C’est un véritable défi qu’affrontent les chercheurs en nutrition lorsqu’ils se penchent sur l’état nutritionnel des ultra-trailers : celui de rester en bonne santé malgré une pratique sportive excessive. Explications par Denis Riché.
Nutrition researchers have to tackle a real challenge when they look into the nutritional status of ultra-trailers: staying healthy despite practising excessive sport.
Explanations provided by Denis Riché.
Actif’s Magazine :
Quels sont les besoins nutritionnels spécifiques des ultra-trailers ?
Denis Riché : On imagine aisément que la spécificité de l’ultra-trail tient à l’importance des besoins énergétiques, proportionnels au kilométrage couvert, à l’entraînement et en compétition.
Une telle manière d’aborder la question conduira, à coup sûr, à adopter des modes d’alimentation caricaturaux, déséquilibrés (trop riches en glucides, par exemple) et à rendre moins performants les coureurs concernés. Avec le recul de nombreuses années, je suis convaincu que le problème de l’alimentation de l’ultra-trail tient davantage à l’impact fonctionnel, physiologique, perturbateur, lié à ces efforts et à ces contraintes,
a fortiori en cas d’alimentation approximative.
Ayons en tête que la plupart des problèmes chroniques du trailer (surmenage, blessures répétées ou chroniques, infections récurrentes), si elles ont une origine nutritionnelle, sont plutôt liées à des manques subtils en certains « micronutriments» qu’à un défaut en éléments énergétiques.
Passées quelques premières expériences malheureuses où les néophytes tombent « en panne », faute d’avoir mangé et bu régulièrement au cours des épreuves, les ultra-trailers ne laissent
plus grand-chose au hasard les jours de compétition et ceux qui les précèdent. Informés par les supports écrits de plus en plus nombreux à traiter de l’ultra, ils savent quoi faire « en général», et il est très rare de rencontrer des coureurs n’ayant pas les gels, les boissons, les camelbags, les barres de toutes sortes dont les vertus sont largement vantées. Pour en revenir à mon propos initial, une défaillance sévère, une incapacité à récupérer d’une compétition, même avec plusieurs mois de recul, l’enchaînement d’hivers «pourris » entrecoupés d’arrêts pour maladies et de courtes reprises, ont souvent comme origine des apports inappropriés en divers micronutriments.
What are the specific nutritional needs of ultra-trailers?
One can easily imagine that the specifi city of ultra-trailing is given by the importance of energy needs, which are proportional with the mileage covered during the training and in competition.Addressing the issue in this way will defi nitely lead to adopting inappropriate and unbalanced dietary patterns (too rich in carbohydrates, for instance) and will thus make the athletes in question less effi cient. After so many years of experience, I am convinced that the diet of ultra-trail runners should rather take into account the functional, physiological and disruptive impact induced by these efforts and constraints, especially in the case of superfi cial diets. Let’s remind that most of the trailers’ chronic problems (fatigue, repetitive or chronic injury, recurrent infections), if they have a nutritional origin, they are related to subtle defi –ciencies in certain “micronutrients” rather than to a defi ciency in energy elements. After a few first unfortunate experiences where neophytes fall “down” because of not having eaten and drunk regularly during the race, the ultra-trailers leave no stone unturned during competition days and the ones before. Informed by the increasingly numerous written materials covering this subject, trail-runners “generally” know what to do, and there are currently very few runners with no gels, drinks, camel bags, bars of all kinds with widely praised virtues. Goigin back to my initial argument, a severe loss of energy, the inability to recover from a competition, even after several months, a sequence of “rotten” winters interspersed with sick leaves and short rebounds, are often caused by inadequate intakes of various micronutrients.
Actif’s Magazine :
A quoi sont dus ces déficits ou ces déséquilibres ?
Denis Riché : Si les causes sont multiples, il est néanmoins possible d’en pointer quelques unes. Tout d’abord, le désintérêt pour les micronutriments du monde de la médecine du sport ou de la nutrition du sport, en dehors d’une question récurrente, qui revient régulièrement depuis 30 ans : c’est celle de l’amélioration potentielle des performances grâce à des apports accrus en vitamines et en minéraux. Cette vision est totalement dépassée et déconnectée des connaissances scientifiques. La question de leur rôle et de leur place ne se pose pas ainsi. Mais maîtriser la question demande d’y consacrer du temps…
Conséquence de la première raison, un manque d’éducation nutritionnelle des trailers. Rien ne les avertit vraiment des risques potentiels des déficits micro-nutritionnels sur l’immunité, sur le risque de blessure. Très peu d’informations sont disponibles pour les aider à repérer les habitudes propices à ces déficits. Pour illustrer ceci, un trailer m’a demandé un jour : « Mais en dehors des pâtes, qu’est-ce que je dois manger ? »
Autre raison : l’appauvrissement des denrées, et ce problème dépasse de loin le seul champ de l’activité physique, puisqu’il nous renvoie au concept de santé durable, de prévention des pathologies chroniques. Ainsi, pour la plupart des végétaux, la richesse en certains éléments, magnésium, sélénium, oméga 3, pour n’en citer que quelques-uns, s’est effondrée en l’espace de deux générations. Cela a, bien sûr, un impact sur les cellules musculaires, nerveuses, intestinales, immunitaires et sur l’ensemble de nos fonctions en jeu dans l’effort de longue durée.
Certains besoins sont majorés sous l’effet de l’entraînement, et plus particulièrement ceux en relation avec nos défenses immunitaires. En effet, de manière physiologique, dans les heures qui suivent l’accomplissement d’un effort intensif ou de longue durée, nos défenses nous protègent moins bien. Ce phénomène a été baptisé « open window phenomenon », pour décrire la situation de certains sportifs victimes d’angine, en juillet, le lendemain d’une compétition, alors que d’autres n’en peuvent plus de cuire sur les plages. Cette vulnérabilité fait peu à peu le lit d’agressions chroniques, à bas bruit, qui requièrent une très importante mobilisation des micronutriments en jeu dans ces processus, sélénium, zinc, oméga 3 et d’autres… Pour résumer, la pratique du trail fragilise l’immunité et cet état conduit à une augmentation des besoins en certains éléments, que notre ration ne permet pas souvent de couvrir. L’augmentation des pertes sudorales à l’effort, si elles s’accumulent, peut selon le contexte, peut s’avérer délétère.
Enfin, la moindre assimilation de divers nutriments, à cause de l’impact de l’exercice de longue durée sur les fonctions digestives, peut entrainer des perturbations, qui peuvent se pérenniser et conduire à des problèmes chroniques d’assimilation et, dans certains cas de tolérance. La boucle se referme alors et s’amplifie…
Tous ces facteurs vont, peu à peu, affecter les fonctions immunitaires, digestives, cérébrales – attention, motivation, gestion du stress, du sommeil-, musculaires, hormonales et métaboliques. A ceci, s’ajoute l’aspect traumatisant de l’ultra – les agressions sont longues- et de l’activité. Ainsi, les microlésions- à durée égale- surpassent celles qui sont dues au vélo ; et si elles surviennent dans un contexte inflammatoire, leur ampleur s’accroît. La spécificité de l’ultra porte donc sur ce que je qualifie d’endurances digestive, immunitaire et cérébrale, qualités sans lesquelles il est impossible de terminer à bon port et de renouveler un tel effort.
What causes these deficiencies or imbalances?
day a trailer asked me: “Besides pasta, what else should I eat?”…
Another reason is the food supply decrease, and this problem goes far beyond the fi eld of physical activity, as it sends us to the concept of sustainable health, prevention of chronic diseases. Thus, for most plants, their richness in elements such as magnesium, selenium, Omega-3 fatty acids, to name only a few, collapsed in the gap between two generations.
This obviously impacts the muscle, nerve, intestinal and immune cells, as well as all our functions involved in long-term effort. Some needs are increased as a result of training, namely those related to our immune system.Indeed, in a physiological way, our defence system in the hours following the completion of an intensive or long-term effort does not provide full protection. This phenomenon has been called the “open window phenomenon” and describes the situation of some athletes who become victims of angina, in July, the very next day after a competition, while others can no longer stand lying in the sun. This vulnerability is gradually making room for silent chronic assaults which require a very signifi cant mobilization of the micronutrients involved in these processes: selenium, zinc, Omega-3 fatty-acids and more… To sum up, trail-running weakens our immunity and this leads to an increased demand for certain elements which our diet sometimes fails to cover. Increased sweat losses during exercise, if recurring, can, according to the context, become harmful. Finally, the defi cient assimilation of various nutrients due to the impact of long duration exercise on the digestive functions may cause interferences which can become permanent and can lead to chronic problems of assimilation and, in some cases, of tolerance. Thus, the loop closes while growing bigger…
All these factors will gradually affect the immune, digestive, brain functions – focus, motivation, stress management, sleep – as well as the muscle, hormonal and metabolic functions.
In addition, there is also the traumatic aspect of the ultra – the attacks are long – and of the activity. Thus, the micro-lesions – which last the same period of time – are more severe than the ones caused by cycling; and if they occur in an infl ammatory context, their severity increases.
The specifi city of the ultra is therefore determined by what I call the digestive, immune and brain endurance, qualities without which it is impossible to safely complete or start over.




Actif’s Magazine :
En quoi diffèrent-ils de ceux des athlètes d’autres disciplines ?
Denis Riché : Les besoins d’un individu se caractérisent par différents points. Il faut bien sûr évoquer la nature de l’activité. Pour autant, la dissociation sports d’endurance, sports de vitesse, sports de force ne colle plus du tout à la réalité et traduirait plutôt une profonde méconnaissance des processus en jeu dans une activité et des moyens mis en oeuvre à l’entraînement. Un trailer développe certes son endurance, mais également sa force, sa vitesse, sa concentration (s’entraîner de nuit à la frontale n’a rien à voir avec une sortie de difficulté équivalente effectuée entre midi et deux), et son aptitude à digérer à l’effort. Un handballeur développe sa vitesse, sa souplesse, sa force, mais aussi sa concentration, sa vigilance, ou son endurance. Autrement dit, si les aspects techniques mis en oeuvre et sollicités par les modalités d’entraînement varient, tout comme leurs parts respectives, les processus en jeu dans nos tissus sont similaires, et les molécules qui y prennent part sont les mêmes… ce qui implique que les besoins nutritionnels, par de nombreux aspects, soient proches. Au-delà de ce premier point, les particularités du sujet (ce dont il hérite), son épigénèse, son écosystème digestif, ses habitudes, ses goûts, ses contraintes de vie, ses intolérances vont également entrer en compte. Ainsi, un coureur qui prépare l’UTMB et travaille en «trois- huit », s’il suit le même entraînement que son collègue en poste de jour, présentera des besoins différents, à cause de l’impact de ces perturbations chronobiologiques, à la fois sur son appétit, son sommeil, sa récupération, l’efficacité de son métabolisme, ou encore ses envies alimentaires.
Enfin, l’histoire médicale antérieure (et présente) de ce coureur, mais aussi celle de sa famille, constituent les derniers ingrédients à entrer dans la recette. Les besoins sont-ils exactement les mêmes pour un premier coureur régulièrement sujet aux mycoses et aux coups de fatigue, et tel autre qui suit le même entraînement mais n’est jamais malade ? C’est finalement l’intégration de ces multiples paramètres qui amène à identifier les besoins nutritionnels et micronutritionnels du trailer en particulier, et de chaque sujet sportif en général. L’enjeu peut s’avérer complexe, et c’est là que les outils biologiques s’avèrent utiles. Ils nous montrent par exemple que, à entraînement et alimentation similaires, tel coureur plus fragile sur le plan immunitaire présentera plus souvent un stress oxydatif accru. Cette situation s’accompagnera d’une mobilisation accrue de certains nutriments pour « faire face », jusqu’à ce que cette sur-sollicitation aboutisse à un état de déficit qui, alors, entraînera une vulnérabilité immunitaire, un risque de blessure et un état de fatigue dont l’ampleur sera indépendante de la charge d’entraînement fournie. En règle générale, le coureur surmené s’entraîne beaucoup moins que quand il pétait la forme, et l’allègement de son entraînement sans stratégie micro-nutritionnelle individualisée et ciblée- n’y change rien.
Dans une telle situation, les experts évoquent souvent un état de « surentraînement ». Le terme, qui suggère que ce serait trop d’efforts qui auraient conduit à un tel état d’asthénie, ne convient que rarement. C’est pour cette raison que la recherche d’explications (et de solutions) à partir des seuls carnets d’entraînement (quand ils existent) n’aide en rien… d’autant que beaucoup de processus qui conduisent à l’épuisement se construisent sur plusieurs années, au travers de phénomènes particulièrement subtils. Les erreurs nutritionnelles en jeu ne sautent pas forcément aux yeux non plus, dans le sens où certains trailers, ayant adopté une alimentation équilibrée, plus riches en fruits , légumes, oléagineux, huiles de colza que la moyenne, comprenant une grande diversité de féculents et de
légumes secs, privilégiant les modes de cuisson peu agressifs, peuvent tout à fait, en dépit du soin apporté à leur alimentation, tomber au fond du trou. La pratique du trail est propice à ce genre de paradoxes ; ils nous révèlent simplement que, au-delà de ses propres limites d’adaptation, située en général en-deçà de là où il les voit, le coureur se met en état « dysfonctionnel ». Même en soignant ses apports nutritionnels, il ne parviendra pas à maintenir convenablement ses fonctions physiologiques.
Finalement, la vogue de l’ultra nous met au défi de rester en bonne santé malgré une pratique sportive excessive.
How are trail-runners different from the athletes in other fi elds?
Finally, the previous (and present) medical history of the runner, but also of his family, are the final ingredients to the recipe. Are the needs of a first runner regularly subject to fungal infections and tiredness the same as of another runner following the same workout but who never gets sick? It is ultimately the integration of these multiple parameters which really leads to identifying the nutritional and micro-nutritional needs of a trailer in particular and of any athlete in general. The issue can be complicated, and this is the point where the biological tools are useful. For instance, they show us that in conditions of similar training and diet, a runner with a weaker immune system will often display increased oxidative stress. This will be accompanied by an increased mobilization of certain nutrients to “deal with” the situation until this increased demand results in a defi ciency state
which then causes an immune vulnerability, a risk of injury and a state of fatigue whose magnitude is independent of the training undertaken. Generally, an overworked runner trains much less than when in good shape even so, without a targeted and individualized micro-nutrition strategy this won’t change anything. In such a situation, experts often refer to a state of “overtraining”. The term, which suggests that the excessive effort has led to such a state of weakness, is only rarely suitable. This is why the search for explanations (and solutions) taking into account only the training booklets (when they exist) is of no help… especially since many of the causes which lead to exhaustion are formed over several years, through particularly subtle phenomena. The nutritional errors involved are not necessarily self-evident given the fact that some trailers, having adopted a balanced diet rich in fruits, vegetables, oilseeds, rapeseed, as compared to the regular one which includes a variety of starches and pulses, and who focused on less aggressive ways of cooking, may well, despite the interest taken in their diet, hit the bottom. Trail-running is illustrative of this kind of paradoxes; it simply reveals that, beyond his own adaptation limits, generally located farther on than estimated, the
runner gets into a “dysfunctional” state. Although careful with his nutritional intake, he will fail to properly maintain his physiological functions. Finally, the popularity of the ultra challenges us to stay healthy despite excessive sport.
Actif’s Magazine :
Quelle place la micronutrition occupe-t-elle actuellement ? ou devrait-elle occuper ?
Denis Riché : Dans ce contexte, la micronutrition aide à optimiser l’adaptation, à reculer les limites de « tolérance », mais ne constitue pas un blanc-seing vers une activité athlétique inconsidérée. C’est faux de penser que, grâce à la micro-nutrition, on pourra faire davantage d’efforts que ce que notre corps peut supporter. On retardera simplement l’heure du crash. A moins de
la coupler à un entraînement intelligent. Celui qui dure n’est pas celui qui court le plus, mais celui qui s’entraîne le mieux. Ce cocktail subtil qui amène à jongler avec entraînement, travail, repos (on ne le souligne jamais assez, il a une utilité métabolique
et immunitaire), sommeil, famille, loisirs, préparation des repas, massages et micro-nutrition peut rendre plus digestes des menus très copieux.
in this context, micro-nutrition helps optimize adaptation, extend the “tolerance” limits, but is not, however, a blank cheque for a reckless athletic activity. It is wrong to think that, thanks to micronutrition, we can make greater efforts than our body can handle. We simply delay the time of the crash.
Unless we add nutrition to sensible training. The winner is not the one who runs the most, but the one who trains the best. This subtle cocktail mixing training, work, rest (it is never stressed enough that rest has a metabolic and immune utility), sleep, family, hobbies, cooking, massage and micro-nutrition can make heavy meals easier to digest.
Denis Riché pour Actif’s Magazine : Mai – Juin 2014 /N°40 / L’Actualité des Ingrédients Fonctionnels & Santé
Photos : Philippe ENG & Girls Band
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