FAITES-VOUS PARTIE DU BON GROUPE?
Voici un article paru au début de ce siècle, faisant le point sur le régime des « groupes sanguins ». On m’avait interrogé à ce sujet, et j’avais répondu que, comme pour les Beatles à leurs débuts, les sandwiches constituent souvent le régime des groupes sans gains… Voici le texte.
La majorité des protéines de notre sang sont en fait combinées, à leur surface, à des molécules dérivées des sucres. On parle alors de « glycoprotéines ». Cette forme de polissage des protéines circulantes ou tissulaires leur confère de nombreuses propriétés. Cela leur permet notamment de participer à des réactions de reconnaissance. Telles que celles qui amènent à caractériser les groupes sanguins sur lesquels, aujourd’hui, un naturopathe américain entend fonder toute sa théorie alimentaire (5). On pourrait en rire si elle ne suscitait pas autant d’attention…
LES SUCRES PORTEURS DE CODE BARRE :
En 1988, un hôpital américain décida de mettre sur pied une journée « alimentation saine », en proposant, à la cantine de l’établissement, des repas végétariens pour le déjeuner. Au cours de cette journée restée dans les annales, 31 portions d’un ragoût de haricots rouges furent servies. Vers 15 heures, l’un des convives fut pris de vomissements. Lors des quatre heures qui ont suivi, dix autres cas furent recensés. Chez ces victimes, les nausées furent couplées à des diarrhées profuses. Le lendemain, tout était rentré dans l’ordre. Cette « épidémie » poussa évidemment la direction à procéder à des analyses poussées, dans le but d’identifier une éventuelle contamination par un germe pathogène. L’analyse ne donna rien : aucun microbe n’avait colonisé le produit. Les choses en seraient restées là si l’un des protagonistes n’avaient eu la curiosité d’élargir ses recherches. Grand bien lui en prit ; ces biologistes notèrent, à leur grand étonnement, que les haricots renfermaient à un taux très élevé une protéine bien particulière, appartenant à la famille des lectines et nommée « phytohémagglutinine (9). Selon eux, cette présence à un taux anormalement élevé était sans doute à l’origine des troubles rencontrés. La cause n’était donc nullement infectieuse. Ceci ne signifie pas pour autant que le système immunitaire n’ait joué aucun rôle dans l’histoire. Mais reprenons au début…
LA COLLE DES GLOBULES :
Qui sont ces lectines et comment agissent-elles? La compréhension de leur rôle et des effets potentiels qu’elles peuvent exercer dans notre organisme nous amène à parler brièvement de notre système immunitaire, dont elles sont des acteurs importants. Ce système doit protéger l’organisme en écartant toute molécule potentiellement porteuse d’un code barre différent du « soi ». Pour mener à bien cette mission de tout instant, la Nature a doté nos propres cellules d’antigènes de surface, porteurs quant à eux du bon code barre, celui du « soi ». Il existe aussi, évidemment, des antigènes à la surface des micro-organismes. Ils diffèrent en général des précédents. Cette caractéristique permet de déterminer le caractère étranger ou non d’une substance rencontrée par nos globules blancs. En effet, les antigènes suscitent la synthèse d’anticorps en réponse à leur présence. C’est la confrontation des codes qui va décider de l’acceptation ou non de l’antigène présenté comme faisant partie du « soi ». Le bon déroulement de la réponse impose évidemment un équilibre harmonieux entre la « tolérance », et la défense, faute de quoi une réponse inappropriée va survenir.
Quels événements s’enchaînent en présence d’un hôte inconnu, virus ou autre ? Ses antigènes diffèrent (normalement) de ceux portés par nos cellules. Cela permet à notre système immunitaire, s’il les identifie bien, de prendre en charge ces intrus. Il en va de même vis-à-vis des cellules cancéreuses, même si celles-ci- à l’instar de certains virus- sont capables de mimer les antigènes de notre organisme et de piéger nos défenses. Et de se développer à l’abri de toute répression.
Lorsque tout se passe bien et que notre système immunitaire repère convenablement l’antigène « étranger », il libère des anticorps qui vont se coller à lui pour avoir confirmation de son identité avant de le détruire. L’étape durant laquelle ils se lient est appelée « réaction d’agglutination ». Durant celle-ci, l’anticorps s’agrège aux intrus, les rendant collants. Un peu comme lorsqu’on attache deux détenus l’un à l’autre avec des menottes pour mieux les surveiller. Les antigènes s’agglutinent alors entre eux, formant une masse plus facile à éliminer. L’agglutination repose sur le fait qu’à la surface des cellules se trouvent des structures moléculaires s’apparentant à un système d’antennes. Elles sont constituées de longues chaînes glucidiques. Ces sucres sont liés à des protéines membranaires, tout en gardant l’aptitude à entrer dans des réactions avec d’autres molécules voisines. C’est justement ce qui se passe lors de l’agglutination ; les anticorps entrent en interaction avec les sucres situés à la surface d’autres cellules.
Ce système très au point peut parfois déraper. Comment ? On sait que d’autres protéines sont capables d’interagir avec ces sucres de surface. Il s’agit des « lectines ». On les trouve aussi bien dans le règne végétal que dans le règne animal. Elles vont pouvoir dans certaines situations, jouer un rôle de « joker » en faussant la donne. On a ainsi vu en introduction à cet article qu’on les a évoquées pour expliquer ces curieux cas d’intoxications qui n’en étaient pas. Elles peuvent hélas faire davantage encore, comme de plus en plus d’écrits le suggèrent aujourd’hui (7). On leur attribue par exemple la mort par assassinat de Gyorgi Markov, en 1978, à Londres. Comme le rappelle le Dr D’Adamo dans un ouvrage devenu un best-seller (5), le dissident fut mystérieusement tué par des agents du KGB alors qu’il attendait le bus. Tout un tas d’hypothèses, toutes plus farfelues que les autres, furent avancées pour tenter d’expliquer cette mort sans violence. Les médecins légistes ont en fait mis beaucoup de temps à authentifier les causes de son décès. Ils cessèrent de tourner en rond lorsqu’ils trouvèrent une petite bille d’or dans la jambe du défunt. Elle se révéla être imprégnée de ricine, une lectine extraite des graines de ricin. Il s’agit d’une agglutinine tellement puissante que même une dose infinitésimale suffit à provoquer la mort par coagulation des globules rouges, exactement comme lors d’un choc transfusionnel chez des personnes présentant des groupes sanguins incompatibles.
Cela pourrait demeurer anecdotique si nos aliments ne contenaient quasiment tous des lectines. D’où l’idée de James d’Adamo, naturopathe américain, puis de son fils Peter, de s’interroger sur les possibles liens entre les denrées que nous consommons (sources de lectines), nos groupes sanguins, leurs incompatibilités éventuelles et notre santé. Initiée il y a un demi-siècle, cette réflexion a abouti à une théorie simpliste, de plus en plus séduisante pour le grand public mais aussi, curieusement, pour une frange de plus en plus large du corps médical.
LES LECTINES SONT PARTOUT :
Pour les chimistes, ce qui caractérise les lectines, c’est leur grande aptitude à se lier aux glucides (25). Elles abondent dans les céréales (notamment le blé, ce qui est un point important comme nous le reverrons), les légumes secs ou les pommes de terre. Autrement dit, le sportif à haut niveau d’entraînement en avale beaucoup tous les jours. Cela a-t-il des conséquences ? Il est admis que ces protéines résistent très bien à la chaleur et à l’action des sucs digestifs (19). Elles arrivent donc intactes dans nos intestins. Là, elles sont susceptibles de se lier à certaines structures moléculaires et d’interférer avec les processus de digestion et de défense (26). Une très récente publication associe la consommation excessive d’agglutinines alimentaires, fournies par le germe de blé, les germes de soja, les haricots rouges ou les haricots cocos à une perturbation du transport des minéraux de part et d’autre de la membrane intestinale (14).
C’est cette promptitude à désorganiser les molécules et les architectures qui en dépendent qui en fait la toxicité. Ainsi, en désorganisant la muqueuse, les lectines pourraient augmenter la perméabilité intestinale. Ceci profiterait à des protéines alimentaires, qui peuvent alors devenir des antigènes lors de leur arrivée dans le sang. Ce schéma de la perméabilité intestinale a déjà été abordé dans ces colonnes. Les lectines représentent simplement un acteur de plus dans cette pièce dramatique. L’augmentation de la perméabilité de la muqueuse va également profiter à des microbes (1) ou à d’autres lectines. Ces dernières, en effet, abondent dans notre assiette (7). Chaque famille d’aliments en contient des variétés qui lui sont propres, ce qui suggère que chaque individu pourrait développer des réactions à tel aliment, et non à tel autre. C’est un peu ce qu’on observe, ceci dit, avec les allergies. Dans l’exemple de l’hôpital qui ouvre cet article, 19 amateurs de haricots n’ont ainsi pas souffert de la présence abondante de lectines dans ces légumes secs.
Le passage de ces dernières dans notre organisme peut évidemment susciter quelque inquiétude, du fait de leur grande facilité à semer la pagaille partout où elles arrivent. Heureusement, on considère que notre système immunitaire nous protège en grande partie contre l’action de nos lectines. Selon le Dr d’Adamo, qui a beaucoup étudié la question, 95% de celles que nous absorbons sont neutralisées par notre organisme. Mais les 5% qui y échappent peuvent effectuer un gros travail de sape malgré tout.
Ces 5% semblent en effet suffire à déclencher, chez des sujets prédisposés, de sévères pathologies à caractère chronique. Depuis une vingtaine d’années, divers travaux ont permis d’établir que ces protéines pouvaient exercer des effets toxiques et inflammatoires (25), et la démonstration a été faite qu’elles pouvaient diffuser et se déposer dans des organes distants (18, 27). Ce modèle de la pathologie à distance est plutôt inquiétant.
DES DEGATS COLLATERAUX :
La possibilité, pour les lectines, de passer dans la circulation, a permis au monde scientifique de considérer d’un œil nouveau ce qui constitue encore une énigme, à savoir la « maladie coeliaque ». Ce qu’on en sait, c’est qu’elle correspond à une très forte réponse au gluten du blé, perçu comme un antigène. Divers sportifs de haut niveau souffrent de cette pathologie, et en 2001 nous avions interviewé un sportif français, le volleyeur Fabrice Bry, qui en souffrait depuis plusieurs années. Des auteurs ont identifié, dans la fraction protéique du blé (la gliadine), une lectine capable de se lier très fortement à la muqueuse intestinale (10, 13). De là à penser qu’en se fixant sur la muqueuse elle déclenche la réaction immunitaire nocive, il n’y a qu’un pas, que certains ont déjà franchi. Cela étant, depuis une trentaine d’années le débat est toujours aussi vif entre ceux qui pensent qu’il s’agit de « la » toxine responsable de la maladie (28), et ceux qui ont une autre conception de celle-ci. Quoiqu’il en soit, hormis le fait qu’elle apporte du crédit à ceux qui mettent en garde contre la présence des lectines alimentaires, cette hypothèse n’améliore en rien la condition de ceux qui souffrent de maladie coeliaque, dans la mesure où l’essentiel des bénéfices résulte de toute façon de la suppression du blé et de ses dérivés.
La maladie coeliaque n’est pas la seule à pouvoir être interprétée sous l’angle de l’intoxication par les lectines. C’est aussi le cas de certaines néphropathies. Des auteurs ont montré que les lectines du blé se lient aux parois des capillaires glomérulaires, ou que les cellules des tubules rénaux fixent les IgA, et qu’enfin des dépôts peuvent s’y produire. Un travail mené avec de jeunes enfants a montré que l’éviction du gluten (et des lectines qu’il renferme), a donné lieu à une chute de la protéinurie et du taux de complexes immuns (3). Ces observations vont dans le sens d’une amélioration de la fonction rénale.
Selon Loren Cordain que nous avons interviewé dans le numéro précédent, cette rupture de la barrière intestinale favorise, chez les sujets prédisposés, la survenue de pathologies auto-immunes telles que la polyarthrite rhumatoïde (4). Comment ? Tout simplement parce que les lectines constitueraient une stimulation antigénique permanente. La molécule normale de l’IgG humaine possède des chaînes glucidiques latérales, qui se terminent par du galactose. Dans le cas de la polyarthrite rhumatoïde, le galactose manquerait, ce qui exposerait alors le second glucide habituel de la chaîne aux éléments circulants. Cette molécule serait le N-acétyl-glucosamine (N.A.G.). Lorsque l’alimentation déclenche de fortes poussées inflammatoires, l’un des aliments semblant plus particulièrement impliqué est le blé. La lectine qu’il renferme manifeste une grande attirance pour le N.A.G (21). Cette anomalie, chez des sujets prédisposés, orienterait l’attaque des globules blancs contre les tissus concernés (4).
Des observations assez convaincantes suggèrent également la responsabilité de certaines lectines dans la survenue du diabète insulino-dépendant et de certaines formes d’insuffisance thyroïdienne. Des auteurs ont observé que, chez les sujets diabétiques, les auto-anticorps dirigés contre les ilôts de Langerhans du pancréas réagissaient plus particulièrement à la présence, à leur surface, d’un disaccharide bien particulier, le N-acétyl-lactosamine (23). Or ce motif se lie très fortement aux lectines de la tomate, mais aussi à celles du blé, des pommes de terre et de l’arachide. Il s’ensuivrait une amplification de la réponse auto-immune par agglutination lorsqu’on mangerait ces aliments. Du moins chez certains sujets.
Pour un nombre croissant de médecins, l’éviction de ces lectines, c’est-à-dire la suppression des aliments qui les délivrent de manière très spécifique, contribuerait à une nette amélioration de l’état de santé. Pour Cordain, cela passe par l’adoption d’un régime paléolithique. Pour D’Adamo, la clef se situe ailleurs, au niveau des groupes sanguins…
TOUT BIEN PORTANT EST-IL UN MALADE QUI S’IGNORE ?
Cette intoxication invisible, dont aucun de nous ne serait a priori à l’abri vu l’omniprésence des lectines, a de quoi effrayer. Heureusement, elle fait aussi réfléchir : « Mais si nous mangeons tous des lectines quotidiennement, même trois ou quatre fois par jour, pourquoi ne développons-nous pas tous un diabète insulino-dépendant, une polyarthrite, une néphropathie ou des ulcères de l’estomac ? », se demande justement un spécialiste de la question (7). Parce que nous présentons tous des différences dans notre façon de procéder aux glycoconjugaisons de nos protéines tissulaires avec les sucres, c’est-à-dire dans notre manière d’habiller nos protéines pour les rendre plus ou moins promptes à s’agglutiner quand les conditions se trouvent réunies. Et sans doute également parce que ces architectures sont protégées derrière une fine pellicule d’acide sialique, composé dont le principal rôle, en se liant aux lectines apportées par notre ration, est de les piéger et d’empêcher leur accès à la muqueuse. Cela marche, on l’a vu, à 95%. Ensuite, c’est une question de vulnérabilité individuelle. Et de rencontres parfois fortuites. Le Dr Arpad Pusztai, chargé à la fin des années 90 de dresser un état des lieux des risques liés à l’arrivée des OGM sur la table des Américains, a souligné que de nombreuses lectines sont de très puissants allergènes. Il cita à l’appui de sa mise en garde le cas du latex. Or on a introduit un gène du caoutchouc dans certaines tomates transgéniques dans le but d’accroître les qualités antifongiques de celles-ci. En effet, ces lectines provoquent une répulsion des insectes qui attaquent le fruit (15). Théoriquement, ces protéines n’affectent pas la santé du consommateur. En fait, Pusztai ne partageait pas cet avis et il voulut alerter les autorités sur les risques potentiels de futures allergies à la tomate. Pour toute réponse il fit, à l’époque, l’objet d’une mise à pied qui mit en émoi ses collègues et suscita de vives réactions (19). Pour autant, il ne suffira pas d’éliminer les OGM de notre assiette pour se protéger des risques potentiels représentés par les lectines (*).
(*) : Divers travaux soulignent également l’aptitude de certaines lectines alimentaires à stimuler de manière anormale la croissance des tissus, et même à accroître le risque de cancer. Des auteurs britanniques suggèrent ainsi un risque plausible de croissance du pancréas (avec la menace d’un cancer), en réponse à l’ingestion de lectines d’arachides ou de champignons comestibles (12, 16). Une équipe allemande a montré que, in vitro, certaines lectines alimentaires favorisent la prolifération de lignées de cellules de cancer du sein (24). Chez l’Homme, un travail suggère une relation entre consommation de lectines et risque de cancer colorectal (6). Enfin, chez la souris, un lien a été établi entre la présence de certaines lectines et le déclenchement de pathologies thyroïdiennes auto-immunes (2).
D’ADAMO CONNAÎT LA CHANSON…
C’est là que le Dr d’Adamo entre en scène. Son ouvrage compile 50 années d’observations, celles de feu son père et les siennes, initiées à partir d’une idée originale et pas aussi sotte qu’il n’y paraît. Laquelle est-ce ? Chaque groupe sanguin se caractérise par des glucides spécifiques situés à l’extérieur des globules rouges. Il explique par exemple que les globules rouges sont, comme les autres cellules, porteurs d’antigènes spécifiques, qui constituent une sorte d’empreinte biologique. Le groupe O constitue un cas à part, du fait qu’il ne possède aucun véritable antigène. Le nom de notre groupe sanguin est celui de l’antigène dont nos globules rouges sont porteurs. La différenciation entre eux repose sur les caractéristiques des glucides qui composent le système d’antennes qui part de la surface de leurs cellules. Les individus du groupe A portent l’acétyl-galactosamine, dont on a parlé plus haut à propos de la polyarthrite rhumatoïde. Ceux du groupe B portent le galactosamine, et enfin les membres du groupe AB associent les deux derniers (8).
A côté des antigènes, les individus des différents groupes sanguins produisent des anticorps dirigés contre les antigènes des autres groupes. La réaction d’agglutination qui peut survenir en mettant en présence deux sangs incompatibles est à l’origine des chocs transfusionnels. La même anomalie survient si, comme les agents du KGB ayant tué Markov, on met de la ricine en présence de n’importe quel type de globules rouges. Seul le groupe AB ne produit pas d’anticorps, ce qui explique le statut de receveur universel des individus appartenant à ce groupe.
S’appuyant sur des considérations d’ethno-génétique plus ou moins validées, D’Adamo a construit une théorie réductrice qui résume les problèmes de santé à une histoire de compatibilité entre certains aliments et tel ou tel groupe sanguin. Pourquoi ? Tout simplement parce que certaines lectines agglutineraient les globules rouges de certains groupes et pas ceux d’autres. D’Adamo père et fils auraient alors consacré une grande partie de leurs vies respectives à tester les compatibilités, aliment par aliment et groupe par groupe, puis à valider leur hypothèse sur la base d’observations cliniques qui, reconnaissons-le, sont aux dires de certains patients, suivis par des médecins ayant intégré cette théorie, de réels progrès. Ces expériences ont abouti à la caractérisation, groupe par groupe, des aliments autorisés ou interdits. Les maladies résulteraient alors, dans ce cadre, de l’abus d’aliments vecteurs des lectines incompatibles avec le groupe sanguin du sujet concerné. Disons-le clairement. Autant les travaux consacrés aux lectines suscitent de la curiosité et sont soutenus par des publications rigoureuses, autant les arguments venant directement appuyer le fait que tel groupe sanguin favoriserait plutôt telle pathologie, et tolèrerait mal tel groupe de denrées sont peu fournis, souvent anciens, et parus de surcroît dans d’obscures revues peu exigeantes pas toujours exigeantes sur le plan de la méthodologie (11, 17, 20, 22). Et avouons que la curiosité suscitée par cet énorme travail de compilation retombe nettement lorsque d’Adamo se hasarde sur le terrain de la psychologie à deux sous, par laquelle il attribue aux représentants des différents groupes sanguins des caractéristiques de caractère spécifiques. Impensable pour un esprit rationnel, même ouvert, d’adhérer à ce genre de discours.
Qu’est-ce qui, dans l’esprit de Peter d’Adamo, prédestine chaque sujet à présenter des traits de caractère bien précis ? C’est l’histoire de son groupe. Dans son ouvrage, il explique que les sujets du groupe O sont les descendants directs de la population ancestrale de chasseurs- cueilleurs, que leurs tolérances alimentaires se sont constituées dans ce cadre-là, et que leurs traits de caractère sont en partie hérités de leurs ancêtres carnivores. Chez eux, les lectines délivrées par les produits céréaliers et les laitages sont à l’origine de tous les maux. Rappelons qu’aux USA, là où sévit d’Adamo, 45% de la population se range dans le groupe « O » (8).
Le groupe A, quant à lui, regroupe les descendants d’une population agricole, qui s’est tournée il y a dix mille ans vers l’agriculture et l’élevage et aurait développé des caractéristiques de tolérance et d’immunité en rapport avec ce cadre de vie. Il s’agirait de sujets dont l’équilibre reposerait plutôt sur des pratiques végétaliennes. Généralement, si on en croit d’Adamo, ces sujets devraient éviter les laits animaux et les céréales riches en gluten et limiter l’ingestion de viandes. Bref, ils doivent se sentir mal à l’aise sur leur propre sol, entre « Pizza Hut » et « Mc Do ». Ce groupe englobe pas moins de 41% de la population vivant Outre-Atlantique.
Le groupe B (comme « barbare » selon d’Adamo) correspond à une mutation apparue chez une population vivant sur les hauts plateaux de l’Himalaya. D’Adamo spécule sur le fait que la mutation apparue aurait servi à une meilleure adaptation à ce contexte climatique difficile. Doté d’un bon système immunitaire, très tolérant et capable de s’adapter, le sujet du groupe « B » serait celui qui pourrait diversifier le plus largement sa ration, acceptant sans trop de mal le blé, mais devant cependant surveiller le bacon, le jambon, certains aliments marins. Il ne doit cependant rejeter aucun groupe alimentaire dans sa quasi-totalité. Les sujets du groupe « B » sont minoritaires aux USA, représentant à peine 10%% de la population locale.
Quant au groupe AB, il serait issu d’un métissage de populations européennes de groupe A et de populations mongoles de groupe B… Très jeune, puisque apparu autour de l’an 900, il afficherait un système immunitaire particulièrement performant. Il expose à un moindre risque d’allergies ou de maladies auto-immunes. Là aussi, les évictions imposées aux représentants de ce groupe ne portent pas sur un groupe d’aliments particuliers et, globalement, il s’agirait d’adaptations très fines.
DE LA POUDRE AUX YEUX :
Notons le côté paradoxal de ce concept alimentaire. Alors qu’il se proclame comme étant le seul à proposer une réponse individualisée aux problèmes de santé, il ne donne le choix, en fait, qu’entre quatre options très précises, répondant aux spécificités de plusieurs milliards d’individus. Ce schématisme et cette tendance à simplifier à l’extrême, qui ne laisse aucune place au doute (ce qui est sans doute son côté le plus négatif), semble pourtant marcher. Il n’est pas un jour où un médecin rapporte le témoignage d’un patient amélioré en suivant ce régime. Quand ce n’est pas le patient lui-même qui, se découvrant O, a abandonné le végétarisme pour devenir un expert ès-barbecue, et affirmer s’en sentir revigoré. Au-delà de la réfutation immédiate au nom du cartésianisme, attardons-nous sur cette question. Et si çà marchait ? Si oui, cela prouverait-il que c’est vraiment le groupe sanguin qui est l’élément déterminant ? Nous avons constaté, en passant rapidement en revue les particularités des régimes propres à chaque groupe, que les possesseurs des groupes O et A se trouvent améliorés en cas d’éviction systématique des laitages et du gluten. Or, ces sujets représentent près de 86% de la population. Des travaux autrement plus sérieux, consacrés aux problèmes des maladies auto-immunes et aux intolérances alimentaires, ont mis en exergue la fréquente responsabilité des laitages animaux et des sources de gluten dans ces pathologies. Si vous décidez, en première intention, de proposer l’éviction de ces denrées à un sujet atteint d’une pathologie articulaire, inflammatoire, digestive ou auto-immune, il y a 86 chances sur cent pour que vous conseils rationnels coïncident avec les recommandations dictées par les groupes sanguins. Et au moins une chance sur deux pour que le patient s’en trouve amélioré.
Alors qu’en conclure aujourd’hui ? Autant la question des lectines mérite d’être approfondie, et risque de modifier notre conception des pathologies digestives (notamment celles du sportif), articulaires ou auto-immunes de la population, autant l’idée de devoir manger selon son groupe sanguin relève, pour l’instant, de la divination…
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Denis Riché
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