Le gluten est une protéine présente dans le blé et dans de nombreuses autres céréales dont la particularité est de devenir très collante au contact de l’eau. Se pourrait-il qu’elle englue également notre esprit?
Commençons avec l’histoire plusieurs fois racontée mais néanmoins intéressante du joueur de tennis, Novak Djokovic. Nous sommes au début de l’année 2011. Le Serbe compte déjà parmi les meilleurs joueurs du monde, mais il lui manque toujours ce petit « truc » pour remporter les tournois les plus prestigieux et se hisser en tête du classement ATP. Dans sa biographie intitulée Service Gagnant, il ne cache rien de la frustration qu’il ressent à l’époque face notamment à son incapacité à maintenir à l’état maximal son attention d’un bout à l’autre de la partie. Si l’adversaire est plus faible, ça passe. Mais s’il est de son niveau et que le match s’éternise, ses petites chutes de concentration finissent par lui coûter la rencontre. Un match en particulier lui laisse un souvenir amer. Cela se passe lors du tournoi de Toronto en 2011. En huitième de Finale, Il affronte le Français Jo-Wilfried Tsonga. Les jeux défilent et, petit à petit, Djokovic se délite littéralement sous les yeux d’un public médusé. Sans force, l’esprit embrumé comme au lendemain d’une grosse beuverie, en proie à d’insupportables maux d’estomac, victime de vertiges et de problèmes respiratoires, il craque et sort du Tournoi par la petite porte : 6-2, 6-2 en une heure et cinq minutes. « Mon corps était brisé » confie-t-il dans cet ouvrage. « Heureusement, la fin est arrivée vite. Comme une exécution! » Il parle alors des ses problèmes à l’un de ses compatriotes, le Docteur Itor Cetojevic qui lui diagnostique une maladie cœliaque. En clair, Djokovic serait intolérant à la gliadine, une des protéines constitutives du blé connue aussi sous le nom de gluten. En sa présence, son organisme réagit comme s’il était l’objet d’une attaque microbienne. A chaque tartine, le système immunitaire se remet en branle ce qui lui coûte de l’énergie et abîme à la longue la paroi de la muqueuse intestinale. La solution? Simple! Elle consiste à exclure le gluten de son alimentation. Adieu pain, pâtes et surtout pizza. Pour la petite histoire, il faut savoir que les parents Djokovic tenaient une pizzeria dans une station de ski, à Kopaonik, où Nowak tapa ses premières balles malgré des conditions climatiques difficiles et des terrains recouverts de neige environ six mois par an. C’est même extraordinaire qu’un tel talent ait pu éclore dans des circonstances aussi peu favorables. Mais revenons à notre gluten et à un régime adopté en janvier 2011 qui lui impose de revoir toutes ses habitudes culinaires. Car le gluten se trouve en grande quantité dans le blé -tout le monde le sait- mais aussi dans le seigle, l’avoine, l’orge et l’épeautre. On doit donc opter pour des farines sans gluten (châtaigne, sarrasin, maïs, millet, riz, fèves) et des plats à base de riz, de quinoa, de légumineuses et de pommes de terre. C’est plus cher, c’est surtout contraignant, mais, dans le cas de Djokovic, les résultats sont spectaculaires! Dans les quelques mois qui suivent, il s’arrange pour prendre sa revanche sur tous ceux qui le devançaient habituellement dans la hiérarchie et devenir ce joueur presque infaillible qui règne désormais sur le tennis mondial. Il est même particulièrement redoutable lorsque les matchs vont au cinquième set! Preuve qu’il est désormais doté de ce mental à toute épreuve qui lui faisait défaut pendant la première partie de sa carrière.
Une trop belle histoire
L’histoire est belle. Trop belle, même. On a toutes les raisons de s’en méfier. Par le passé, on a connu un tas de régimes miracles qui bien souvent n’agissaient que par effet placebo ou, plus grave, servaient d’alibi pour masquer des pratiques inavouables. Ceux qui suivent le tennis depuis longtemps se souviendront peut-être d’un certain Docteur Robert Haas, nutritionniste à Miami, qui avait converti un tas de champions à son régime. Numéro un mondiale de l’époque, Martina Navratilova, était même tellement emballée qu’elle lui avait fait signer un contrat d’exclusivité sur le circuit féminin. Haas préconisait de réduire les graisses et privilégier au contraire les sources de sucres lents. Bref il fallait manger des pâtes et du pain, pratiquement à tous les repas. Marrant non? Un coup, les céréales sont parées de toutes les vertus. Un coup, on les considère comme des poisons! Est-ce à dire que les recommandations en diététique sportive ne valent décidément rien? Plusieurs personnes ne sont pas loin de le penser. Même parmi les spécialistes. Il faut reconnaître que la littérature sur le sujet est faite de remises en cause parfois radicales à propos d’aliments pourtant banals comme le lait, la viande, le sel de table et ici le blé. Ceci dit, il existe tout de même des données solides auxquelles se raccrocher. Ainsi personne ne songe à remettre en question l’existence de la maladie cœliaque. Elle a été décrite il y a plusieurs siècles et fit des victimes parmi les plus grands esprits de l’histoire. On sait qu’elle résulte d’une authentique intolérance au gluten. On a même décrit assez précisément son mode d’action. Sur la base d’une prédisposition génétique, le système immunitaire déclenche ses attaques contre une séquence précise de la gliadine qui devient apparente lorsque la protéine est prise en charge par une enzyme intestinale appelée « transglutaminase » (22). Au passage, il détruit aussi une protéine constitutive de la paroi intestinale qui n’a rien à voir dans l’affaire sinon qu’elle présente une forme similaire à la gliadine (22). Cette maladie cœliaque touche entre 0,5 et 2% de la population. Dans ce cas-là, on a bien raison de craindre le gluten. Et les autres? Car les régimes d’exclusion se propagent bien au-delà de cette population spécifique de victimes de la maladie cœliaque. Serait-ce un phénomène de mode? Certains ne sont pas loin de le penser. Ils prétendent même que le buzz que l’on fait autour de ces pseudo-allergies sert à l’industrie désireuse d’exploiter un nouveau marché, celui des aliments « gluten free » évidemment!
Les raisons de s’interroger sur la survenue d’un tel phénomène sont effectivement nombreuses. Notamment sa soudaineté.
Comment se fait-il qu’un aliment aussi banal que le pain fasse soudainement parler de lui après des siècles de digestion sans histoire. Le pain! Lui qui a accompagné tant de civilisations. Lui qui a été sacralisé par le christianisme. Comment expliquer qu’il se soit soudain transformé en instrument du diable? D’autant qu’on en consomme beaucoup moins qu’avant. Au début du XXe siècle, un Français adulte tournait aux alentours de 600 grammes par jour. Aujourd’hui nous en serions plutôt à 150 grammes.
Le scepticisme se nourrit d’informations de ce type et il arrive que le débat glisse sur le terrain de la psychiatrie. On évoque les craintes irrationnelles portées à l’encontre de la nourriture. On évoque l’existence d’une nouvelle maladie mentale appelée orthorexie qui repose sur un ensemble de croyances alimentaires ésotériques. De fait, cette « psychiatrisation » du problème offre une grille de lecture confortable à l’histoire de Djokovic. On a dit que le joueur serbe cherchait désespérément une solution à ses problèmes. Il aurait alors été embobiné par un charlatan. Par chance, l’adoption de son régime coïncida avec une embellie dans sa carrière qui, elle, peut s’expliquer par un regain de forme de sa part ou une phase de déclin de la part de ses principaux adversaires. Allez savoir! Quoi qu’il en soit, Djokovic se serait persuadé, en toute bonne foi, de l’existence d’une relation de cause à effet et profite désormais de l’attention qu’on lui porte, à chaque nouvelle victoire, pour faire un peu de prosélytisme en faveur du « gluten free ».




Le pain qui fait marrer les ancêtres
Libre à chacun de penser ce qu’il veut. Pour ne pas être accusé de sectarisme, on doit néanmoins entendre les arguments de l’autre bord. En l’occurrence ceux qui soutiennent que, oui, le gluten constitue un vrai problème de santé, oui, ce problème déborde le périmètre étroit des maladies cœliaques, et non, l’histoire de Djokovic ne s’explique pas seulement par l’effet placebo. « On mangeait plus de pain autrefois, c’est exact » reconnaissent-ils. « Au sortir de la guerre, des gamins pauvres ont ainsi survécu avec des miches chapardées et du lait bu au pis des vaches sans développer d’allergies. C’est vrai. Mais s’agissait-il du même lait? S’agissait-il du même pain? » En quelques décennies, l’industrie agro-alimentaire a effectivement changé les anciens modes d’élevage et de culture de façon assez radicale. Cela concerne aussi la fabrication du pain. Au XXe siècle, on a découvert que le gluten jouait un rôle essentiel dans le processus de panification et on a sélectionné les variétés où il abonde, écartant du même coup les blés barbus, dont les grains aux longs poils entravaient la mécanisation de la récolte. Après la Seconde Guerre mondiale, les choses se sont encore accélérées. Par de nouveaux croisements, on a obtenu le grain nécessaire à la confection d’une farine parfaite: blanche, pétrissable à souhait, facile à lever… Et très riche en gluten! Les industriels sont ravis. Les consommateurs un peu moins. Et pour cause! La flambée des intolérances date précisément de cette révolution.
Bref, il se pourrait bien que nos problèmes actuels trouvent leur origine dans ces choix dictés par le productivisme agro-alimentaire. Que leurs admirateurs nous pardonnent cette comparaison. Mais on peut comparer les baguettes de 1950 et 2010 à des stars du show-business transformées par la chirurgie esthétique comme Cher ou Michael Jackson. Ce sont toujours les mêmes personnes. Cependant, elles sont difficilement reconnaissables. On peut parfaitement concevoir que les enzymes chargés de mener à bien les processus digestifs éprouvent eux aussi des difficultés de discernement. D’autant que la nourriture n’est pas seule à évoluer. La multiplication des diagnostics d’intolérance au gluten doit aussi nous amener à nous poser des questions sur l’évolution de notre propre flore bactérienne et de ces milliards de bactéries dont on a longtemps sous-estimé le rôle et que l’on reconnaît désormais à leur juste valeur au point de les considérer de plus en plus souvent comme un organe à part entière. Or cet organe a subi des attaques incessantes tout au long du siècle passé, du fait de nos obsessions concernant l’asepsie et l’emploi déraisonné des médicaments. Peut-être même des vaccins. Plusieurs arguments soutiennent cette hypothèse. Ainsi, la prescription d’antibiotiques lors de la 1ère année est associée à une nette augmentation des risques d’allergies dès l’âge de 5-6 ans, notamment l’asthme et la maladie de Crohn (8, 12, 13, 19). Pareille réaction pourrait parfaitement se produire face au gluten et ne serait alors pas imputable à l’abandon de notre statut de « chasseur-cueilleur » du paléolithique comme on l’entend encore trop souvent, mais à cet autre bouleversement survenu beaucoup plus récemment auquel on prête parfois l’adjectif « post-néolithique » puisqu’il définit un stade où l’on ne se contente plus d’exploiter la nature environnante, mais à la transformer à son profit. Du moins le croit-on! On devine souvent cette ligne de démarcation dans le débat entre les « pro » et les « anti » gluten. Elle sépare ceux qui considèrent qu’en dépit de quelques modifications superficielles, les habitudes alimentaires restent globalement stables et les denrées similaires à ce qu’elles étaient autrefois, et ceux qui prétendent le contraire se disant persuadés par exemple que si quelques ancêtres lointains revenaient sur terre et qu’on leur proposait une de nos baguettes de pain, ils riraient de bon cœur!
A moins bien sûr qu’ils ne la trouvent délicieuse à l’instar de Jacquouille la Fripouille (alias Christian Clavier) dans le Film Les Visiteurs lorsqu’il dévorait un sandwich sur une aire d’autoroute et semblait même tout particulièrement apprécier le plastique d’emballage.
Les trois mécanismes d’empoisonnement
Seule la science pouvait espérer réconcilier ce beau monde. Première étape: vérifier si les maladies cœliaques sont réellement plus fréquentes qu’autrefois. On s’est donc mis à collecter les données. Problème! Les marqueurs biologiques qui servent au diagnostic sont peu fiables et donnent un fort pourcentage de « faux négatifs ». Jusqu’à 40%, paraît-il (7). A tel point que les spécialistes rigoureux n’osent plus se prononcer sur une éventuelle propagation de la maladie sans disposer d’outils de recherche plus précis (20). De plus, la maladie cœliaque ne serait pas seule à révéler l’existence d’un conflit. Deux autres expressions d’intolérance sont possibles. La première est ultra-rapide. Dans des cas rares, le gluten déclenche en effet une réaction allergique immédiate. La relation de cause à effet est facile à mettre en évidence avec des manifestations respiratoires (asthme, rhinite), cutanées (urticaire, eczéma) ou digestives qui surviennent quasi instantanément après consommation de pain, de farine ou de pâtes. Il ne s’agit pas véritablement d’une maladie cœliaque classique. Dans ce cas particulier, l’organisme ne réagit qu’à la présence d’une fraction particulière de la gliadine, la « gliadine omega 5 » (21). Là encore, cette pathologie est connue depuis longtemps et, rappelons-le, plutôt exceptionnelle. En tout cas, elle n’explique pas l’actuelle flambée des diagnostics. Reste à examiner le dernier cas de figure: le plus polémique. Il repose sur l’existence d’un troisième type de réaction à l’origine de symptômes pour lesquels on n’aurait pas fait spontanément le lien avec un problème de type digestif. Beaucoup d’auteurs croient en effet à l’existence d’une « intolérance au gluten non cœliaque » (11). C’est-à-dire qu’ils observent l’apparition de signes préoccupants liés à la consommation du gluten sur certains patients quand bien même la biologie est négative et que les biopsies intestinales ne révèlent aucune anomalie de la muqueuse grêle. Et il s’agit bien d’un problème d’intolérance puisque ces symptômes régressent avec l’éviction de la protéine. Or c’est cette pathologie qui semble actuellement progresser de façon phénoménale dans toutes les tranches d’âge mais surtout chez les 30-40 ans. Ces victimes se plaignent généralement de troubles survenant de quelques heures à quelques jours après l’ingestion d’aliments à base de gluten: maux de ventre certes, mais aussi céphalées, fatigue, confusion, douleurs musculaires.
Répétons-le. Ces manifestations ne s’accompagnent d’aucune anomalie aux examens biologiques. Sans preuve, on a longtemps considéré que ces témoignages ne présentaient aucun intérêt et on les rangeait au chapitre des phobies alimentaires. Or, la réalité est probablement plus complexe et la résonance médiatique de l’histoire de Djokovic a permis à bon nombre de patients incompris de pouvoir enfin se faire entendre et être pris au sérieux, y compris de la part des scientifiques. Une étude parue fin 2011 illustre cette nouvelle tendance. Les gastro-entérologues qui ont conduit ce travail autour du Professeur Jessica Biesiekierski (Université Monash à Melbourne) ont décidé de s’intéresser de manière plus précise à ces patients « embêtants » qui ne présentent pas d’anticorps anti-gluten positifs et se plaignent néanmoins d’inconfort et de douleurs de façon presque permanente. Ils soupçonnent le gluten mais n’osent pas trop le dire face à des gastro-entérologues sûrs de leur fait! De guerre lasse, ils finissent par initier un régime d’exclusion de leur propre chef (1).
Six mois plus tard, tout guillerets, ils reviennent chez le spécialiste pour leur rendez-vous semestriel et disent tous la même chose: « Depuis que j’ai arrêté le gluten, cela va beaucoup mieux. » Qu’ont fait Biesiekierski et ses collègues? Ils ont simplement décidé de mettre en place une étude originale portant sur 34 de ces patients ayant banni le pain et les biscottes. Ils ont séparé ces volontaires en deux groupes. Ils ont demandé à ceux du premier de réintroduire quotidiennement deux tranches de pain et un muffin dans leur alimentation. Ils demandèrent la même chose à l’autre moitié. Avec une différence toutefois. Dans le premier cas il s’agissait de pain et muffin sans gluten, alors que dans le second cas il s’agissait d’une formule classique. L’expérience dura un mois. A la fin de chaque semaine, on demandait à ces 34 personnes de se situer entre 0 et 10, sur une échelle qui concernait 4 critères: la fatigue, les douleurs non digestives, l’inconfort digestif et la qualité de vie. Dès le 8ème jour, tous les scores s’effondraient dans le groupe de ceux qui avaient vraiment assimilé du gluten, alors qu’ils restaient stables dans l’autre groupe. La pire détérioration s’observant sur le plan de la fatigue et de la concentration. Tout ceci survenait sans la moindre modification des marqueurs biologiques. Pourquoi? Mystère!



Les peptides empoisonneurs
La nature a horreur du vide, dit-on. De la même manière, les chercheurs ont horreur des questions sans réponses. Certains se sont penchés sur ces cas d’ »intolérance au gluten non coeliaque » et sont revenus pour cela à la base de toute assimilation, c’est-à-dire l’intestin. Plus haut dans le texte, on a dit que le dérèglement du système immunitaire et les attaques répétées contre les parois intestinales peuvent conduire peu à peu à une hyper perméabilité chronique. Dans ce contexte, certains éléments normalement cantonnés à la lumière intestinale pénètrent dans notre organisme (17). On pense habituellement aux protéines, qui sont suffisamment grosses pour se comporter comme des antigènes et déclencher, au fil du temps, une réponse immunitaire. C’est typiquement le problème de ceux qui sont victimes de maladies auto-immunes comme la maladie cœliaque. Mais cela ne permet pas d’expliquer les troubles cognitifs. Pour comprendre ce qui se passe, il convient de considérer une autre catégorie de molécules, constituées de fragments de ces protéines, notamment de petits bouts de gliadine. Apparus lors de la digestion, ces peptides qui contiennent 5 à 6 acides aminés, se glissent dans notre organisme et vont interférer avec certaines aires cérébrales ou divers récepteurs sensoriels (17). Ces molécules constituent une famille désormais connue des biologistes sous leur nom d’endorphines exogènes ou « exorphines ». De fait, elles s’apparentent aux endorphines naturelles et se lient aux mêmes récepteurs. Mais leur effet sur les tissus diffère radicalement (4). Les endorphines provoquent le calme, la sérénité. Les exorphines génèrent des douleurs et de l’angoisse. Des biochimistes russes ont effectivement démontré qu’elles amplifiaient l’état de souffrance et pouvaient même entraîner des perturbations comportementales. Sans le savoir, ces scientifiques reformulaient ainsi la thèse du Professeur Karl Reichelt en Norvège. Il y a 25 ans, celui-ci avait déjà fait le lien entre la présence dans le sang de peptides dérivés de certaines formes de caséine et de gluten et le développement de maladies graves comme l’autisme et la schizophrénie (10, 16). Plus récemment la désormais célèbre médecin-nutritionniste britannique, Natasha Campbell McBride a montré à quel point ces petites molécules pouvaient occasionner de grands dégâts sur le plan cognitif (2). Dans ses livres où elle explique notamment comment elle a guéri son propre fils de l’autisme, elle place le gluten au premier rang des facteurs pouvant favoriser d’authentiques troubles du fonctionnement neuronal.
Un nouveau snobisme
Ces travaux sont contestés, empressons-nous de le préciser. Dans le contexte général de crispation, il est tout à fait possible que, dans un camp comme dans l’autre, des spécialistes se soient laissé gagner par un esprit de généralisation abusive. La souffrance engendrée par ces maladies est immense et les moyens thérapeutiques de prise en charge, pratiquement nuls. Tout est donc réuni pour que fleurissent des théories à l’emporte-pièce et les accusations d’obscurantistes. Efforçons-nous donc de nous en tenir aux faits. Et seulement aux faits. Divers travaux suggèrent qu’il existe chez certaines personnes une hypersensibilité à la présence de gluten dans l’intestin. Ces réactions inflammatoires à répétition finissent par agresser la muqueuse, ce qui entraîne le passage de substances indésirables dans le sang. Ces substances sont-elles pour quelque chose dans le déclenchement des maux que l’on associe de plus en plus souvent à l’assimilation de gluten? Jusqu’à présent, les pontes de la psychiatrie rechignaient à investiguer cette piste. Peut-être trouvaient-ils que le tube digestif était indigne d’attention. Ou alors ils avaient oublié les grands principes de son fonctionnement après des années de focus sur le travail des neurones. On ne sait pas! Mais on trouve trop de corrélations pour ne pas se poser de question. Ainsi chez les enfants pour lesquels le diagnostic de maladie cœliaque a été posé, on enregistre aussi plus de cas d’hyperactivité, de déficit d’attention, de fatigue, de troubles de l’apprentissage, de maux de tête (23). L’extrême cloisonnement des spécialités médicales ne favorise pas la mise en évidence de telles relations. Celle-ci doit d’ailleurs beaucoup au hasard et à la relation d’amitié qu’entretenaient le professeur Marios Hadjivassiliou, du Département de Neurologie de l’Hôpital de Sheffield, et son inséparable comparse, le gastro-entérologue David Sanders, exerçant dans le même hôpital mais un étage plus haut. Comme le Docteur House et son complice James Wilson dans la série télé, ils avaient l’habitude de discuter entre eux des choix thérapeutiques difficiles. Ils s’aperçurent ainsi qu’ils avaient un grand nombre de patients en commun et donc qu’il existait probablement un lien entre les maladies neurologiques et digestives. Ce fut le point de départ d’une longue et fructueuse collaboration qui aboutit à démontrer la présence d’anticorps anti-transglutaminase dans le cerveau de certains patients et de faire le lien avec certains processus de dégénérescence de cellules du cervelet et/ou du cortex. Plus récemment un mécanisme similaire a été décrit dans le cas de la sclérose latérale amyotrophique ou certaines formes d’épilepsie (15). Leur travail publié en 2010 dans The Lancet a posé les bases de la maladie cœliaque dite « neuronale » qui est tout « sauf un nouveau snobisme », pour reprendre l’expression pour le moins malheureuse du psychiatre français, Gérard Apfeldorfer.





Encadré 1
Vingt mille lieux sous la merde
La maladie cœliaque a été décrite pour la première fois par le médecin grec Arateus en l’an 100 avant notre ère. A l’époque, il lui accole l’adjectif « koilaki » qui désigne l’abdomen en grec ancien et qui par le jeu des sonorités donnera « cœliaque » en français. A l’époque, on ne comprend pas grand chose à son étiologie. On manque aussi de remèdes pour venir en aide à ceux qui en souffrent, comme l’écrivain français Jules Verne, de santé fragile lorsqu’il débarque à Paris en 1848. Il écrit à sa mère une lettre drôle et cruelle sur l' »impatience naturelle de son rectum » et une incontinence fécale qu’il décrit comme un « grave inconvénient pour un jeune homme qui a l’intention de fréquenter la bonne société. » Il souffre aussi d’un complet dérèglement de l’appétit avec des phases de boulimie entrecoupées de diètes plus ou moins contraintes en raison de ses faibles moyens. Deux ans plus tard, il souffrira de crises de paralysie faciale et d’autres symptômes insaisissables qui lui donnent l’impression de sombrer dans la folie. En tout cas, c’est ce qu’il redoute plus que tout! Tout cela rappelle furieusement l’étiologie d’une maladie cœliaque. Mais il ne trouva personne pour l’éveiller à l’explication d’une possible intolérance au gluten. En 1887, le docteur londonien Samuel Gee (Hôpital Saint-Bartholomew) remet tout à plat et entreprend une sémiologie précise de la maladie. Il soupçonne alors une cause alimentaire et évoque un problème de malabsorption chez les patients dont il a la charge. Mais il faudra attendre 1953 et les travaux du pédiatre hollandais Willem Karel Dicke (Université d’Utrecht) qui cible la présence de gliadine et propose les premiers régimes d’exclusion. A cette époque, compte tenu d’une localisation des symptômes de type essentiellement intestinal, cette pathologie reste dans le giron de la gastro-entérologie. Dix ans plus tard, on démontre un lien avec une maladie de peau, la « dermatite herpétiforme » (7). Plus récemment encore on a mis en évidence des atteintes nerveuses au cervelet (perte du sens de l’équilibre) et aux motoneurones (entraînant des paralysies). Tiens, tiens. De plus en plus de rhumatologues se disent aussi convaincus de l’implication de l’intolérance non cœliaque au gluten dans la survenue des douleurs chroniques. De fait, les biopsies intestinales réalisées chez des patients fibromyalgiques montrent une forte présence de lymphocytes dans la muqueuse, preuve que celle-ci est anormalement perméable (9, 20). Là encore, un régime d’exclusion entraîne souvent la régression des douleurs (5, 18). On fait parfois référence à cet enchaînement de causes et de conséquences sous le nom de « lymphocytose entérique » mais l’explication éprouve du mal à se frayer un chemin dans les esprits des théoriciens classiques de la médecine. Jusqu’à quand?
Encadré 2
Encore lui!
Les diverses formes d’intolérance au gluten sont elles-mêmes sous la dépendance de facteurs aggravants comme par exemple le déficit en fer (6). Ainsi, l’adoption brutale d’un régime végétarien suffit parfois à enflammer une situation précaire. Dans ce cas, il faut veiller à assimiler suffisamment de denrées à fortes teneurs minérales et se donner aussi toutes les chances d’une bonne assimilation. Les mycoses digestives peuvent tout dérégler. Et dans le rôle du germe complice, on retrouve une vieille connaissance: le Candida albicans! (3, 14) (*). Cela fait plus de dix ans que des chercheurs comme Natasha Campbell pointent la responsabilité de ce champignon dans la survenue de l’épidémie des « dys » qui touchent tant d’enfants des générations actuelles. Le duo infernal gluten- candida profite de la moindre période de déprime immunitaire pour affecter le fonctionnement cérébral. Sans doute un tel problème existait-il chez Djoko puisque, outre l’arrêt du gluten, son régime exclut les sucres rapides, dont on sait qu’ils font flamber la mycose. Il exclut également les protéines laitières, vectrices de caséine, famille de protéines qui, à l’égal du gluten, fournit une grande quantité d’exorphines perturbatrices.
(*) Lire Candida, le mauvais champignon
Encadré 3
Les métamorphoses du blé
L’histoire du blé commence il y a environ 500.000 ans par un croisement accidentel entre les graines de deux céréales rustiques: l’engrain (ou petit épeautre) et l’égilope (une vieille plante herbacée). Au temps des premières cultures, nos ancêtres choisirent de cultiver cette plante et de la croiser avec d’autres variétés végétales jusqu’à l’obtention d’un « blé dur » dont on se sert encore aujourd’hui pour faire des pâtes et d’un « blé tendre » (ou froment) plus prisé pour les pains et la pâtisserie. Toutes ces variétés sont déjà très riches en gluten. Mais pendant des siècles, leur digestion ne semble pas avoir posé trop de problèmes. Selon une hypothèse intéressante, le basculement vers la situation actuelle daterait de la révolution industrielle. Une façon pratique de réduire les apports de gluten consiste à boycotter le plus souvent possible les aliments déjà préparés. De fait, les industriels l’incorporent dans la plupart des aliments afin de les rendre plus onctueux. Ainsi, le gluten se cache parfois derrière des dénominations comme « exhausteurs de goût », « protéines végétales » ou encore « agents de texture ». Les personnes sensibles doivent faire attention à tout et se munir d’une loupe pour aller faire leurs courses. Lorsqu’on cuisine soi-même, il vaut mieux choisir des farines complètes ou intégrales, plutôt que des farines blanches de type T45 ou T55. Rappelons que ce numéro détermine le « taux de cendre », c’est-à-dire le pourcentage de minéraux présents dans la farine après l’avoir fait chauffer à 600 degrés. Par exemple, l’incinération de 100 grammes de farine blanche type T55 donne environ 0,55 gramme de cendre minérale, tandis que 100 grammes de farine intégrale T150 en produit 1,5 gramme. Plus le chiffre T est élevé, moins la farine contient de gluten!
Truc et astuce
Le mot gluten qui désigne les protéines du blé a été choisi au XVIe siècle sur base du mot latin « glu » qui signifie « colle ». De fait, lorsqu’on dilue une farine riche en gluten dans de l’eau et qu’on la fait ensuite chauffer jusqu’à la consistance désirée, on obtient une excellente colle à tapisser. Comptez environ 150 grammes de farine pour un kilo de colle.
Anatomie d’un grain
Le grain de blé se compose de trois éléments majeurs: le son (l’enveloppe), l’amande (la chair) et le germe (la graine). Chacun comporte des éléments vitaux. Ainsi le son contient les fibres et les minéraux. L’amande est riche en sucre et en protéines. Le germe recèle les graisses.




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Denis Riché pour Sports et Vie – 2015
Photos : MCC
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