A quoi reconnaît-on un marathonien ? Au fait qu’il mange toujours des nouilles. Sans sombrer dans la caricature, avouons que ce cliché a la vie dure… et c’est peut-être dommage !
DES RÉGIMES FONDES SUR L’ETUDE DES MUSCLES :
Dans la plupart des ouvrages de vulgarisation scientifique, on aborde la diététique sportive par des analogies de type mécanique. En clair, on compare l’organisme à une voiture qui aurait besoin d’essence pour produire de l’énergie. Il existe trois types de molécule, présentes dans nos aliments, qui nous servent de carburant. Il s’agit des sucres, des graisses et des protéines. On parle aussi de glucides, lipides, protides. Mais c’est la même chose! Depuis un siècle environ, des scientifiques se creusent la tête pour essayer de déterminer les bonnes recettes. Il s’agit en somme de passer du contenu de l’assiette au réservoir de carburant du muscle. Les premiers travaux ont porté sur le rôle énergétique potentiel des différents constituants de notre ration. C’est de cette époque que date la découverte du rôle central des glucides dans la fourniture d’énergie. Cette observation remonte au début du XXe siècle. Très tôt, on a en effet pu démontrer que, parmi les sportifs, ceux qui observaient une alimentation riche en glucides lors des trois jours précédant un effort important et intense tenaient au moins deux fois plus longtemps que ceux qui suivaient un régime riche en lipides. De cette époque, nous est restée l’habitude de manger beaucoup de pâtes la veille d’un effort soutenu ou prolongé.
En 1962, Bergström et ses collègues scandinaves développèrent une nouvelle technique qui devait révolutionner la physiologie: la biopsie. Grâce au prélèvement de petits échantillons de tissus musculaires, on pouvait évaluer le niveau des réserves en glycogène. A l’époque, on pensait que le stock initial de glycogène dans le muscle constituait un facteur décisif de performance. On cherchait donc par tous les moyens à l’élever le plus haut possible. Lors d’une expérience restée célèbre, on a demandé à des sujets peu entraînés d’effectuer une séance intense sur une bicyclette particulière, munie d’une seule pédale. Ce système, très souvent repris par la suite, permet d’épuiser les réserves de glycogène d’un seul côté, celui de gauche par exemple, et de comparer ensuite avec les résultats de la jambe droite. A l’issue de ce premier test, les cobayes se reposaient trois jours au cours desquels ils recevaient une alimentation particulièrement riche en glucides. Des biopsies étaient ensuite effectuées à droite et à gauche qui montraient un taux de glycogène dans la jambe gauche presque deux fois supérieur au taux normal de la jambe droite. Ils en déduisirent que la combinaison d’un effort épuisant et d’un régime riche en glucides permettait l’élévation des capacités de stockage, selon un processus de « surcompensation ». En clair, les capacités de stockage s’élèvent plus haut que la normale! Aujourd’hui encore, beaucoup d’athlètes observent ce principe en se livrant à un effort épuisant trois jours avant la date fatidique de la compétition.
Par la suite, les chercheurs scandinaves imaginèrent des protocoles de plus en plus complexes avec la combinaison d’efforts et de régimes parfaitement artificiels qui consistaient à exclure tantôt les graisses, tantôt les sucres. Ils aboutirent ainsi à ce qui fut appelé le Régime Dissocié Scandinave (RDS).
Ces travaux permirent de dévoiler la place essentielle des glucides, au point que cette famille de molécules fut bientôt considérée comme le meilleur carburant de l’effort. Les glucides génèrent peu de déchets et surtout permettent de dégager une grande énergie en un minimum de temps. Les recherches se focalisèrent littéralement sur ce composé. C’est d’ailleurs à la lumière de cette démarche que Tim Noakes déclara un jour sur un ton plutôt critique : « la profession de nutritionniste du sport consiste le plus souvent à chercher le meilleur moyen de gaver des sujets sains avec des glucides ! »
SUCRES RAPIDES, SUCRES LENTS, UNE FAUSSE IDÉE :
L’étape suivante consistait à ranger les glucides selon leurs caractéristiques, pour peaufiner davantage la nature des conseils à donner. Toujours est-il qu’on choisit d’instaurer deux grandes catégories: les « simples » et les « complexes ». Vous l’aurez deviné: les premiers possèdent une structure chimique plus rudimentaire que les seconds. On peut les comparer à des petits trains constitués d’un ou deux wagons, par rapport à d’immenses convois de plusieurs centaines voire milliers de rames qui utiliseraient les mêmes voies. Le wagon en question reçoit le nom de « monosaccharide » (littéralement « le sucre seul »). Les glucides simples regroupent donc ce genre d’attelage à une rame (monosaccharide) et à deux rames (disaccharides). On trouve dans cette catégorie toute une série de substances au nom vaguement familier: glucose, fructose, dextrose ou galactose. C’est encore le cas du saccharose (le sucre blanc avec lequel on saupoudre les fraises) ou encore du lactose (présent dans le lait). Ces sucres simples possèdent une saveur caractéristique propre à tous les aliments où ils abondent: sucre, miel, gelée, confiture, etc. Ils ont un goût sucré. C’est aussi bête que cela! Quant aux glucides complexes que l’on comparait à d’immenses convois, ils sont effectivement nettement plus encombrants et là s’arrête d’ailleurs la comparaison ferroviaire, dans la mesure où ces molécules sont tellement longues et larges qu’il leur faudrait circuler sur plusieurs voies en même temps avec des ponts latéraux qui relieraient les trains entre eux. Des structures aussi complexes permettent à ces glucides d’exister dans des milliers de formes différentes. Parmi eux, deux représentants se taillent tout de même la part du lion: l’amidon dans le règne végétal, et le glycogène dans le règne animal. A l’inverse des glucides simples, ces aliments n’ont pas cette saveur sucrée caractéristique. Heureusement d’ailleurs, sinon, nous serions vite écœurés. Pensez à l’amidon qui se trouve dans les pâtes, le pain, le riz. Nous en avalons de grandes quantités chaque jour. Un goût sucré le rendrait proprement immangeable. Ce que nos palais apprécient justement, c’est cette saveur plus neutre rehaussée par l’accompagnement. Sa lourde configuration moléculaire ne nous pénalise pas non plus puisque nous sommes capables de la transformer tout au long des processus de digestion. Par le biais d’une multitude d’enzymes, les wagons se détachent les uns après les autres. Ils sont ensuite reconstitués sous forme de glycogène, plus facile à utiliser dans la perspective des efforts à venir. L’intérêt du sportif serait évidemment de pouvoir emmagasiner un maximum de glycogène avant l’effort pour s’assurer de ne jamais tomber à court de carburants.
Malheureusement, ce n’est pratiquement pas possible. Notre capacité de stockage se trouve limitée à environ un demi-kilo par personne en réserves, principalement réparties dans les muscles et dans le foie. On ne peut pas faire mieux. Si l’on continue de manger des glucides alors que les réserves sont au maximum, d’autres filières de transformation vont se mettre en place qui n’orienteront plus les molécules d’amidon ou d’autres glucides vers la formation de glycogène, mais les transformeront en graisses dont les réservoirs sont beaucoup plus importants et même pratiquement infinis. Ainsi, des personnes très obèses sont capables d’accumuler des dizaines, voire des centaines, de kilos de gras, sans pouvoir à aucun moment dépasser les 400 ou 500 grammes alloués pour le stockage du glycogène.





L’INDEX GLYCEMIQUE VIENT NUANCER LE DISCOURS :
Depuis un quart de siècle, de nouvelles techniques scientifiques ont permis de suivre assez précisément le devenir des glucides dans l’organisme. On a pu mesurer, par exemple, la vitesse avec laquelle ils passaient dans le sang. Cela a permis de classer les aliments selon leur « index glycémique ». En résumé, on compare leur vitesse de diffusion avec celle d’une même dose de glucose à laquelle on attribué arbitrairement la valeur 100. Un aliment dont l’index est de 40 provoque une perturbation de la glycémie égale à 40% de celle due à la prise d’une quantité équivalente de glucose.
Lorsqu’on s’est prêté à ces mesures, on s’attendait évidemment à ce que ces glucides se rangent bien sagement dans les catégories rapide ou lente selon leur structure simple ou complexe. Eh bien, pas du tout! L’expérience n’a pas permis de démontrer une quelconque cassure entre les performances des deux groupes et les résultats de chaque glucide s’inscrivaient dans un continuum, comme à l’arrivée d’un marathon où existe un flot ininterrompu de coureurs entre 2 h 30 et 5 h d’effort, sans que l’on puisse véritablement ériger de distinctions selon leur taille ou leur complexité chimique. Aujourd’hui, on admet que toute séparation en deux groupes sur la base d’une hypothétique différence dans leurs vitesses d’assimilation est erronée. Ainsi, les glucides simples ne sont pas forcément rapides car, même si c’est souvent le cas (glucose, saccharose, dextrose), il existe de fameux contre-exemples. Les fruits par exemple sont très riches en fructose, un glucide qui se comporte en sucre lent malgré sa structure chimique. A l’inverse, certains glucides complexes diffusent très rapidement. Ceux du riz, du pain blanc ou de la purée de pommes de terre parviennent presque aussi vite dans le sang, que ceux du morceau de sucre dissout dans le café. Il faut bien reconnaître que ces constatations ont un peu brouillé les esprits. Dans la foulée, on s’est aperçu que beaucoup d’autres paramètres exerçaient une influence sur l’assimilation des sucres, notamment la composition des repas. Lorsqu’on prend un peu de graisse en même temps qu’un plat de glucides, on ralentit en réalité leur assimilation. Voilà qui justifie la noix de beurre dans la purée ou le fromage dans les pâtes. Au fil des découvertes, les recommandations diététiques ont perdu leur petit côté dogmatique. Aujourd’hui, on se contente de recommander des boissons énergétiques riches en glucides pendant et surtout après l’effort, de façon à ce que la recharge des réserves énergétiques se fasse le plus efficacement possible. En revanche, on conseille de boire de l’eau et de choisir des aliments complets dans la vie de tous les jours en laissant une grande place aux légumes secs et aux fruits de toute nature. Et surtout, on remet en exergue l’intérêt d’autres catégories d’aliments.
LES TROIS TIERS, UN SYSTEME PAYANT:
Avec l’intérêt croissant pour les micronutriments, (vitamines, minéraux, oligoéléments) et pour leurs rôles cruciaux pour le bon fonctionnement de notre organisme, les scientifiques se sont peu à peu rendus compte que les aliments dotés des vertus protectrices les plus importantes, les fruits, les légumes et certaines huiles, étaient très souvent les parents pauvres de la ration du coureur. La nécessité de remédier à cette lacune est rapidement apparue comme une nécessité absolue. Pour en porter la consommation à un niveau suffisant, il est indispensable de procéder à des choix précis : manger plus de fruits, de légumes et davantage d’huile, de noix, de noisettes ou d’amandes. Du fait que nous ne disposons pas d’un appétit infini, il devient évident, compte tenu des volumes que représentent ces aliments végétaux, que les portions de féculents vont s’en trouver diminuées. Est-ce un problème ? Quand on évoque ce revirement, beaucoup de coureurs redoutent de diminuer leur apport glucidique, de peur de manquer d’énergie. Car pour eux : « pâtes = carburant ». Effectivement, de raccourci en approximation, on a fini par laisser se propager cette idée fausse. Or, sauf lorsqu’on évolue à une intensité supérieure ou égale au seuil- ce qui représente rarement plus de 10% du temps total de course sur la semaine- l’essentiel de l’énergie utilisée par le muscle ne provient pas des glucides, mais des graisses. Il s’agit de celles qu’il capte au niveau sanguin et de celles qu’il a stockées. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de la course : proposer un moyen de brûler une quantité significative de lipides de réserve et apprendre au muscle à le faire de mieux en mieux. Sinon, comment espérer maigrir en s’entraînant ? De récents travaux montrent même que si on consomme une quantité approprié d’acides gras « oméga 3 » (400 g par semaine de poissons bleus, deux cuillerées à soupe par jour d’huile de colza- sans compter celle d’olive qui n’en contient pas mais possède d’autres vertus), alors on apprend au muscle à brûler davantage de graisses pour n’importe quel niveau d’effort situé en dessous du seuil anaérobie. On constate en outre, dans certains cas, d’intéressantes pertes de masse grasse, chez des coureurs et des coureuses préalablement scotchés au dessus de leur poids de forme. Cela s’observait une fois qu’ils eurent accepté d’accroître leur ration lipidique. De plus, leurs performances ne s’étaient pas détériorées, comme dans l’expérience de Barbara Muoio, menée auprès de coureurs confirmés.
Cet récent regain d’intérêt pour les graisses répond à d’autres raisons encore plus importantes que le seul aspect énergétique. En effet, à partir de certaines graisses des familles « oméga 6 » et « oméga 3 », on fabrique des molécules qui contrôlent l’inflammation, le risque d’allergie, la qualité de la circulation, ou encore la dilatation des artères. Si on mange trop de glucides et trop peu de lipides, ces mécanismes complexes dysfonctionnent, et les risques d’inflammation, d’allergie, de vasoconstriction, ou de formation de caillots augmentent fortement. Dans ce contexte, en dépit de réserves de « super » maximales, les sportifs ne se trouvent pas dans des conditions optimales pour réaliser les meilleures performances possibles. Cela explique que je revienne de plus en plus sur l’intérêt des régimes trop riches en féculents qu’on propose aux sportifs. Leur justification théorique ne tient pas du tout compte de ces phénomènes si importants. Seules existent, aux yeux de certains physiologistes, les expériences de biopsies musculaires, comme si ce critère résumait à lui seul la santé de l’athlète !
Cette revalorisation des « bonnes » graisses » n’oblige, de fait, à manger de copieuses portions de féculents qu’à l’occasion des séances difficiles, avant les sorties longues ou avant une compétition. Dans ce dernier cas on augmente leurs tailles de 30 à 40% pendant 48 à 72 h. Mais le reste du temps, on devra les placer à égalité avec les légumes et les sources de protéines animales, dans un contexte comprenant suffisamment de graisses. De ce fait, d’un point de vue pédagogique, on passera de « pâtes deux fois par jour » au modèle des « trois tiers » midi et soir : Un tiers de protéines (éléments bâtisseurs), un tiers de féculents (éléments énergétiques) et un tiers de légumes (éléments protecteurs). La consommation de deux fruits quotidiens, d’huiles, et la présence plus régulière de poissons permettra d’assurer un parfait équilibre nutritionnel, aussi bien sur le plan protéique, que sur ceux de l’apport énergétique, de la diversité minérale, de l’équilibre acido-basique ou de la richesse en anti-oxydants. La santé et les performances iront de concert vers une valeur optimale.
Dans ce contexte-la, si vous devez perdre du poids, consommez les féculents au cours du repas qui fait suite à la séance. Et les jours sans entraînement, prenez-en seulement le midi, éventuellement en portion moindre, plutôt sous forme de légumes secs ou de céréales complètes, mois susceptibles de faire grimper l’insuline, dont l’élévation constitue un phénomène défavorable à l’amaigrissement. Maintenant, à vous de jouer !
Denis Riché, pour « VO2 Run in Live » – 2007
Photos et création : Philippe ENG & Girls band
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