Interview réalisée en septembre 2019 par Emma Mag, lors du passage de Denis Riché à La Réunion, pour dispenser des enseignements dans le cadre du DU de Micronutrition
« Longtemps précurseur décrié, aujourd’hui spécialiste incontesté de la micronutrition, Denis Riché défend depuis plus de trente ans une approche très globale du bien-être alimentaire. Sa discipline est désormais enseignée à La Réunion »
Emma Mag : Qu’appelez-vous micronutrition ?
Denis Riché : C’est une autre manière d’aborder l’alimentation. Elle a émergé dans les années 90’. Dans l’approche nutritionnelle classique, on s’intéresse aux ingrédients qui sont dans votre assiette, on évalue leur apport énergétique et on associe généralement vos problèmes à un déséquilibre entre ces différents nutriments.
La micronutrition ne va pas simplement s’intéresser à ce qu’il y a dans votre assiette mais à l’ensemble des molécules qui composent les aliments que vous mangez. Nous considérons que toutes ces molécules sont importantes et que nombre de problèmes, de maladies découlent d’un déséquilibre dans ces apports moléculaires. On ne part donc pas de l’assiette mais des contenus à l’échelle moléculaire.
Emma Mag : Tous nos problèmes viendraient donc de notre alimentation ?
Denis Riché : C’est un peu extrême comme postulat mais il y a effectivement de ça dans la micronutrition. C’est une approche systémique, c’est-à-dire considérant que le corps est un tout. Par exemple, si vous avez une douleur quelque part, c’est souvent ailleurs qu’au niveau de l’organe qui souffre qu’il faut aller la chercher. Et bien souvent, la réponse se trouve dans l’intestin.
Emma Mag : Vous êtes aujourd’hui un spécialiste incontesté d’une discipline qui a le vent en poupe mais vous dîtes avoir longtemps été marginalisé par vos pairs. Pourquoi ?
Denis Riché : C’est une réaction assez habituelle lorsqu’on arrive avec une autre façon de voir les choses, lorsque l’on bouscule les codes établis. En particulier dans la communauté scientifique. Avec quelques autres, je m’intéresse à la flore intestinale depuis 1994, aux probiotiques depuis 1996. A l’époque, on nous riait au nez. Aujourd’hui, tout le monde considère cette approche sérieuse et beaucoup, qui la reniaient il y a vingt ans, font comme s’ils l’avaient toujours adoptée.
Emma Mag : Quand même, n’êtes-vous pas un brin provocateur en vous apprêtant à publier un livre intitulé « le cerveau, un deuxième intestin » ?
Denis Riché : Je suis provocateur, je l’ai toujours été. Il faut de toutes façons l’être un peu lorsque l’on défend des idées, des thèses, des approches qui sortent un peu des sentiers battus. Mais le titre de mon prochain livre* ne fait que résumer un concept qui commence à émerger et à convaincre au sein de la communauté médicale et scientifique. Considérez que le cerveau fonctionne un peu comme un ordinateur et qu’il est parfois perturbé par des « virus » qui viennent des autres organes, notamment de l’intestin puisque c’est par l’intestin que se diffusent les molécules que nous absorbons.
C’est à partir de cette approche que des études sont par exemple réalisées sur la maladie d’Alzheimer et que bon nombre de chercheurs s’accordent pour lui trouver une origine dans l’intestin. Pour moi, Alzheimer commence dans le ventre de la mère, cumulant des problématiques nutritionnelles et des problématiques transgénérationnelles.
Emma Mag : Vous n’allez pas jusqu’à prétendre qu’il suffirait de prendre des probiotiques, rétablir les apports de certaines molécules pour que tout aille bien…
Denis Riché : Non, bien sûr. Ce serait intellectuellement malhonnête. Je prétends que les probiotiques, lorsqu’ils sont de qualité (pour ma part, je travaille beaucoup avec ceux de la marque Pileje), peuvent aider à rétablir un équilibre défaillant et participent à reconstituer ce que j’appelle un environnement favorable. Mais, cet environnement favorable, il inclut également le travail. Vous n’imaginez pas le nombre de patients que je reçois dont les pathologies sont intimement liées à un environnement professionnel stressant, inintéressant, non motivant.
L’environnement c’est aussi tout ce qui nous entoure. Et, malheureusement, nous avons, par notre négligence, créé des risques pandémiques importants, dont on voit aujourd’hui une illustration. Les sols qui s’appauvrissent, la pollution qui envahit notre vie quotidienne, l’alimentation qui se dégrade…
Face à cet ensemble, les probiotiques ne font pas tout évidemment. Ils participent. C’est ensuite à chacun de tenter de se créer un environnement le plus favorable possible.
Emma Mag : Vous connaissez bien l’île de La Réunion. Que conseilleriez-vous aux Réunionnais ?
Denis Riché : Je conseillerais aux réunionnais de rester centrés sur la base de leur alimentation traditionnelle. D’éviter le modèle américain ou européen et de garder (ou de retrouver) leur authenticité alimentaire. Il y a tout ce qu’il faut à La Réunion pour bénéficier d’une alimentation parfaitement équilibrée.
Emma Mag : Vous travaillez beaucoup avec les sportifs de haut niveau. Faut-il être sportif de haut niveau pour pouvoir bénéficier des bienfaits de la micronutrition ?
Denis Riché : Non, bien sûr. Les sportifs représentent une part marginale de nos patients. En revanche, si je me suis intéressé aux sportifs c’est parce qu’ils constituent un modèle expérimental très intéressant car il nous permet de comprendre plus rapidement ce qui se passe dans telle ou telle maladie. C’est grâce à des études sur les sportifs de haut niveau que nous avons notamment pu progresser dans le traitement de l’endométriose, des fibromyalgies ou encore des maladies auto-immunes.
Emma Mag : Comment votre approche est-elle relayée à La Réunion ?
Denis Riché : Au niveau de l’enseignement, un DU de micronutrition est désormais enseigné à La Réunion, comme à Poitiers. Il existe en outre une structure qui regroupe tous les professionnels s’intéressant à cette discipline : La société de micronutrition de l’Océan Indien.
(*) Son prochain livre « Comment le Microbiote gouverne notre Cerveau – le cerveau, un deuxième intestin » sera publié en janvier 2021
Emma Mag website : https://www.emmamag.re/
Comment le Microbiote gouverne notre Cerveau
*** Le Cerveau, un deuxième Intestin ***

BIO EXPRESS
Denis Riché est considéré comme un expert de la sphère digestive et de l’immunité. Il est le fondateur de la revue « sport et vie ». Ancien sportif de haut niveau (nationale 1 handball), il s’est longtemps spécialisé dans la nutrition et le sport. Il a notamment accompagné dans leur suivi nutritionnel, de nombreux sportifs comme Marie-Jo Pérec, Carole Merle, l’équipe Festina ou encore l’équipe de football du Chelsea FC. Etudiant à l’université parisienne de Jussieu, il y obtient une maîtrise en physiologie et un doctorat en nutrition.
Depuis 2003, Denis Riché est responsable du département « diététique du sport » au sein de l’Institut Européen de Diététique et de Micronutrition.
Très attaché à La Réunion qu’il connaît parfaitement, Denis Riché y revient régulièrement. Certains pourront le voir, le soir, à la batterie, improviser un « bœuf » avec quelques copains musiciens, au « Passage du Chat Blanc ».

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