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Le « Nutella » !

par | 22 Sep, 2023 | 0 commentaires

Aïe, aïe, encore un sujet presque aussi polémique que les chasseurs. On me voit venir, avec mon statut de nutritionniste, et on m’imagine déjà enfourcher le cheval de la défense de l’orthodoxie diététique. Et par la même occasion fustiger le flagrant délit de plaisir alimentaire. Que nenni ! Plus que la malbouffe, il y a deux choses qui me hérissent le poil. Ce sont la malhonnêteté intellectuelle et les décrets liberticides. Et avec ce doux produit riche en chocolat, le comble est atteint dans ces deux domaines.

En fait, deux positions radicalement opposées voient s’affronter des personnes parfois très proches. Amusez-vous à lancer le débat sur cette question, au cours d’un repas de famille, juste pour voir. Le résultat ne sera pas très éloigné des champs de ruines qui jonchent le passage des supporters du PSG sur la Canebière. Et pour armer ces deux camps irréconciliables, qui trouve-t-on ? L’industrie agro-alimentaire et ses vassaux, les grandes banques. Depuis que les institutions sanitaires et les gouvernements ont choisi de prendre le taureau par les cornes et de s’atteler à la prévention de l’obésité, on voit fleurir à tout instant des bandeaux sur vos écrans télés : « pour votre santé, mangez cinq fruits et légumes par jour ! », ou encore « évitez de manger trop gras, trop sucré ou trop salé », ce qui oblige les anthropophages à ne plus ajouter de ketchup sur les obèses qu’ils attrapent.

Face à l’attaque en règle des experts bien-pensants, la réponse ne s’est pas fait attendre. Les fabricants de produits alimentaires industriels ont réagi en mettant en exergue, de manière souvent abusive, quelque vertu sanitaire trouvés à leurs produits. Les responsables de Ferrero, (nul besoin de préciser que vous savez déjà que c’est la marque qui distribue le Nutella), leur ont, comme plein d’autres, emboîté le pas. Qui n’a pas noté, en essuyant le couvercle dégoulinant de pâte visqueuse qu’il était écrit que : «Le petit déjeuner nutella*, 2 tartines de nutella, 1 bol de lait et un verre de jus d’orange, est très proche du petit déjeuner idéal recommandé par les nutritionnistes. 25% des besoins énergétiques de l’enfant. ». Le petit astérisque ne constitue pas une faute de frappe, il permet simplement de nuancer la nature de ce petit déjeuner « idéal » : Il comprendrait 60 g de pain, 30 g de Nutella, 100 ml de jus de fruit pressé et 250 ml de lait chocolaté. Lorsqu’on considère la répartition entre glucides, lipides et protides, l’analyse n’est pas fausse. On n’est pas très loin des diktats du Programme National Nutrition Santé (PNNS), la nouvelle bible des diététiciennes. Mais l’effet du premier repas de la journée ne se juge pas à l’aune de ce seul critère. Il est évident que si vous avalez un tel menu au saut du lit, vous allez faire une hypoglycémie réactionnelle qui vous vaudra un coup de bambou 90 mn plus tard. Demandez aux navigateurs qui disputent le Vendée Globe s’ils prennent du Nutella le matin avant d’aller barrer 6 heures…

Pour autant, s’il est faux de dire que le Nutella est un des piliers de l’équilibre alimentaire, il est tout aussi fallacieux d’en faire la cause majeure de l’obésité. Car celui qui mange du Nutella ne mange pas QUE du Nutella. Et il peut se ranger parmi les sédentaires ou figurer parmi les meilleurs trailers de l’Hexagone. Je voudrais qu’on m’explique en quoi un individu qui consomme une ration diversifiée, et est actif aurait tort de consommer, s’il en a envie, un peu de Nutella le matin ou au goûter ? Cette question de bon sens ne semble hélas pas effleurer l’esprit des parlementaires européens, qui ont imaginé pondre un texte de loi qui diaboliserait ce produit, au prétexte qu’il serait trop gras ou trop sucré. Mais trop par rapport à quoi et à qui ? Et que fait-on du libre arbitre du consommateur ? On peut avoir un pot de Nutella chez soi, sans le finir en une demi-heure. Cette espèce de prohibition alimentaire, cautionné par des textes de loi écrits par des non spécialistes de l’alimentation, s’inscrit dans la droite ligne des réformes liberticides successives par lesquelles on décide, à la place des citoyens consommateurs irresponsables, de protéger leur santé. Allons bon ! Cela peut s’entendre relativement au tabac ou à l’alcool. Mais pour le Nutella, est-ce sérieux ? A quand le foie gras ou les frites ?

Des consommateurs citoyens soucieux de préserver leurs libertés sont montés au créneau pour défendre ce produit, et une pétition circule en ligne. D’autres ont fait la même démarche, mais cette fois pour inciter au boycott. Non pas par dogme d’orthodoxie alimentaire, mais plutôt en réaction à la présence de l’huile de palme parmi les ingrédients dudit produit. Certes, de réels problèmes se posent avec elle, notamment la déforestation de certaines régions du globe, en particulier en Indonésie. Donc, nantis de notre bonne conscience de citoyen éco-responsable, on fustige ces industriels peu scrupuleux qui spolient la planète. Fort bien. Mais on oublie quand même quelques détails au passage. D’une part, comme le rappelle le Ministère de l’Agriculture indonésien, il reste beaucoup plus de forêts équatoriales sauvages dans ce pays qu’en France et notre pays est relativement peu exemplaire sur le plan de la sauvegarde de la biodiversité. Allez chercher une chouette en Seine St Denis, par exemple. D’autre part, si ce boycott généralisé réussit, portera-t-on aussi la culpabilité de la nouvelle précarité des populations locales ? Enfin, pourquoi montrer du doigt le Nutella, et pas l’ensemble des produits où l’huile de palme, peu chère, est incorporée ? Et poussons le raisonnement jusqu’au bout, pourquoi utiliser cette huile peu chère, sinon pour réussir à survivre dans un monde de profit qui écrase tous les petits fabricants.

Que penser ? Evidemment, l’huile de palme pose un problème. Mais il est compliqué à résoudre. Pourquoi ne pas imaginer, en même temps qu’on achète un produit qui en contienne, rembourser une éco dette qui servirait à payer de nouveaux arbres et à garantir une transition correcte à ces populations ? Pourquoi ne pas accompagner la volonté de certains industriels d’améliorer leurs produits, et pourquoi également ne pas « compenser » la présence de telles « junk foods », comme disent les Américains, par une ration équilibrée, constituée de produits sains ? Mais de grâce, si on commence à légiférer pour dire aux populations ce qui est bon ou non, voire de sanctionner les ménagères qui passeraient à la caisse du supermarché avec des pots de Nutella destinés à leurs enfants, alors c’est la fin de tout. Car quand même, si on m’avait dit, au début de ce siècle, qu’un jour on débattrait de la pertinence d’une loi anti-Nutella, et que des pétitions circuleraient pour ou contre ce produit à tartiner, je me serais tapé sur les cuisses. Alors faites comme vous voulez, évitez simplement d’en mettre dans vos bidons.

Pour ma part, j’aime cette douce antienne : « je suis nue, t’es là ? »

photos et création  : Philippe ENG & Girls band

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