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La Caféine est-elle dangereuse pour les athlètes?

par | 26 Sep, 2023 | 0 commentaires

Quoi de plus banal qu’une tasse de café serré avant d’aller courir ? Popularisée pendant une trentaine d’années, dans le but de « stimuler » ou de favoriser la combustion des graisses avant l’effort, cette pratique a parfois été détournée sous la forme de compléments caféinés, mais n’est en rien anodine, comme de récents travaux le suggèrent…

1°) ELLE FAIT TOUJOURS RECETTE POUR SES EFFETS SUR LA VIGILANCE :

La caféine a figuré durant de longues années sur la liste des substances prohibées. C’était donc un dopant. Sans l’être… Tout était fonction de la dose et de la teneur mesurée dans les urines au moment du prélèvement. Or, selon la capacité de chacun à dégrader cette molécule, selon le mode de consommation, l’état d’hydratation, et bien d’autres paramètres, le seuil fatidique pouvait se trouver franchi alors même que les quantités ingérées étaient somme toute banales. C’était néanmoins exceptionnel. Rare en regard de la masse de coureurs. Trop fréquent pour ne pas provoquer des imbroglio juridiques. Surtout quand on sait que les avocats des dopés sont encore meilleurs que les médecins qui les conseillent. C’est tout dire ! Dans la plupart des cas, néanmoins, le risque de dépasser le seuil et de se trouver sanctionné se rencontrait en cas de prise de caféine non pas sous la forme de boissons, mais plutôt après administration de comprimés. Paradoxalement, à l’époque où son utilisation massive pouvait valoir une suspension à son utilisateur s’il commettait une erreur dans le protocole, les chercheurs du milieu sportif n’ont jamais cessé de travailler sur cette molécule… fournie sous forme de comprimés évidemment. Et beaucoup d’entre eux ont démontré un certain nombre d’effets qui positionnent encore plus clairement cette substance comme étant à même d’améliorer artificiellement la performance.

Où situer la frontière entre le détournement d’une molécule active et l’usage convivial et usuel de boissons contenant des alcaloïdes comme le café ? Nul ne peut vraiment le dire. De plus, la confusion est savamment entretenue par ceux qui, à une époque, pouvaient se ménager une porte de sortie en cas de contrôle positif. La très large utilisation de boissons riches en caféine dans le monde sportif (chez le tout-venant) et dans la population générale résulte avant tout de ses actions bien connues sur le système nerveux, ce que les physiologistes désignent sous l’expression « effets psychotropes ». Les possibles bénéfices qui s’ensuivent peuvent éventuellement influer sur le niveau de performance dans certaines disciplines où l’optimisation de la concentration et de la vigilance peut apparaître déterminante (comme dans le tir, le biathlon, les sports co), mais débordent largement dans la vie de tous les jours où des applications peuvent y être trouvées. Plusieurs travaux récemment publiés répondent à cette logique. Le premier, paru en l’an 2000 (1), envisageait d’aborder un réel problème de société : peut-on trouver un moyen de réduire la fréquence d’accidents automobiles graves touchant les jeunes de retour de sortie en boîte ? Le protocole mis au point par l’équipe du laboratoire de Recherche sur le sommeil de l’Université de Leicester, était à la fois très simple et ingénieux. Il a fait appel à un appareil simulant l’habitacle d’une voiture. Les auteurs de cette étude ont pu disposer d’un ustensile permettant d’enregistrer les ondes électriques du cerveau, de façon à suivre les états de veille ou de vigilance. Le principe de cette expérience a consisté à soumettre ces jeunes volontaires à une privation ou à une restriction de sommeil, à la suite de quoi, entre 6 h et 8 h du matin, on leur demandait de simuler la conduite d’une voiture. Il s’agit du créneau horaire le plus propice aux accidents graves, car il correspond à un creux de vigilance. Les sujets recevaient préalablement, à 5 h 30 mn, soit un placebo, soit 2 à 3 tasses de café délivrant 200 mg de caféine. Qu’est-il ressorti de ce test ? Chez les sujets ayant subi une restriction de sommeil, la prise de café a diminué les épisodes d’endormissement. Chez ceux qui avaient fait une nuit blanche, aucun test n’a pu être prolongé au-delà d’une heure, en raison de la fatigue des conducteurs et du cumul de fautes enregistrées. Par contre, grâce aux deux cafés, on relevait moins de sorties fictives de route durant la première demi-heure. Avantage très relatif malgré tout, puisqu’il suffit souvent d’une seule erreur de conduite pour se retrouver les deux pieds devant ! Les auteurs de cette étude ont conclu de ces résultats très parlants qu’en cas de nuit blanche, et dans l’optique d’un trajet de moins de 30 mn, la prise de café pouvait réduire le risque d’accident. Et que si le trajet de retour dépasse 30 mn, il est hautement recommandé de dormir avant de prendre le volant.

Plus récemment, le bénéfice procuré par la caféine a été étudié dans le cadre d’un voyage intercontinental. Ce sont différents services scientifiques militaires qui ont porté leur intérêt sur cette problématique de recherche (2). Les 27 sujets recrutés devaient effectuer un vol vers l’est, qui traversait 7 fuseaux horaires. Le même processus que précédemment permettait de suivre le sommeil nocturne et la somnolence du lendemain selon différents protocoles. L’un consistait à faire consommer de la caféine mise à disposition sous une forme particulière qui en permettait une libération progressive, un autre amenait à administrer de la mélatonine, un dernier reposait uniquement sur la prise d’un placebo. Cette forme particulière de caféine avait déjà été testée en 1996. Le produit est contenu dans une gélule constituée d’un matériau résistant à l’action des sucs gastriques, ce qui contribue à la fois à limiter les effets indésirables touchant l’estomac, et à prolonger la durée d’action de l’alcaloïde (3). Pour en revenir à l’étude conduite dans le cadre du vol intercontinental, il est ressorti de ses résultats que cette caféine limitait les épisodes de somnolence diurne, mais qu’elle perturbait par contre la qualité du sommeil nocturne. Mais il est clair que les adeptes des raids non-stop ou des courses par étapes, ou encore les cadres militaires, verront dans ce travail des retombées très intéressantes, à défaut d’être totalement éthiques. Mais le principe même de ce travail excluait ce genre de considération…

2°) ON L’ESSAIE DANS DES SIMULATIONS DE COMPÉTITION :

Après l’avoir perçue, sur le plan métabolique, comme un activateur de la combustion des graisses, on positionne aujourd’hui la caféine davantage comme un composé qui permet d’améliorer ses performances lors d’efforts très intensifs, indépendamment d’une action sur le mélange de carburants utilisés par les muscles (4, 5), les dosages requis étaient très élevés (autour de 9 mg/kg). Ce dosage exposait à un risque non négligeable de dépassement du seuil fatidique sanctionné par les textes anti-dopage. C’est pourquoi dans des tentatives plus récentes des dosages variés ont été proposés, comme dans cette étude où l’impact de la prise de CAF à hauteur de 0, 6 ou 9 mg/kg a été envisagé (6). Le protocole englobait des kayakistes, spécialistes des épreuves de 2 km, distance habituellement couverte, à leur niveau, en environ 7 mn, soit un temps de soutien proche de celui de la PMA. Les résultats tirés de cette étude sont intéressants. D’une part, ils apportent la confirmation qu’au dosage le plus élevé, celui auquel son efficacité avait préalablement été établie, la caféine se retrouvait dans les urines à un taux supérieur à celui qui, avant le 1er janvier 2004, occasionnait un résultat positif au test anti-dopage. Ensuite, à un dosage moindre (6 mg/kg, soit 420 mg chez un sujet de 70 kg, soit l’équivalent de 8 tasses normales de café), les chronos s’amélioraient aussi, mais sans enfreindre la loi anti-dopage. Pour autant, une telle consommation n’a rien de « normal », et la conduite « dopante » apparaît clairement dans cette étude, supervisée par des acteurs de santé… Versons encore à ce débat, pour ajouter à la confusion ambiante, que cette caféine n’était évidemment pas ingérée sous forme de café, mais sous forme de comprimés de caféine. Or, un récent travail montre que, à dosage de caféine égal, seule la caféine en capsules améliore les performances en endurance. Le café, c’est-à-dire la principale forme nutritionnelle sous laquelle la caféine est consommée de par le monde, n’est pas un ergogène (7). Ceci confirme bien que libéraliser la prise d’une substance efficace sous forme de capsules en réfutant le fait qu’il s’agisse d’un dopage n’est un progrès pour personne…

De surcroît, certains scientifiques prennent franchement des positions intenables d’un point de vue éthique. Deux équipes indépendants, l’une basée en Australie (subventionnée en partie par le Ministère des Sports local), l’autre installée à Toronto et sponsorisée par le groupe pharmaceutique Sandoz (devenu « Novartis » en France), n’ont rien trouvé de mieux que de tester l’efficacité comparée d’une boisson énergétique normal, d’une boisson caféinée et enfin d’une boisson renfermant cette caféine et un autre produit toujours soumis à restriction, à savoir l’éphédrine, souvent utilisé à des fins de dopage comme psycho-stimulant (8). Leurs travaux respectifs montrent que, sur une épreuve pédestre de 10 km, la présence de caféine et d’éphédrine dans la boisson consommée à l’effort procure une amélioration significative : en moyenne, ils gagnent une minute (45’42’’ contre 46’48’’ avec un placebo). Comment expliquer aux athlètes que, bien que publié dans une revue respectable, mené par un expert et subventionné par des acteurs de la recherche, ce travail sert simplement à montrer l’efficacité impressionnante d’une pratique dopante accessible à tout le monde. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ! », disait le philosophe.

Récemment, des auteurs se sont mis à plusieurs pour élaborer les meilleures recettes de cuisine. Il s’est agi de savoir si en divisant la dose de caféine en plusieurs prises (9), ou si en l’associant à du sucre on obtenait des effets plus marqués (10). Dans cette dernière étude, en particulier, c’est Coca Cola qui s’est mis sur les rangs pour démontrer que, à défaut d’être reconnue comme une boisson de l’effort en regard de notre législation, la boisson au cola la plus connue au monde est intéressante en raison de ses potentialités d’amélioration des performances. Aucune de ces deux stratégies n’a procuré d’avantage significatif.

Cela étant, une étude qui tentait d’établir si la présence de caféine dans une boisson de l’effort pouvait, comme on le craignait, occasionner des troubles gastro-intestinaux, n’a pas confirmé cette hypothèse (11). Par contre, elle a révélé que la présence de caféine semblait accélérer l’entrée du glucose dans les cellules, ce qui peut s’avérer favorable à la fois sur le plan de la réhydratation et sur l’aspect énergétique.

Des travaux et des observations antérieurs ont suggéré que ces bénéfices éventuels de la caféine étaient moins flagrants chez des sujets qui en consommeraient habituellement à un niveau élevé. D’où l’hypothèse selon laquelle un sevrage de quelques jours, avant la compétition et la prise conjointe de CAF, permettrait de récupérer, voire d’amplifier, l’effet hypothétique de cet alcaloïde. Un travail comparant l’efficacité d’un produit à base de caféine chez des consommateurs habituels soumis ou non à un sevrage préalable, n’a pas permis de montrer un quelconque avantage en faveur de ces derniers (12). En clair, il ne sert à rien de supprimer le café le vendredi et le samedi et d’en boire trois le dimanche pour ressentir un effet sur le plan chronométrique.

De tous ces papiers récents un a quand même retenu notre attention, car posant (et c’est le seul !), le problème des boissons caféinées sous l’angle de la santé. Ce récent article (14), confirme une publication vieille d’une décennie : Chez les jeunes filles, plus la consommation de sodas et de boissons au cola (light ou non) est importante, et moins leur squelette est solide. L’ingestion d’une demi canette par jour expose donc à un risque accru de déminéralisation osseuse. Compte tenu de l’hégémonie de Coca et de Pepsi chez les ados et les jeunes adultes, il y a de quoi s’inquiéter, d’autant que cette relation est indépendante du niveau de consommation de produits laitiers. Ceci signifie que la prise compensatoire de lait ou de yaourts ne rattrape rien ! 

3°) UN PROBLÈME CARDIO-RESPIRATOIRE EN ALTITUDE !

Une étude américaine, dont les résultats viennent d’être publiés, provient d’un champ radicalement différent. Il n’a pas été mené, pour sa part, dans l’optique d’améliorer la performance. Mais au contraire il avait pour but de détecter d’éventuels effets indésirables de la molécule. En l’occurrence, l’idée était la suivante (14). Il s’est agi d’évaluer l’effet de deux tasses de café sur le flux sanguin cardiaque chez 18 volontaires sains, consommateurs habituels de café, après les avoir soumis à un exercice physique ou mis en situation de raréfaction en oxygène. La situation n’avait donc rien d’irréaliste, et au moins la moitié de nos lecteurs peuvent s’y retrouver. Pour les besoins de ce test, et dans le but de pouvoir contrôler les paramètres, les jeunes sportifs dormaient dans une chambre d’altitude. Il est apparu que la caféine n’avait aucune influence sur le flux sanguin de repos. Par contre, elle a réduit le flux sanguin au niveau du cœur lorsque les volontaires étaient soumis à un exercice physique. La diminution était de l’ordre de 22%. Si, de plus, l’effort était accompli en altitude simulée, la diminution s’avérait encore plu spectaculaire, atteignant 39% ! Quel mécanisme est en jeu ? La caféine peut bloquer certains récepteurs de la paroi vasculaire et interférer avec les processus naturels de dilatation des vaisseaux qui devraient survenir dans ce contexte. Ajoutons que souvent, en altitude, le sportif est confronté à une relative déshydratation (due aux pertes par la ventilation). Celle-ci va contribuer à une diminution du volume plasmatique, et majorera donc ce phénomène. Au final, les investigateurs de cette étude s’interrogent sur l’innocuité de ce psychostimulant chez les sujets de plus de 40 ans, participant à un effort en altitude. Ces travaux ont en tout cas, de quoi jeter un certain froid sur le peloton, surtout en regard de sa moyenne d’âge, du développement du trail, confirmé encore en 2006, et enfin des mauvaises habitudes d’hydratation de la majorité des coureurs. Peut-être va-t-il falloir dissuader le plus grand nombre de continuer à consommer du café avant d’effectuer un effort intense, prolongé, ou se déroulant en altitude… Ajoutons que la modération est souvent prônée chez les hypertendus, surtout avant l’effort. En quelque sorte, ce travail suggère qu’il faille descendre le seuil de « vulnérabilité » à la caféine…

 ARTICLES CONSULTES :

(1) : Psychophysiology, (2000) : 37 : 251-6.
(2) : J.Appl.Physiol (2004) : 96 : 50-8.
(3) : Aviat.Space Environ.Med (1996) : 67 : 859-62.
(4) : Am.J.Physiol.,(1992) : 262 : E891-898.
(5) : J.Appl.Physiol., (1996) : 81 : 1653-63.
(6) : Med.Sci.Sports Exerc., (2000) : 32 (11) : 1958-63.
(7) : J.Appl.Physiol., (1998) : 85 : 883-9.
(8) : Med.Sci.Sports Exerc., (2002) : 34 (2) : 344-9.
(9) : J.Appl.Physiol., (2002) : 93 : 990-9;
(10) : J.Appl.Physiol., (2003) : 94 (4) : 1557-62.
(11) : J.Appl.Physiol., (2000) : 89 : 1079-85.
(12) : J.Appl.Physiol., (1998) : 85 (4) : 1493-501.
(13) : J.Bone Min.Res., (2003) : 18 (9) : 1563-8.
(14) : J.Am.Coll du 17 janvier 2006.

Denis Riché, pour « VO2 Marathon » – Février 2006

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