANQUE DE SAVOIR VIVRE !
L’existence de tels déficits n’est pas sans conséquence sur la longévité. Ainsi, le docteur Jean Paul Curtay voit-il le magnésium comme un acteur majeur du vieillissement réussi, en particulier en raison de ses multiples et importantes interventions dans le contrôle du métabolisme énergétique. Ce mécanisme semble, il est vrai, au coeur de la problématique du vieillissement. Mais nous y reviendrons. Ces chiffres suggèrent en tout cas que, à mesure que leur alimentation s’appauvrit et perd en diversité, nos seniors mettent en péril leur santé. Les jeunes aussi d’ailleurs ; pour alarmer la population sur l’évolution très défavorable et caricaturale de leur mode d’alimentation, de plus en plus d’experts stigmatisent l’alimentation des plus jeunes en parlant de « calories vides ». Ce néologisme s’explique sans mal : Il traduit principalement les travers de la restauration rapide : beaucoup d’énergie dans un petit volume, et trop peu de nutriments fonctionnels. C’est une alimentation « vide » d’éléments utiles. On en mesure déjà les conséquences, et pour certains auteurs comme le professeur Américain Adam Drewnowski (8), qui traque les changements frappant l’alimentation de ses concitoyens, l’allongement actuel de l’espérance de vie masque une réelle disparité. Elle résulte de la présence de sexagénaires ou d’octogénaires qui ont bénéficié de tous les progrès médicaux et de la diversification de l’alimentation survenue au cours des Trente Glorieuses et en retirent le maximum de bénéfices. Mais elle résulte aussi de celle d’hommes et de femmes dans la vie active, dont le régime déséquilibré et l’inactivité croissante ont favorisé l’émergence de graves problèmes de santé. C’est ce qu’on relève chez de jeunes adultes mais aussi (fait nouveau d’une grande gravité) chez des enfants de 10-12 ans, dont certains sont déjà diabétiques. Le processus est déjà enclenché, et à ses yeux leur espérance de vie n’égalera pas du tout celle de leurs aïeux.
A qui la faute dans tous ces changements qui ont bouleversé nos us et coutumes alimentaires ? S’il est un point sur lequel tout le monde s’accorde, c’est la place essentielle des fruits et légumes comme garants de la longévité. Que ce soit dans le cadre du régime méditerranéen (30), des Danoises qui, en accroissant leur consommation de végétaux frais, ont vu leur mortalité chuter significativement après 6 ans d’intervention (22), ou quand on corrèle la consommation de fruits et légumes des Suédois à l’espérance de vie. Consommer davantage de verdure a également divisé par deux le risque de mortalité cardio-vasculaire chez des sujets de 66 ans et plus, après seulement cinq années de changement alimentaire (12). Vous l’aurez compris, si vous aimez les fruits et légumes, il est fort probable que vous serez à manger pendant un plus grand nombre d’années que ceux qui n’en aiment pas. Pourquoi donc ?
AU CŒUR DE LA LONGEVITE, L’OXYGENE…
Quand on s’interroge sur les causes de cet effet protecteur des fruits et légumes, l’explication la plus habituellement avancée, est celle de leur richesse en éléments protecteurs, les anti-oxydants. En effet, les fins mécanismes d’agression et de protection sont au cœur du mécanisme de longévité. Depuis leur découverte par Henri Laborit dans les années 50, les radicaux libres (ou « formes radicalaires oxygénées ») sont le centre de la réflexion sur la longévité. Pourquoi ? Parce que la théorie radicalaire du vieillissement est fortement associée à l’idée selon laquelle une plus forte consommation d’oxygène conduirait à une production accrue de radicaux libres. En diminuant l’apport calorique on brûlerait moins d’oxygène, ce qui occasionnerait une moindre oxydation des tissus. C’est logique. Mais faux ! En fait, c’est lorsque les tissus consomment le moins d’oxygène qu’ils génèrent le plus de radicaux libres (1). Quel mystère explique ce paradoxe ? Quand la conversion d’ADP en ATP se ralentit, la consommation d’oxygène diminue, ce qui a des conséquences sur les phénomènes électro-chimiques au niveau de la membrane et occasionne la chute du taux d’un constituant très important, nommé le coenzyme Q10 ou « ubiquinone ». Plus que le niveau du stress oxydatif subi, c’est la disponibilité en cette molécule qui serait donc au centre du contrôle de la longévité.
Cet effet très troublant de la restriction calorique sur le stress oxydatif se retrouve aussi dans le cadre du sport (20). Une étude parue il y a un an s’avère, de ce point de vue très pertinente. Elle portait sur des spécialistes de la varappe, observés dura nt une période où, en raison d’un budget très restreint (un dollar par personne et par jour), les grimpeurs devaient se débrouiller pour manger durant les cinq semaines de leur stage. Des bilans biologiques réalisés au début et à la fin du séjour ont montré que, parallèlement à une forte chute du taux de masse grasse (révélatrice de la restriction calorique d’environ 40% par rapport au niveau habituel), on relevait à la fois une chute du taux plasmatique de vitamine et un accroissement de celui de dérivés oxydés de graisses, ceci devant s’interpréter comme une augmentation du stress oxydatif ou plutôt d’un déséquilibre entre l’agression (augmentée) et le taux d’éléments protecteurs délivrés par la ration (quant à eux réduits). D’où ce déséquilibre patent.
LE CO Q10 DE L’HISTOIRE :
Le coenzyme Q10, également appelé « ubiquinone » en raison de sa présence dans tous les tissus (« ubiquitaire ») et de sa structure chimique (une « quinone »), est aujourd’hui considéré comme étant l’élément clef de l’histoire. Il exerce deux fonctions intimement liées ; d’une part, c’est un des composants de la chaîne respiratoire, c’est-à-dire de cette série de réactions se tenant dans la mitochondrie, et qui avec une succession de transfert de protons et de neutrons finit par assurer la totale utilisation de l’oxygène et la synthèse de l’ATP (15). D’autre part, par son aptitude à fixer des électrons et à exister sous deux formes différentes (oxydée et réduite), il possède des qualités d’anti-oxydant. Celles-ci se manifestent notamment au cœur des membranes et en partie en régénérant la vitamine E. Le coenzyme Q 10 préserve donc la cellule des agressions liées à l’utilisation de l’oxygène, et de plus en plus d’auteurs considèrent, aujourd’hui, que c’est sans doute une molécule qui participe à une longévité maximale. Ainsi, de récents travaux montrent que l’apport de coenzyme Q10, sous forme de compléments, diminuait le nombre d’anomalies sur l’ADN des globules blancs (29).
D’où la tire-t-on ? Pour moitié, elle provient de notre ration, et pour les 50% restants on doit la fabriquer. Cette synthèse est particulière. Elle se fait à partir du même précurseur que le cholestérol. C’est un dérivé du glucose. Cela signifie qu’on les obtient à partir de la même molécule et que la même enzyme est nécessaire à leur présence. Or cette enzyme, appelée habituellement « HMG Coa Réductase » par les biochimistes, est fortement activée par l’insuline. Cela revient à dire que les rations riches en glucides ou les terrains prédiabétiques peuvent favoriser sa synthèse. A l’inverse, une forte mobilisation des glucides, comme en cas d’entraînement intensif, en cas d’apports un peu insuffisants en glucides (comme lors de régimes restrictifs destinés à augmenter l’espérance de vie) ou la prise de statines chez des sujets affectés d’hypercholestérolémie ou ayant eu un accident cardiaque, font baisser cette synthèse (13). On admet aujourd’hui que les douleurs musculaires liées à la prise de ce médicament résultent de la baisse de l’ubiquinone dans les cellules musculaires, mais aussi dans celles du cœur ! Les apports sont principalement assurés par des aliments peu usuels (maquereaux, abats, sardines). De plus, la chaleur dégrade sensiblement cette fragile molécule (29). Il est donc possible que la restriction calorique ou un entraînement intensif favorisent un déficit. Et les deux à la fois ? Cà doit faire mal, comme le suggère l’étude menée auprès des spécialistes de l’escalade (20). On peut s’inquiéter, a posteriori, des effets des régimes restrictifs adoptés par les adeptes des sports de combat. C’est ce qui pourrait expliquer que la restriction calorique ne protège pas forcément du stress oxydatif ni du vieillissement. On comprend aussi que la longévité des Japonais de l’Île d’Okinawa s’avère possible du fait de choix alimentaires très ciblés, notamment sur les poissons.
D’ores et déjà, on a constaté que les déficits en coenzyme Q10, très fréquents chez les sportifs, jusqu’à concerner les deux tiers de certains effectifs d’équipes professionnelles de football (25), avaient des conséquences défavorables : blessures répétées (15) ou surcroît d’épisodes infectieux (11). On attribue aux déficits en coenzyme Q10 une baisse de l’immunité naturelle, notamment celle des « Natural Killers », si importants pour la prise en charge du cancer (24). La correction de déficits chez des sportifs s’accompagne d’une diminution de la fatigue et d’une amélioration significative des qualités aérobies, ce qui suggère un bénéfice portant à la fois sur l’aptitude à utiliser l’oxygène et sur la protection vis-à-vis du stress oxydatif. Une étude parue le mois dernier confirme indirectement cette hypothèse (10). Dans ce travail, l’équipe du professeur Amicarelli, de l’Université de L’Aquila, a montré une corrélation inverse, chez des athlètes de bon niveau, entre le seuil « anaérobie », témoin des aptitudes à utiliser l’oxygène, et les défenses anti-oxydantes. Les auteurs de ce travail admettent qu’ils ne comprennent pas très bien cette relation, « sauf à penser, notent-ils, qu’un troisième facteur, corrélé aux deux précédents, pourrait expliquer cette relation ». Ce facteur jouerait à la fois sur l’aptitude à utiliser l’oxygène et sur l’efficacité de la protection cellulaire. A quelle molécule pourrait-on bien penser ?
DIX MOYENS DE FINIR CENTENAIRE :
Concernant ce déficit en coenzyme Q10, si on se projette dans une perspective de dix à vingt ans, voire au-delà, quelles pourraient être les conséquences de ces déficits sur la longévité des sportifs de haut niveau ? Il est évident que l’optimisation du statut en coenzyme Q 10 est véritablement l’une des clefs du vieillissement réussi, bien plus que la restriction calorique mise en œuvre sans nuance. Faute de disposer de ce bilan de manière routinière, voici quelques pistes à suivre dans l’optique d’un vieillissement réussi :
1) Maintenir une activité sportive régulière mais s’accorder aussi d’authentiques plages de récupération, pour se donner la possibilité de gérer correctement le stress oxydatif.
2) Vivre au maximum à l’abri de sources de radicaux libres, tabagisme direct ou indirect, les U.V. solaires (ne pas s’exposer au zénith en plein été et bien se protéger en altitude), et faire du sport relativement à l’écart des grands axes routiers
3) Garder si possible un poids stable et éviter les régimes restrictifs, de façon à ne pas favoriser de déficits à l’origine d’un surcroît d’oxydation dans les tissus et d’une baisse de l’ubiquinone cellulaire.
4) Augmentez les apports en aliments qui apportent du coenzyme Q 10 : maquereaux, sardines, abats, plutôt « bio » en ce qui concerne ceux-ci.
5) Veillez à ingérer une boisson en cours d’effort et à consommer des aliments glucidiques durant les efforts de longue durée, de façon à ne pas faire chuter trop fortement la disponibilité en glucose dans la cellule. Sans cela, la synthèse de coenzyme Q 10 sera affectée.
6) Veillez à adopter une ration à « haute densité nutritionnelle », avec des fruits de mer, des fruits secs et oléagineux, des dérivés de soja, des céréales complètes et des légumes secs, et une quinzaine de fruits et légumes différents sur la semaine, et ce toute l’année durant.
7) Si vous êtes contraint de prendre des statines il vous faut bénéficier impérativement d’une complémentation en coenzyme Q10.
8) Si vous prenez trop de repas à l’extérieur et ne pouvez pas assurer une diversité et une qualité alimentaire suffisantes, faites-vous prescrire, deux fois par an, une complémentation à base d’anti-oxydants. Même chose en cas d’antécédents personnels ou familiaux de cancer
9) Ajoutez suffisamment d’huiles à votre alimentation, de façon à garantir une bonne assimilation de molécules grasses : coenzyme Q10, lycopène, lutéine, bêta-carotène, vitamine E, flavonoïdes, éléments protecteurs n’aimant pas l’eau du tout !
10) Imprimez cet article et relisez-le régulièrement, jusqu’à la fin de votre vie…
(*) : « L’Equipe », 25/08/2009.
(**) : « L’Equipe » : 10/10/2009.
(***) : La « densité nutritionnelle » désigne un aliment (ou une ration) qui, en dépit d’un apport calorique faible, renferme énormément de nutriments utiles, vitamines, minéraux, anti-oxydants ou encore acides gras « oméga 3 ».
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Denis Riché, pour « Sport & Vie » – 2009
Photos : MCC
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