Même les sportifs les plus maigres d’entre nous possèdent suffisamment de graisses de réserve pour enchaîner plusieurs lectures successives de votre revue favorite sans manger. Grâce à un pannicule adipeux, localisé essentiellement sur le ventre, que d’aucuns considèrent comme une masse inerte plus ou moins inutile. C’est loin d’être le cas.
UN RÉSERVOIR SANS FOND…
Si nous procédions un rapide sondage auprès d’un échantillon représentatif de sportifs, à la question « A quoi sert le tissu adipeux ? », certaines réponses fournies seraient très prévisibles. Il serait d’abord question d’un isolant mécanique, protégeant les organes vitaux. C’est une évidence dans le monde du rugby : « Je pense qu’il faut un peu de graisse pour protéger les muscles, notait avec justesse Jean Paul Garuet à ce sujet (*). J’ai croisé des piliers un peu sculptés avec une taille de guêpe, poursuivait-il. Pas bon signe, je savais qu’ils allaient faire pschitt ! » Au journaliste qui lui demandait s’il revendiquait la graisse, l’ancien joueur de la première ligne de l’équipe de France lâchait spontanément : « Cà oui ! On est des piliers quand même ! Il faut une couche pour protéger les tendons. Les contacts en première ligne, c’est pas fait pour les mannequins. »
On évoquerait aussi sans doute le réservoir d’énergie, masse inerte, souvent perçue défavorablement car, en alourdissant inutilement le joueur, il affecte sa vitesse de course. Comme le note l’actuel international Olivier Milloud : « on doit garder de la puissance, mais améliorer la vitesse et l’endurance, alors forcément on tape dans le gras. » Le compromis entre légèreté et robustesse est souvent compliqué à trouver : « L’apparence physique, c’est important au coup d’œil, poursuit Milloud, après, il faut voir si le mec résiste au coup de tronche. L’équation mec bedonnant égale mec pas bon ne se vérifie pas. » De fait, le rugbyman moderne, comme n’importe quel autre sportif de haut niveau en ce début de siècle, est écartelé entre la volonté de posséder un isolant qui le protège et de limiter un poids mort qui le freine. Mais à aucun moment, dans le milieu des profanes, le tissu adipeux n’est vu sous un autre angle.
(*) : « L’Equipe Magazine », 21 juillet 2007.
AVOIR LA BOULE OU AVOIR LES GLANDES ?
Savez-vous quel est l’organe qui, au sein de notre corps produit le plus d’hormones ? Ce ne sont pas les surrénales, ce ne sont pas les ovaires ou les testicules. Il s’agit du tissu adipeux (6). Bien que récente, cette découverte revêt en fait un caractère très spectaculaire, notamment par la diversité et la complexité des molécules qui y sont fabriquées et y circulent. L’origine-même de ces adipocytes et des cellules voisines qui forment ce pannicule est extrêmement troublante. Comme le rappelle un récent article, l’essentiel du tissu adipeux est composé d’adipocytes, environ les deux tiers du total des cellules présentes, mais on y trouve bien d’autres lignées cellulaires, capables d’exercer une multitude de fonctions et de fabriquer une diversité de molécules pour le moins impressionnantes.
Mais revenons à nos adipocytes. Eux-mêmes possèdent l’aptitude à produire et à libérer diverses molécules qualifiées par les scientifiques de « bioactives ». Leur nature leur fait ressembler fortement à des hormones. Leur origine adipocytaire amène à parler, à leur sujet d’adipokines, un terme qui deviendra de plus en plus courant dans les années à venir. Certaines de ces molécules exercent des actions à distance du tissu adipeux. On pense ainsi à la plus connue d’entre elles, la leptine (découverte en 1994), et dont les effets sur le système nerveux ont été intégralement identifiés ces dernières années (1). D’autres gardent une action plus restreinte, localisée au seul tissu adipeux. Une telle profusion de sécrétions souligne la richesse de communications entre l’adipocyte et les autres organes. Ces échanges contribuent au contrôle du remodelage et du développement du tissu adipeux, de la prolifération et de la différenciation des futurs adipocytes (ce qu’on nomme les précurseurs adipocytaires), ainsi que l’angiogénèse.
Le classement des adipokines et des autres productions du tissu adipeux selon leurs rôles fonctionnels permet de distinguer des grandes familles de molécules affectant divers processus.
Une première série peut agir sur le métabolisme des sucres et des graisses. On trouve parmi celles-ci des molécules dont les noms devraient nous devenir très familiers : leptine, adiponectine, résistine, visfatine. Il s’agit aussi, curieusement, des « interleukines » 6 et 10. Ces dernières sont des messagers du système immunitaire et de l’inflammation, et leur présence dans cette liste peut surprendre. Mais en fait, elles peuvent influencer l’orientation du métabolisme et la facilité à mobiliser ou stocker les graisses. Le tissu adipeux a l’aptitude à fabriquer ces messagers du système immunitaire et, inversement, à réagir à des cytokines périphériques, ce qui peut conduire, par exemple, à des situations de résistance à l’amaigrissement en cas d’inflammation (3). Il est par exemple admis que l’accroissement du tissu adipeux de l’obèse conduit à un déséquilibre dans la production et la sécrétion de molécules anti et pro-inflammoires, en faveur de ces derniers (11) (*).
Une deuxième série règle l’appétit et la régulation de la balance énergétique. Ces molécules donnent en quelque sorte du poids à l’hypothèse du « lipostat ». Rappelons que ce concept suggère que la prise alimentaire pourrait être modulée par le statut du tissu adipeux. Cette modulation reposerait sur des phénomènes allant au-delà du simple aspect énergétique que représente le niveau de remplissage des adipocytes. Quelles sont ces molécules issues du tissu adipeux, capables de modifier notre prise alimentaire ? La plus connue est la leptine, déjà citée ci-dessus. C’est une hormone anorexigène, dont la libération dans l’organisme a pour effet d’interrompre la prise alimentaire. Son intervention limite donc le risque de surpoids, ce que suggère d’ailleurs son nom (qui vient du grec « leptos », qui signifie « maigre »).
Une troisième série jour un rôle tout à fait insoupçonné par une large part du public : Elles participent à l’immunité. Une kyrielle d’acteurs impliqué dans nos défenses se trouvent ainsi dans ce tissu, bien plus que dans la plupart des autres : IL-6, IL-10, TNF-α (Tumor Necrosis Factor), ces notions pouvant permettre de mieux comprendre pourquoi le surpoids majore les problèmes d’arthrose (y compris au niveau des mains), de cancer ou de maladies cardio-vasculaires. Dans ces situations, ce n’est pas tant la surcharge de kilos que les acteurs de l’inflammation qui sont à accuser.
Une quatrième série vient moduler la sensibilité à l’insuline. Cette particularité explique pourquoi le tissu adipeux constitue un acteur déterminant dans l’instauration du « syndrome métabolique », entité clinique complexe déjà évoquée dans ces colonnes (voir « Sport & Vie » n° ) (8, 16). Enfin une dernière série de molécules activent l’angiogénèse (la formation des vaisseaux), et la pression artérielle. Bref, on le comprend, le tissu adipeux constitue une glande qui vient mettre son grain de sel dans un nombre incroyablement important de processus et possède de ce fait un pouvoir de nuisance extrêmement élevé. Est-ce irréversible ?
(*) : Certains travaux récents soulignent qu’en situation inflammatoire aigüe, des ajustements métaboliques se produisent. Certains d’entre eux s’accompagnent d’une surconsommation du tryptophane, ce qui va abaisser la synthèse de la sérotonine (4). Or, cette molécule joue un rôle essentiel dans le contrôle du comportement alimentaire. Aussi, au stade inflammatoire de l’obésité, des prises d’aliments sucrés, à caractère addictif, se produisent et accentuent le surpoids, ce qui provoque un véritable cercle vicieux.






L’INNÉ OU L’ACQUIS :
On a donc vu que le tissu adipeux, selon qu’il va plus ou moins se développer, peut déclencher une série de catastrophes à distance. Face à ce constat, et devant ces mécanismes qu’on a longtemps suspectés avant d’en démontrer la réalité, une évidence est apparue aux yeux des scientifiques. Il faut éviter la prolifération du tissu adipeux. Deux mécanismes peuvent conduire à l’apparition d’une surcharge grasse. La première se nomme l’hyperplasie. C’est l’existence d’un nombre anormalement élevé d’adipocytes. La seconde est l’hypertrophie : c’est son remplissage par les graisses alimentaires ou fabriquées à partir des sucres. A remplissage équivalent de ses adipocytes, un individu qui possède moins de cellules grasses que la moyenne sera exposé à un moindre risque de surpoids. L’inverse est également vrai : celui qui disposerait d’un nombre d’adipocytes supérieur à la norme courrait un risque accru d’obésité. Et dans ce cas, il n’y a plus de limite théorique au remplissage des adipocytes. Le record actuel est actuellement le triste apanage d’un mexicain qui pèse aujourd’hui près d’une demi-tonne (voir l’encadré 1).
Le consensus existant jusqu’au début de ce siècle était de considérer que, hormis quelques âges clefs, le nombre de cellules adipeuses ne bougeait plus. Autrement dit, celui qui sortait indemnes de ces épisodes à risque de développement adipocytaire, pouvait ensuite s’autoriser davantage d’écarts sans encourir le moindre risque de sanction. Nous avons-nous même évoqué cette idée dans ces colonnes. Or, elle est hélas fausse. Les études se sont multipliées ces dernières années afin de mieux comprendre la part de l’innée, celle de l’acquis et le rôle du « timing » dans cette histoire. Nos idées reçues ont été mises à bas.


ENCADRE 1 :
UN CHILI CON CARNE TROP GRAS !
Un Mexicain de 500 kg a demandé une aide médicale pour ne pas succomber à son «obésité morbide», maladie dont il souffre depuis 20 ans, a révélé mardi la chaîne de télévision mexicaine Televisa. Manuel Uribe, 40 ans, n’est pas capable de se déplacer et vit reclus dans sa maison, où sa mère veille sur lui.
«Je ne me laisse pas mourir, j’ai envie de vivre. Mais pour cela, j’ai besoin d’aide, c’est pour cela que je m’adresse à la communauté scientifique», a-t-il déclaré à Televisa.
Jusqu’à l’âge de 22 ans, raconte-t-il, il vivait et travaillait aux États-Unis, il pesait alors 130 kg pour 1 m 94, «puis j’ai grossi sans m’arrêter, je suis devenu obèse très rapidement (…) Je crois que c’est un problème de glandes».
Il affirme être au régime mais continuer de grossir.
Les médecins lui ont proposé de l’opérer pour lui enlever une partie de la graisse, notamment aux jambes. «Je ne peux même plus me peser. Avant, quand je pouvais marcher, on me conduisait à la balance publique, la dernière fois je pesais 380 kg, aujourd’hui je dois peser 500 kg», dit-il.
CA COMMENCE AVANT MOI…
Le tissu adipeux apparaît au cours de la grossesse. Il entame son développement dès le second trimestre de vie intra-utérine, mais se forme pour l’essentiel au cours du 3e trimestre et après la naissance (7). Le développement de ce tissu se produit à partir de cellules précurseurs (les « préadipocytes »), mais reste possible tout au long de la vie adulte. En effet, des préadipocytes près à se différencier ont été retrouvés chez des octogénaires des deux sexes (2). Le développement du tissu adipeux de l’adulte, survenant à la fois par hypertrophie et hyperplasie est aujourd’hui bien documenté. Personne n’est donc potentiellement à l’abri, même si des vulnérabilités individuelles semblent exister. Il s’agit d’un phénomène irréversible ; le nombre d’adipocytes ne diminue jamais. Une partie du problème reste irrémédiable. L’équipe du Canadien Angelo Le Blanc s’est intéressée au devenir d’ex-obèses venus à la course à pied (12). On a effectivement constaté chez d’anciens gros rendus plus svelte par la réalisation de 80 km de jogging par semaine, un taux d’adiposité moyen supérieur à celle de coureur ayant toujours été maigres. Pourtant, ces ex-obèses possèdent des adipocytes moins replis. On pense donc que leur obésité a en partie été consécutive à cette surabondance de cellules adipeuses. Quelle est la part de l’inné, celle de l’acquis ? Quels facteurs alimentaires sont en jeu ? Comment interviennent-ils ? Comment envisager une prévention efficace compte tenu de l’épidémie d’obésité qui menace ?
On a longtemps cru que le fait de trop manger, ou de trop manger gras favorisait le déclenchement de cette prolifération adipocytaire. En fait, les choses sont plus compliquées. La faute en incomberait principalement au changement de nourriture des animaux de basse-cour ! Celui qui affirme cela est très sérieux. Il s’agit du Pr Pierre Weil, de l’Université de Rennes, qui a rassemblé les conclusions de ces travaux et exposé des données extrêmement inquiétantes dans un ouvrage particulièrement passionnant (« Tous gros demain ? » ). De nombreux travaux menés depuis le milieu des années 90 ont établi un fait d’importance colossale. Il concerne les acides gras poly insaturés ». Rappelons qu’il s’agit de deux familles de graisses d’une importance essentielle à notre survie, puisque à partir d’elles on élabore diverses molécules dont on sait qu’elles modulent l’inflammation, l’immunité, les tendances pro-allergiques, la circulation. Les dérivés des « oméga 6 » sont plutôt pro-inflammatoires et pro- aggrégantes. Ceux des « oméga 3 » possèdent des effets opposés. Ces acides gras peuvent aussi agir directement sur le développement des adipocytes. En inhibant cette prolifération, dans le cas des « oméga 3 ». En l’activant, au contraire, dans le cas des « oméga 6 ». Le Pr Gérard Ailhaud, du fond de son laboratoire niçois, accuse nommément l’excès d’oméga 6 de provoquer l’obésité. Il n’hésite ainsi pas à affirmer : . Si l’indice d’adiposité (le rapport poids/taille) des enfants de moins d’un an augmente aussi vite, à un âge où le lait est l’aliment unique, on ne peut pas incriminer Mc Do, le grignotage, la télé et le déficit d’activité physique » (13). Le rapport optimal entre les deux familles d’acides gras polyinsaturés est de l’ordre de 3 à 5 « oméga 6 » pour un « oméga 3». Il y a quarante ans, il y avait effectivement dans les laits maternels 5 « oméga 6 » pour un « oméga 3 » (2). Aujourd’hui, les laits maternels contiennent 20, voire 25 oméga 6 pour un seul oméga 3.
L’indice d’adiposité suit exactement la même courbe que le rapport oméga6/oméga3 dans le lait. Comment l’expliquer ? Cela résulte en partie du changement de l’alimentation des animaux, elle-même consécutive aux changements brutaux survenus dans notre agriculture, avec une offre qui ne suivait plus la demande. Que s’est-il exactement passé ? L’histoire nous est contée par le Pr Pierre Weil dans son livre « Tous gros demain ? ». Dans les années 70, de plus en plus de Français ont mangé de plus en plus de fromage. Il a fallu davantage de lait l’hiver, de manière à répondre à cette demande accrue. Or, jusque à ces années-là, l’essentiel de la production de lait s’effectuait au printemps. En cette saison, les vaches trouvaient des les prés l’herbe grasse (riche en « oméga 3 »), qui leur permettait de synthétiser un lait de qualité. Le vêlage se faisant au printemps, les vaches produisaient beaucoup moins de lait ensuite.
Pour contourner ce problème, l’industrie laitière a pu compter sur la « révolution fourragère » , survenue en même temps qu’une plante a connu un important essor sur notre sol : le maïs. Comme l’explique Pierre Weil, dans les années d’après-guerre, la France vise à assurer son autosuffisance alimentaire. La culture du maïs remonte progressivement vers le nord et conquiert les régions d’élevage. A la même période apparaît l’ensilage, qui permet de conserver des fourrages. La plante va, grâce à cet ensilage, pouvoir être distribuée toute l’année aux vaches dont, simultanément, la période de vêlage va être décalée vers l’automne. L’essentiel de la production laitière surviendra alors l’hiver, au moment où les vaches se nourrissent de maïs et non plus d’herbe. Mais c’est là que le bât blesse. « Il y a juste un petit problème, explique le Pr Weil. Dans l’herbe grasse, il y a beaucoup de graisses qui appartiennent à la famille « oméga 3 ». Dans le grain de maïs, il y a des graisses aussi, mais de la famille « oméga 6 ». Anciennement, l’hiver, on donnait du lin aux vaches. Or cette plante se caractérise par sa richesse en « oméga 3 ».
En une trentaine d’années, ces changements dictés par la pression économique ont eu des effets dévastateurs, dont on commence seulement à mesurer les conséquences en 2007 : On a créé une nouvelle alimentation animale, qui engraisse les animaux et prépare l’engraissage de ceux qui s’en nourrissent. Comme le note le Pr Ailhaud, les viandes les plus riches en « oméga 3 » (cheval, oie, lapin) sont celles des ruminants qui consomment davantage d’oméga 3. De même, les poissons gras (pourvu qu’ils ne soient pas issus d’élevage et nourris au grain…) contiennent plus d’oméga 3, en particulier les acides gras dont les noms sont abrégés par « EPA » et « DHA », grâce au plancton ou aux algues qu’ils mangent. « C’est au fond des océans et dans les champs, dans les pâtures, que poussent les oméga 6 et les oméga 3 qui sont la base de notre chaîne alimentaire. » (15).
De fait, les études menées chez l’animal, puis les observations faites chez l’homme, montrent qu’en accroissant la part des « oméga 6 » dans l’alimentation des animaux on fabrique du lait, des viandes, des œufs trop riches en « oméga 6 ». La femme enceinte fournit donc en « oméga 6 » le tissu adipeux du foetus, ce qui favoriser son développement. L’agression se poursuit avec l’allaitement, la diversification alimentaire…et se poursuit à l’échelle de plusieurs générations nourries aux « oméga 6 »… d’où l’idée de Pierre Weill, selon laquelle, demain, nous pouvons fort bien tous devenir obèses, à moins d’appliquer la parade qu’il a imaginée (voir l’encadré 2).
TABLEAU 1 : Équilibre Oméga 6 / Oméga 3 de quelques huiles courantes.
Tournesol 124
Maïs 59
Pépins raisin 43
Arachide 42
Isio 4 39
Soja 8
Noix 5,2
Primevère 4,5
Colza 2,4
EST-CE DÉJÀ TROP TARD ?
La composition des huiles (voir le tableau ci-dessus) montre que sous l’effet de la pression des lobbies et de la politique de communication très volontariste de grands groupes de l’industrie agro-alimentaire, travestissant la réalité, le déséquilibre est volontairement entretenu. De fait, le profit est privilégié aux dépens de la santé des générations futures. L’huile de colza, a minima, est à réintroduire quotidiennement. Mais pas seulement (voir l’encadré 2).
Revenons aux sportifs, pour comprendre que le problème posé par cette révolution va au-delà de la gestion du poids pendant et après la carrière. En effet, la prédominance des « oméga 6 » dans nos tissus peut aussi conduire à une tendance pro-inflammatoire, pro-allergisante, pro-aggrégante, très largement présente à l’échelle de la population. « J’aurais aussi pu intituler ce livre : « demain tous allergiques ? » ; s’inquiète d’ailleurs Pierre Weill. Cette tendance, qui se retrouve dans toutes les disciplines sportives, à ce que nous en savons, s’avère plutôt délétère. Les résultats de biologie relevés, par nos soins, au sein de l’élite de certaines disciplines depuis quatre ans, ne manque pas d’interpeller quant à la situation sanitaire des athlètes concernés. Les tableaux qui suivent dans l’encadré 3, laissent deviner l’ampleur de ces déficits en « oméga 3 », lesquels sont aggravés par les excès d’acides gras « oméga 6 », créant un terrain pro-inflammatoire, pro-allergisant, et propice à la prise de poids. Face à ce constat que pensent les « experts » qui se penchent sur l’assiette de nos champions ? Selon le diététicien de l’équipe du XV de France : Plutôt que la recherche de l’huile « miracle », une diversification des types d’huiles utilisées (…) est le meilleur garant d’une bonne répartition des acides gras ». (10).
ENCADRE 2 :
LE LIN QU’IL NE FAUT PAS LAISSER FILER (13)…
Pour Pierre Weil, l’explosion endémique de l’obésité est en partie liée à la perte de « corrélation écologique » entre le sol, l’aliment et l’individu. Pour lui, la clef ne réside pas dans une majoration des apports en « oméga 3 » par les poissons gras. Nous sommes déjà les plus gros consommateurs en Europe, argumente-t-il. Et l’émergence à venir des fermes piscicoles nous prépare peut-être à beaucoup manger de … bœuf à écaille, si le thon et le bar sont gavés de maïs plutôt que de plancton ! Le chercheur breton a eu une autre idée : réintroduire le lin. Les animaux des éleveurs partenaires de son travail ont été nourris au lin. Les volontaires humains qu’il a recrutés ont mangé des œufs, du beurre, du fromage, issus de certains de ces animaux nourris au lin. Ils ont aussi bénéficié d’un pain enrichi aux graines de lin. Le groupe a été étudié sous tous les angles (poids, biologie) et comparé à un groupe « témoin » se nourrissant d’aliments classiques (14-5). A la sortie, perte de poids et amélioration des paramètres biologiques pour les volontaires nourris d’aliments qu’on peut qualifier de « traditionnels ». Pour lui, c’est vraiment une affaire de filière et de choix politique. Ainsi, un œuf non « bio » pondu par une poule nourrie au lin aura plus d’effets favorables qu’un œuf « bio » pondu par une poule nourri au bon grain !
Le temps que cette transformation se mette en place à plus vaste échelle, le choix des huiles est évidemment crucial. De ce point de vue, il n’y a certes pas d’huile « miracle », mais celle de colza apparaît quand même comme la plus intéressante, et de loin. Et il y a l’hypothèse de la complémentation, encore inenvisageable par les institutionnels, par principe, il y a seulement 5 ans. Leur position a évolué, à en juger au récent éditorial rédigé par la plume de Bernard Guy-Grand, l’un des plus éminents nutritionnistes français, dans la revue « Les Cahiers de Diététique et Nutrition » (5) : «On sait depuis longtemps que le DHA est l’acide gras prévalent du système nerveux central, de la rétine (…), que sa carence entraîne des troubles de la vision et des cognitions, notamment au cours de la phase de développement chez le fœtus et le jeune enfant. Supplémenter directement? La question mérite d’être posée! »



ARTICLES SCIENTIFIQUES CONSULTES :
(1) : AHIMA RS (2005) : Trends Endocrinol.Metab., 16 : 307-13.
(2) : AILHAUD G (2007) : Cah.Nutr.Diét., 42 (2) : 67-72.
(3) : BOULOUMIE A, CURAT C & Coll (2005) : Curr.Opin.Clin.Nutr.Metab.Care, 8 : 347-54.
(4) : BYRNE GI, LEHMANN LK & Coll (1986) : J.Interfer.Research., 6 : 389-96.
(5) : GUY-GRAND B (200) : Cah.Nutr.Diét., 42 (3) : 117.
(6) : LAFONTAN M (2007) : Cah.Nutr.Diét., 42 (2) : 79-83.
(7) : POISSONNET C, BURDI A & Coll (1983) : Early Hum.Dev., 8 : 1-11.
(8) : POITOU C, CLEMENT K (2007) : Cah.Nutr.Diét., 42 (2) : 90-6.
(9) : RICHE D (2007) : « Micronutrition, santé et performance », De Boeck Ed. 600 p.
(10) : RUBIO D, RIVIERE D- (2007), « Kinésithérapie scientifique », n° 478, p 42.
(11) : TRAYHURN P (2005) : Endocrinology, 146 : 1003-5.
(12) : TREMBLAY A, DESPRES JP & Coll (1984) : Int.J.Obes., 8 : 641-8.
(13) : WEILL P (2007) : “Tous gros demain?”, Plon Ed.
(14) : WEILL P, SCHMITT B & Coll (2002) : Nutr.Clin.Métab., 16 (Suppl.1) : 7-28.
(15) : WEILL P, SCHMITT B & Coll (2002) : Ann.Nutr.Metab., 46 : 182-91.
(16) : ZIEGLER O, TREBA A & Coll (2007) : Cah.Nutr.Diét, 42 (2) : 85-9.
Denis Riché – 2013
Photos : MCC
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