La biologie offre aujourd’hui de précieuses indications en ce qui concerne le risque de cancer. Ces marqueurs seraient perturbés chez beaucoup de malades… et chez des sportifs de haut niveau.
L N’Y A PAS QUE LE DOPAGE DANS LA VIE…
Le 11 juin 2009, l’ancien champion cycliste Laurent Fignon rendait publique l’existence de son cancer. Malgré la sévérité de la maladie, il a continué à exercer son activité de consultant, y compris cette année où, cependant, ses prestations ont suscité moult commentaires. Non pour leur contenu, souvent pertinent, mais pour l’émotion provoquée par ses difficultés à parler. Bien que diminué par la maladie et les traitements, il a cependant gardé tout son sens de l’analyse et émet un avis lucide sur ce qui lui arrive : « De toute façon, le sport de haut niveau ce n’est pas bon pour la santé ! » déclara-t-il ainsi au cours d’une récente interview (*). Evidemment, la première explication qui est spontanément venue à l’esprit des journalistes et du public, quand Fignon lâcha cette information, fut celle du dopage. Elle est apparue d’autant plus cohérente que l’ancien cycliste de l’équipe Renault a pratiqué une discipline souvent montré du doigt (à juste titre), et qui a déjà connu le précédent de Lance Armstrong, entre autres cas. Sans oublier que dans son ouvrage (**), il reconnaît ainsi avoir pris des amphétamines et de la cortisone lorsqu’il courait. « Mais, explique-t-il, cela faisait partie de notre mode de vie. C’étaient des excitants. J’ai expliqué ce que nous faisions aux médecins. Pour eux, ça ne peut pas être ça. Ce serait trop simple. Si tous les cyclistes qui en ont pris devaient avoir un cancer on en aurait tous.» Si la deuxième partie de son argumentation n’est pas très rigoureuse et facilement réfutable, ne serait-ce qu’en regard du délai parfois très long qui sépare l’exposition à des facteurs de risque et le déclenchement du cancer, la première pose une vraie question. Sa survenue est un processus compliqué, qui nécessite la conjonction de nombreux éléments, de même qu’un puzzle est constitué de multiples pièces imbriquées. L’exposition aux facteurs environnementaux, dont le dopage, est un élément déterminant. Au même titre que d’autres acteurs tels que la pollution, les ultra-violets, le stress, les agents infectieux, ou encore que d’autres éléments qui, tels que la nutrition ou les prédispositions génétiques, déterminent en partie notre vulnérabilité. Ce n’est donc pas seulement une affaire de dopants. De fait, si le cancer frappe des sujets non-sportifs, non utilisateurs de tels produits, c’est bien parce que d’autres éléments jouent un rôle essentiel. Parmi ceux-ci, les experts s’accordent aujourd’hui à en incriminer plus particulièrement deux (***). Le premier concerne les défauts de « méthylation ». Pour faire très simple, ce dernier phénomène participe à ce qu’on nomme l’épigenèse, c’est-à-dire que son bon déroulement permet d’allumer ou d’éteindre, à l’égal d’un interrupteur, certains gènes impliqués dans la survenue du cancer (voir « Sport et Vie » n°81). Les chercheurs n’en sont qu’au début de cette piste très importante mais, d’ores et déjà, on sait que les déficits en certaines vitamines (les folates ou vitamine B9), favorisent une mauvaise extinction de gènes défavorables, comme lorsqu’on oublie d’éteindre en sortant d’une pièce (26-7). Ils augmentent donc le risque de développer une « longue et douloureuse maladie », comme on dit pudiquement.
Le second renvoie à une piste plus classique : La présence d’un trop important « stress oxydatif », c’est-à-dire d’une agression excessive par les « radicaux libres ». Soit qu’on en produise trop, soit qu’on les neutralise mal. Le dernier ouvrage de David Servan-Schreiber (25) est, sur ce point, très explicite. Parmi les moyens de prévention à notre disposition, les végétaux dotés de vertus anti-oxydantes occupent une place majeure. Or, la pratique sportive, mais aussi l’effet aggravant de multiples autres facteurs auxquels les sportifs se trouvent exposés, peuvent contribuer à la formation accrue (et parfois excessives) de ces entités instables. D’où la question qui se pose alors. Laurent Fignon a-t-il raison de mettre d’abord en avant le sport de haut niveau comme cause de son cancer ?
DE QUOI PARLE-T-ON VRAIMENT ?
Il n’est pas rare que les sportifs, en début de saison pour se remettre en condition, ou en fin de championnat pour se régénérer, partent « s’oxygéner ». Il n’existe peut-être pas une expression moins appropriée que celle-ci. Certes, la présence d’oxygène dans notre atmosphère contribue à la présence de vie humaine sur la Terre, et à la production de travail musculaire. Mais l’excès d’oxygène peut aussi favoriser la disparition de cette vie qu’elle a fait naître. A cause de l’oxydation qu’elle provoque. Depuis les premiers travaux que lui ont consacrée Lavoisier et Priestley à la fin du XVIIIe siècle, on sait que, indispensable à la vie, l’oxygène possède une telle réactivité vis-à-vis des matières organiques que, si on ne disposait pas de moyens de neutralisation adéquats, tous les tissus se consumeraient spontanément dans l’atmosphère terrestre. Elle est en effet capable d’arracher des électrons aux molécules qu’elle rencontre. C’est ce qu’on nomme l’oxydation, phénomène dont on étudie les rudiments dans les classes de chimie. Les changements de couleur des réactifs qui surviennent dans les tubes à essai, toujours spectaculaires et garants d’un moment de gloire pour les boutonneux des paillasses qui maîtrisent les mystères de ces réactifs, témoignent des mouvements de ces électrons. Rappelons qu’une molécule à l’état stable est composée d’un noyau fait de neutrons et de protons à charge positive, autour duquel gravitent des électrons à charge négative, sur différentes orbites. Les électrons de la couche la plus externe se trouvent toujours appariés, en doublets. Si un électron est arraché, son compagnon devient célibataire. C’est ce qui arrive en présence d’oxygène. La molécule n’est plus stable. C’est cette molécule dépareillée qu’on appelle une molécule radicalaire.
Du fait que la pratique sportive contribue à augmenter temporairement la consommation d’oxygène, on lui attribue une part de responsabilité dans la production de ces molécules. Cela sera d’autant plus vrai si on l’accomplit en altitude, dans une ambiance thermique défavorable (4, 5) ou polluée. D’autres processus contribuent à la fabrication de formes radicalaires oxygénées. On en produit par exemple davantage lorsqu’on met en jeu nos défenses immunitaires, dont certains acteurs détruisent les agents pathogènes grâce aux radicaux libres qui seront, ensuite, libérés dans le tissu infecté. Toute infection génère donc des formes radicalaires oxygénées. Certaines voies métaboliques en produisent aussi, tout comme lors de l’inflammation (en jeu lors de la réparation des tissus) ou lors du travail de détoxication du foie. Par exemple, chez un gros consommateur de médicaments, chez un individu avalant des aliments riches en contaminants ou pesticides, chez un patient soumis à une anesthésie ou à un stress chirurgical, davantage de radicaux libres seront produits, de manière occasionnelle ou, plus grave, de façon chronique. C’est leur excès ou leur mauvaise neutralisation qui vont se traduire par des effets défavorables, variables selon les individus, pouvant aller jusqu’à la survenue du cancer. Pour en revenir à Laurent Fignon, l’entraînement, le stress, l’altitude, la pollution, l’inflammation n’ont pas joué un rôle négligeable, ce qui peut effectivement autoriser à pointer du doigt davantage le sport de haut niveau que le seul dopage qui peut en accompagner la pratique. Et chez d’autres ex-coureurs, moins vulnérables a priori, le même contexte ne donnera pas forcément lieu à l’apparition de la maladie. L’environnement du sportif, le fait qu’il partage sa vie avec une fumeuse ou un fumeur, vive en ville plutôt qu’à la campagne, s’alimente mal ou doive régulièrement consommer des médicaments va évidemment fortement conditionner la nature de la réponse de chacun au stress de l’entraînement, souvent autant que l’entraînement lui-même. Et il en va de même chez le sédentaire qui, éventuellement soumis à ces agressions et dotées de défenses défaillantes sera en mesure, au bout d’une dizaine d’années, de développer un cancer. C’est cette variabilité, imprévisible a priori, qui justifie, aux yeux de Luc Montagnier (16), la réalisation de bilans biologiques ciblés, à la fois pour établir un état des lieux à un instant « t » chez un individu « x », mais aussi pour repérer d’éventuelles vulnérabilités. Nous ne sommes en effet pas tous dotés des mêmes potentialités et, face à un même niveau d’agression, nous ne nous en sortirons pas tous de la même manière, comme on va le voir.






LES ANTI-OXYDANTS NOUS VEULENT DU BIEN :
Pour protéger nos cellules et nos tissus, nous disposons de moyens variés qu’on désigne sous l’expression « défense anti-radicalaire ». De fait, nos capacités à gérer le stress oxydatif dépendent à la fois de nos gènes (pour lesquels existe ce qu’on nomme un « polymorphisme ») et de notre alimentation (où nous montrons des modes de fonctionnement très variés). Pour se défendre, l’organisme dispose en effet de deux moyens complémentaires. Le premier rideau défensif est constitué d’enzymes spécialisées, fabriquées par nos cellules, telles que la « glutathion peroxydase » (GPX), la « superoxyde dismutase » (SOD), ou la « catalase ». Les deux premières sont désormais proposées de manière routinière dans le cadre des bilans « anti-ageing » ou de la prévention du cancer. On les dose aussi parfois dans le cadre du suivi des sportifs de haut niveau (23). Etonnamment, la proportion d’anomalies est très proche au sein des populations de sujets ayant ou ayant eu un cancer, et chez des athlètes professionnels en pleine activité. Bien malin qui peut prédire, compte tenu du délai nécessaire à l’apparition de la maladie et de la multitude de facteurs en jeu, si les sportifs pousseront plus loin le mimétisme au cours de leur vie et seront eux aussi victimes d’un cancer. Mais l’interrogation se justifie.
Notons que pour donner leur pleine mesure, ces enzymes, qui neutralisent les radicaux libres à mesure qu’ils apparaissent dans les cellules, ont besoin d’adjoints (qu’on nomme des « cofacteurs »), fournis par notre ration. La « SOD », par exemple, fait appel au cuivre et au zinc lorsqu’elle se trouve dans le cytoplasme, et au cuivre et au manganèse lorsqu’elle agit dans les mitochondries. La GPX, pour sa part, a besoin de sélénium. C’est ce qui explique que ces différents oligo-éléments soient considérés comme des anti-oxydants (13, 17, 21). L’un des éléments à considérer est le suivant : Au sein des populations de sujets ayant déjà eu un cancer, la valeur moyenne du sélénium plasmatique est très basse, de l’ordre des 2/3 environ de la borne inférieure de la norme. Tout sujet déficitaire en sélénium ne fera pas un cancer. Mais la plupart de ceux d’entre nous qui souffriront de cette maladie présentent ou auront un déficit en cet élément. Et inversement, une complémentation en sélénium, par son effet bénéfique sur l’activité des cellules tueuses anti-cancer (les « Natural Killers ») confère une protection accrue relativement à un placebo (11). Comment prédire le risque d’un tel événement ? En fait, le statut en sélénium est un bon reflet de la diversité et de l’équilibre alimentaire. Plus on consomme d’aliments différents en une semaine, et plus le risque de déficit chute. On peut donc s’inquiéter à plus d’un titre lorsque, comme en juillet 2010, on constate que 90% des joueurs d’un effectif d’une équipe de foot professionnelle hexagonale sont déficitaires (observation non publiée) ! Mais cela est souvent logique en regard de la monotonie souvent caricaturale de leur assiette !
Le second rideau est constitué par ceux qu’on nomme les « piégeurs » de radicaux libres. En cas d’échappement à cette première ligne de défense, ou de production excessive qui la déborderait, la neutralisation des FRO peut encore être assurée par des constituants apportés par l’alimentation- et plus particulièrement le règne végétal- (Vit E, Vit C, Vit A, caroténoïdes, polyphénols par exemple…) ou synthétisés par l’organisme (acide urique, albumine, bilirubine, taurine…). Outre l’intime liaison entre gène, entraînement et environnement alimentaire, il existe une synergie incontournable entre les différents agents antioxydants, un seul ne pouvant rien si tous les autres ne sont pas disponibles et, qui plus est, si un seul est manquant, la protection est compromise. Le dernier maillon de cette chaîne n’est autre que le glucose…Quand la cellule en manque, l’ensemble du système de protection boîte et on s’oxyde. De récents travaux (14) ont d’ailleurs montré que, comparativement à un groupe de coureurs ayant consommé une boisson édulcorée indiscernable de la précédente, ceux qui avaient pris du glucose à l’effort fabriquaient moins de molécules oxydées au cours de cette séance standardisée d’une heure. Consommer une boisson énergétique protège donc les tissus d’un surcroît d’agressions ! On peut ajouter que d’autres acteurs comme le coenzyme Q10 participent, de manière annexe, à cette action collective, notamment au sein de la mitochondrie, c’est-à-dire au cœur du réacteur nucléaire de la cellule, là où beaucoup de dérivés oxydés se forment (1). Depuis peu, on procède au dosage de ce coenzyme Q 10 au sein des membranes des globules blancs, exauçant en cela l’un des vœux du Pr Montagnier. Les résultats sont franchement catastrophiques, que ce soit chez les cancéreux, ou chez les sportifs ! Or les déficits en cet élément fragilisent nos défenses (6, 7), tout en affectant les aptitudes aérobies et en accroissant le stress oxydatif (22). On note, chez ces sportifs, plus de 70% de déficits en coenzyme Q10 (22) ! Chez des seniors, les taux de coenzyme Q10, de sélénium et de zinc déterminent le niveau d’activité des « Natural Killers » (20). C’est un risque supplémentaire de se trouver fragilisé… mais il est difficile à appréhender du fait que et la note sera présentée bien plus tard.
ALORS, VAIS-JE MOURIR ?
La biologie du stress oxydatif a souvent adopté deux approches qui évoquent les discours de deux boxeurs avant un match. Le premier déclarerait : « je suis le meilleur, je vais gagner ! ». Cela correspond à tous ces travaux qui suggèrent une augmentation des taux ou de l’activité des systèmes de protection (SOD, GPX) après l’effort, amenant à en conclure que l’exercice protège. Le second affirmerait pour sa part : « Je suis le plus fort, je ne peux pas perdre ! ». Là, on pense à toutes les études qui soulignent un taux accru de molécules oxydées après l’effort. Pessimistes, elles suggèreraient que la pratique régulière d’un sport nous tuerait à petit feu. Alors sur qui parier ? Attendons le déroulement du combat pour nommer le vainqueur… Comment vraiment connaître le résultat de l’affrontement entre les radicaux libres et les mécanismes de protection ? Un moyen de juger de l’impact de séances répétées et de leur empreinte véritable sur notre organisme pourrait être fourni par la mesure de témoins de l’état d’équilibre chronique entre attaque d’une part, et protection et réparation d’autre part. Il s’agirait en somme de trouver le décompte des points de l’arbitre. Un tel témoin existe, il se nomme « anticorps anti-LDL oxydés ». De quoi s’agit-il ? C’est une molécule qui représente le résultat de l’attaque par les radicaux libres de certaines lipoprotéines chargées de transporter les acides gras et le cholestérol dans le sang. Ici, celles qui sont évaluées ne sont pas les formes « normales », les « LDL » que vous connaissez sous l’expression « mauvais cholestérol ». Il s’agit ici d’une famille de transporteurs transformés sous l’effet de l’attaque radicalaire. Ces LDL transformées sont particulièrement impliquées dans la survenue des maladies cardio-vasculaires (9, 21). Si l’attaque radicalaire est ponctuelle ou peu supérieure au « bruit de fond », les dérivés toxiques formés sont éliminés et il n’en persiste, de manière chronique, aucune trace dans l’organisme. Le risque d’atteinte sera faible, et le risque de cancer circonscrit. Par contre, si le cumul d’agression radicalaire aboutit à la présence permanente et excessive de molécules porteuses d’anomalies, elles finissent par être reconnues par le système immunitaire comme « anormales ». Il va alors diriger des anticorps contre elles. La quantité d’anticorps formés à ce combat renseigne assez bien sur l’effet chronique du cumul d’épisodes radicalaires. Peu de travaux systématiques ont été réalisés, chez le sportif, avec ce marqueur encore expérimental. En fait, nous n’avons recensé que trois études, toutes récentes, ce qui témoigne de l’intérêt croissant pour cette question. L’une porte sur des professionnels de football américain (24), l’autre sur des basketteurs (18). La troisième, plus récente, rapporte des observations faites auprès de footballeurs professionnels polonais (12). Ces publications ont en commun de montrer une grande hétérogénéité des valeurs d’anticorps anti-LDLox au sein de ces populations de sportifs. On note également une fréquence élevée de sujets dotés d’un taux situé au-dessus des normes (> 800 mU/ml), apparemment supérieure à celle relevée au sein de la population générale. Les auteurs polonais ne relèvent pas de différence entre les activités moyennes des défenses anti-oxydants des sujets à faible taux d’anticorps d’une part, et ceux où il sort des normes d’autre part. C’est donc bien un problème d’équilibre dynamique entre ces moyens de défense et les molécules oxydantes qui les sollicitent.
Récemment, nous avons procédé à une évaluation de ce marqueur de manière systématique chez des footballeurs et des cyclistes professionnels en début de saison. Il est ressorti de ce travail, mené auprès de plus de 80 sujets, que la proportion de sujets en état de stress oxydatif permanent- c’est-à-dire dotés d’un taux supérieur à la norme après la phase de repos-, est proche de 15% et que, sans intervention nutritionnelle, la valeur moyenne de ce paramètre augmente de près de 44% au fil de la saison (23). Conclusion ? Le contexte propre à la pratique régulière du sport de haut niveau s’accompagne d’un état de stress oxydatif chronique et évolutif particulièrement défavorable. Comme les travaux de Klapcinska le suggèrent (12), et comme nous l’avons aussi constaté, l’ampleur de l’agression n’est pas corrélée à l’activité des enzymes protectrices (SOD, GPX). Cela amène deux conclusions importantes : La première c’est que le sport de haut niveau crée un tel niveau de stress oxydatif que, pour certains sportifs, les capacités adaptatives sont dépassées. Même au maximum de leur potentialité, les enzymes n’arrivent plus à faire face. La seconde, c’est que la nature des apports nutritionnels joue un rôle majeur. Ainsi, amputées d’une partie de leurs adjoints, les enzymes plafonnent plus vite. Fignon aurait donc raison !





FAUX SUR TOUTE LA LIGNE :
Dans son livre « Anti-cancer » (15), David Servan-Schreiber insiste à juste titre sur le rôle défavorable de l’inflammation « à bas bruit » (c’est-à-dire sans maladie) et le caractère prédictif relativement à la survie des malades de la valeur de la CRPultra sensible, témoin sanguin de ce phénomène. Compte tenu de la part importante des processus inflammatoires inhérents à la pratique du sport de haut niveau (traumatismes, impacts, efforts excentriques, réparations tissulaires), et de leur cumul au cours de la saison, il nous a paru également intéressant d’évaluer ce paramètre en début de saison chez des sportifs de haut niveau. L’évaluation s’est faite dans le football et le rugby pro en 2007, puis à nouveau en 2009 et 2010 dans le foot et en ce début d’année dans le cyclisme (21, 23). Au total, plus de cent sportifs de haut niveau ont été explorés. Près de 60% d’entre eux, en période de reprise, présentent une inflammation de bas grade (voire aigue chez certains), alors même qu’on pense que, à ce moment-là, ils ont remis les compteurs à zéro et effacé les effets de la saison précédente. D’une année à l’autre, en dépit de stratégies nutritionnelles ciblées (plus ou moins bien suivies par ces joueurs), les proportions n’évoluent guère. Autrement dit, le sport de haut niveau constitue un état inflammatoire permanent pour une bonne moitié des effectifs (dans un article précédent, nous avons souligné la forte prépondérance du recours aux anti-inflammatoires dans le football. On comprend mieux pourquoi). Il semble évident que si on regarde ces chiffres sous un autre angle, on peut s’inquiéter : Un athlète doté d’une valeur de CRPus supérieure à la norme, d’un taux d’anticorps anti-LDL oxydées supra normal, d’un déficit en sélénium et en coenzyme Q10 va-t-il rester en bonne santé ? Qu’en est-il, à terme, du risque de cancer ? Nous n’avons pas la réponse. Mais, désormais, la simple évocation de ce possible lien interpelle.
Last but not least, l’histoire des folates. On a vu que ces molécules, abondantes dans les végétaux frais, et connues sous le terme général de « vitamine B9 », sont des acteurs clef de la mise en jeu de l’ADN et de l’expression des gènes. Leur déficit, on l’a vu, est associé à un risque accru de cancer et à un défaut dans le déroulement de l’épigénèse. Depuis cette année, nous avons eu la curiosité de regarder de manière systématique leur taux au sein des globules rouges chez des sportifs professionnels, majoritairement issu du football français (23). On trouve près de 90% de déficits avec, de surcroît, des valeurs moyennes proches des 2/3 de la norme. Une véritable épidémie de déficits. Qu’en penser ? De tels manques mettent en exergue les habitudes alimentaires dramatiques de la nouvelle génération : Pas assez de fruits et légumes, des aliments industriels dénués de densité nutritionnelle, des fruits et légumes à la croissance accélérée, des choix alimentaires restreints, voire caricaturaux. Imaginons un spécialiste de la prévention du cancer découvrant un bilan biologique micronutritionnel d’un sportif de haut niveau : Manque d’acides gras « oméga 3 » (notamment en « DHA », molécule qui favorise la mort des cellules cancéreuses et inhibe l’angiogénèse, et dont le niveau d’apport est inversement corrélé au risque de nombreux cancers (8, 15). Mais aussi, déficits en folates, en sélénium, en coenzyme Q10, des taux de LDL oxydées élevées, de l’inflammation à bas bruit. Il lui demanderait certainement quand il doit commencer sa chimiothérapie…
A l’heure où les discours institutionnels sur l’alimentation restent très généralistes, où beaucoup d’acteurs du monde médical continuent d’affirmer qu’il suffit de manger équilibré et un peu de tout pour être en bonne santé, ces données biologiques suggèrent une réalité différente. Confronté aux conditions extrêmes d’un entraînement aux confins de leurs possibilités d’adaptation, de temps de repos visiblement insuffisants, d’un environnement agressif, d’une alimentation déséquilibrée, d’aliments dénaturés, le sportif de haut niveau joue de plus en plus, sans le savoir, avec sa santé. Et à l’instar des autres représentants des jeunes générations (les natifs des années 80 et 90), il verra selon toute vraisemblance, son espérance de vie se réduire d’une bonne dizaine d’années par rapport à ses parents (3). Les statistiques s’infléchissent d’ailleurs déjà, et on commence à vivre en moyenne moins vieux en France. Laurent Fignon, hélas, ne nous contredira pas !

ENCADRÉ 1:
UN RADICAL LIBRE OU UNE « FORME RADICALAIRE OXYGENEE », C’EST QUOI ?
Rappelons qu’une molécule à l’état stable est composée d’un noyau fait de protons à charge positive autour duquel gravitent des électrons à charge négative, sur différentes orbites. Les électrons de la couche la plus externe se trouvent toujours appariés, en doublets. Si un électron est arraché, son compagnon devient célibataire. La molécule n’est plus stable et en un millième de seconde, elle va retrouver sa stabilité en mettant en commun sur sa couche externe un électron appartenant à une structure voisine. C’est l’oxydation qui va ainsi modifier ou casser la structure des protéines, avec en particulier une inactivation des enzymes, des lipides, désorganisant la membrane cellulaire et altérant sa fluidité ou encore de l’ADN, affectant les gènes, principe même de la cancérisation. Ces processus délétères s’exercent également aux dépens d’un compartiment de la cellule ayant un rôle important dans le cadre de l’exercice : la mitochondrie (1).
ENCADRÉ 2 :
LES RADICAUX LIBRES ET LA REPONSE A L’ENTRAÎNEMENT :
Les spécialistes s’accordent à considérer qu’il est utile de disposer d’un « bruit de fond » oxydatif bien géré, pour une santé optimale. Ce qui paraît plus étonnant, c’est qu’il puisse aussi contribuer à la progression du sportif. C’est pourtant le cas. Ainsi, au niveau mitochondrial, le contrôle de la production radicalaire va jouer un rôle déterminant dans la réponse à l’entraînement : une production moyenne, bien contrôlée, induit des réponses favorables, se mettant en place au niveau génétique. Il s’ensuit une amélioration de l’efficacité des processus énergétiques à ce niveau et, par voie de conséquence, une amélioration de VO2 Max (10). A l’inverse, une production excessive de formes radicalaires oxygénées, comme au décours d’un effort intense, va altérer le fonctionnement mitochondrial, au point de favoriser, dans certains cas, la mort cellulaire (1). Ceci surviendra d’autant plus facilement que, contrairement à celui du noyau, l’ADN de la mitochondrie n’est pas protégé au cœur d’un nucléosome. Certaines données suggèrent qu’en améliorant VO2 Max, un sportif augmente la quantité d’oxygène qui gagne les réactions radicalaires et donc, forcément, accroît sa production de radicaux libres. Heureusement, on sait qu’avec l’entraînement, à mesure que VO2 Max s’élève, le sportif améliore simultanément le niveau d’activité des filières de neutralisation des radicaux libres. Autrement dit, le poison et l’anti-poison augmentent de concert (19, 21). Cette réponse permet en outre de mieux faire face à la brutale augmentation de la production radicalaire au cours d’un effort très intense. Chez un sujet non entraîné, cet effort brutal est en théorie nettement moins bien géré par nos systèmes de défense (1). De fait des atteintes significatives n’apparaissent pas, a priori, avec une session isolée de sport, même intensive L’adaptation à l’entraînement chronique limiterait donc les risques de vieillissement prématuré encouru par le sportif… du moins en théorie.
Dans les faits, il peut en aller autrement. Pourquoi ? Comme on l’a vu, ces enzymes, après leur synthèse, ne sont efficaces que si elles disposent de cofacteurs spécifiques, zinc, manganèse, cuivre, sélénium, délivrés par notre ration. Le niveau des pertes occasionnées sous l’effet de l’entraînement et les teneurs fournies par la ration vont donc jouer un rôle décisif dans l’aptitude à s’adapter ou non à l’augmentation de la consommation d’oxygène et de la formation accrue de radicaux libres qui s’ensuit inévitablement.
(*) : « La Depêche » : 26 juin 2009.
(**) : « Nous étions jeunes et insouciants », Grasset Ed, 2009.
(***) : D’autres phénomènes en jeu dans le cancer peuvent aussi être contrés par une ration optimisée ; Il s’agit notamment de l’angiogenèse, c’est-à-dire du phénomène par lequel les cellules cancéreuses créent un réseau vasculaire surdéveloppé pour être richement irriguées. On peut aussi évoquer l’inflammation à bas bruit, qui fait le lit de la progression tumorale, et enfin le contrôle de la mort des cellules cancéreuses, vis-à-vis desquels divers constituants de notre assiette peuvent nous protéger (2, 25). On met d’ailleurs de plus en plus en avant les vertus de certains végétaux (fruits rouges), de boisson (thé vert) ou d’épice (curcuma) dans la stratégie anti-cancer, du fait qu’ils renferment des molécules capables d’agir sur ces phénomènes.
BIBLIOGRAPHIE :
(1) : ASCENSAO AA, MAGALHAES JF & Coll (2005) : Int.J.Sports Med., 26 : 258-67.
(2) : BELIVEAU R, GINDRAS D (2006) : Foods that fight cancer : Preventing cancer through diet. Random House Ed.
(3) : CURTAY JP (2006) : “Le programme de longue vie”, Indigène Ed.
(4) : FIDELUS RK, TSAN FM (1987) : Immunology, 61 : 503-8.
(5) : FLANAGAN SW, MOSELEY P & Coll (1998) : FEBS Letters, 431 : 285-6.
(6) : FOLKERS K, WOLANIUK A (1985) : Drugs Exp.Clin.Res., 11 (8) : 539-45.
(7) : GAZDIK F & Coll (2003) : Cas.Lek.Cesk., 142 (7) : 390-3.
(8) : HOOPER LT & Coll (2006) : Brit.Med.J., 332 : 752-60.
(9) : INOUE T, UCHIDA T & Coll (2001) : J.Am.Coll.Cardiol., 37 : 759-75.
(10) : IRRCHER I, ADHIHETTY PJ & Coll (2003) : Sports Med., 33 : 783-93.
(11) : KIREMIDJIAN- SCHUMACHER L & Coll (1994) : Biol.Trace Elem.Research, 41 (1-2) : 115-27.
(12) : KLAPCINSKA B, KEMPA K & Coll (2005) : Int.J.Sports Med., 26 : 71-8.
(13) : LESGARDS JF & Coll (2002) : Env.Health Perspect., 110 : 479-82.
(14) : Mc ANULTY SR, Mc ANULTY LM & Coll (2005) : Int.J.Sports Med., 26 (3).
(15) : Mc LEAN CH & Coll (2006) : JAMA, 295 (4) : 403-15.
(16) : MONTAGNIER L (2009) : “Les combats de la vie”, Lattès Ed.
(17) : PINCEMAIL J & Coll (1999) : Médi-sphères, 95 : 30-34.
(18) : PINCEMAIL J, LECOMTE J & Coll (2000) : Ann.Biol.Clin., 58 : 177-85.
(19) : PYNE D & Coll (1995) : Med.Sci.Sports Exerc., 27 : 536-42.
(20) : RAVAGLIA G, FORTI P & Coll (2000) : Am.J.Clin.Nutr., 71 (2) : 590-8.
(21) : RICHE D (2008) : « Micronutrition, alimentation-santé et exercice », De Boeck Ed
(22) : RICHE D (2010) : « Prise en charge de la fatigue chronique : le regard du micronutritionniste. ». In : « Fatigue musculaire », Masson Ed.
(23) : RICHE D (2010) : Biologie et micronutrition du sportif. Congrès de la SMATSH, Djerba, juin 2010.
(24) : SCHIPPINGER G, WONISCH W & Coll (2002) : Eur.J.Clin.Invest., 32 : 686-92.
(25) : SERVAN SCHREIBER D (2010) : “Anticancer”, R.Laffont Ed..
(26) : THORAND B & Coll (1998) : Pub.Health Nutrition, 1 (3) : 147-56.
(27) : TJONNELAND A & Coll (2006) : Eur.J.Clin.Nutr., 60 (2) : 280-6.
Denis Riché, pour « Sport et vie » – 2010
Photos : MCC
Le 15ème livre de Denis Riché sera publié le 18 janvier 2021.
Comment le Microbiote gouverne notre Cerveau
*** Le Cerveau, un deuxième Intestin ***

0 commentaires