Une nouvelle théorie diététique se propage dans la population, et notamment dans les milieux sportifs, selon laquelle le choix de notre alimentation devrait tenir compte de notre groupe sanguin. Explications.
Tout commence en 1988 dans un hôpital américain. La direction avait décidé de mettre sur pied une journée sur le thème d’une « saine alimentation ». A midi, la cantine de l’établissement proposait donc une série de repas végétariens, notamment un appétissant ragoût de haricots rouges. Trente et une portions de ce plat furent servies, mais, dans les quatre heures qui suivirent, onze consommateurs furent pris de violentes nausées, accompagnées de vomissements et de diarrhées profuses. Rien de très grave en réalité. Le lendemain, tout était d’ailleurs rentré dans l’ordre. Mais les services hospitaliers, quelque peu gênés par le dénouement absurde de cette journée, procédèrent à des analyses des restes dans le but d’identifier une éventuelle contamination du plat par un germe pathogène. Sans résultat! Aucun des habituels microbes alimentaires ne semblait avoir colonisé le ragoût. Les choses en seraient probablement restées là si l’un des protagonistes de l’affaire n’avait eu la curiosité d’approfondir les recherches. Il découvrit que les haricots renfermaient, à un taux très élevé, une protéine bien particulière, appartenant à la famille des lectines, appelée phytohémagglutinine (9). Il formula alors une hypothèse audacieuse qui reliait l’épidémie à la seule présence de cette protéine, sans nécessité d’une explication infectieuse associée. En clair, une grosse dose de haricots rouges faisait l’effet d’un poison pour certaines catégories de personnes. Mais pas pour les autres! Pourquoi? Les chercheurs essayèrent évidemment de percer les causes de cette discrimination légumineuse et s’interrogèrent notamment sur le fonctionnement du système immunitaire au niveau digestif.
On le sait, celui-ci se trouve normalement responsable de faire le tri entre les substances dangereuses et non dangereuses présentes dans l’alimentation. Mais il arrive que ce réseau de surveillance soit pris en défaut. Soit il laisse passer des hôtes indésirables dans la circulation: virus, bactéries, parasites. Soit il réagit à la présence d’innocentes cellules ou dirige ses attaques contre ses propres cellules, un phénomène à l’origine des pathologies que l’on appelle « auto-immunes ». Comment expliquer ces failles du système? Pour de nombreux auteurs, il pourrait s’agir d’un problème de nourriture ou plus exactement de la présence dans la ration alimentaire d’une classe de protéines du nom de lectine dont la particularité serait précisément de brouiller les repères indispensables au bon fonctionnement immunitaire.
Or, ces substances qui possèdent la particularité de se lier facilement aux glucides abondent littéralement dans les céréales (notamment le blé) ou les pommes de terre qui constituent la base de notre ration (25). Certes, elles résistent minoritairement à la chaleur et à l’action des sucs digestifs (19). Mais une petite proportion d’entre elles passe la barrière intestinale et s’introduit dans le sang, ce qui perturbe évidemment tous les équilibres (26).
Depuis une vingtaine d’années, les travaux s’accumulent pour démontrer l’influence néfaste des lectines dans les processus toxiques et inflammatoires (25).




Les protéines de la pagaille
L’efficacité du système immunitaire repose en effet sur une reconnaissance immédiate des différentes substances présentes dans l’organisme. Cela permet aux globules blancs de bien cibler leurs actions c’est-à-dire écarter les « méchantes » et épargner les « gentilles ». Pour permettre ce travail, la nature a doté chaque cellule de signaux distinctifs, appelés « antigènes de surface » que l’on peut comparer au code-barre qui figure désormais sur l’emballage de la plupart des marchandises. A la caisse du magasin, il suffit alors de « scanner » le produit pour connaître la marque, la quantité et ajouter son montant à la facture. Ici, cela se passe à peu près de la même manière. Les sentinelles immunitaires « scannent » les antigènes de surface de toutes les substances rencontrées au hasard de la route. Sur base de quoi, elles déterminent l’attitude à suivre. En cas de danger, elles déclenchent l’alerte. L’organisme libère aussitôt des flots d’anticorps qui viendront se coller à l’intrus comme de la salive de caméléon. On parle de « réaction d’agglutination ».
Sous l’effet de cette glue microscopique, les antigènes adhèrent les uns aux autres pour former des amas cellulaires beaucoup plus faciles à évacuer. L’image qui s’impose ici est celle d’une file de bagnards qui marche sur une route, reliés par une longue chaîne aux pieds. On diminue nettement le risque d’évasion! Voilà les trois étapes dans la lutte contre les microbes qui nous assaillent en permanence: identification, agglutination, évacuation. Pour les cellules malades, cela se passe grosso modo de la même manière. Bref, on ne risque pas grand-chose tant qu’on bénéficie d’un système immunitaire efficient. Mais la moindre défaillance se paie cash. Et l’ennemi sait faire preuve d’ingéniosité. Certains virus sont capables de mimer les antigènes de notre organisme et de piéger ainsi nos défenses. Les cellules cancéreuses procèdent de la même manière pour se développer à l’abri de toute répression. On en viendrait presque à regretter que l’organisme ne leur livre pas une bataille plus féroce, quitte à prendre moins de précautions dans les préliminaires d’identification. Mais en diminuant les exigences de sûreté, on risque aussi de déclencher la guerre à nos propres tissus. Pour certaines molécules, la marge de manœuvre se révèle extrêmement étroite et la seule façon d’éviter les catastrophes sera -encore et toujours!- de déchiffrer le plus précisément possible les messages des antigènes de surface. Or, c’est précisément là qu’interviennent les lectines. Ces protéines sont capables de brouiller littéralement les pistes; un peu comme si elles ajoutaient ou retranchaient des traits verticaux sur le code-barre des produits. Le système immunitaire est perdu! Alors, bien sûr, il ne se laisse pas avoir à tous les coups. On considère que le tube digestif neutralise 95% des lectines de l’alimentation grâce notamment à la fine pellicule d’acide sialique qui tapisse nos cellules intestinales et dont le rôle sera précisément de se lier aux lectines apportées par notre ration, les empêchant ainsi d’accéder à la muqueuse. Mais il reste 5% des lectines qui malgré tout déjouent l’obstacle et peuvent effectuer leur travail de sape. Les conséquences sont parfois gravissimes. En maquillant les apparences, ces protéines risquent effectivement d’orienter les soldats du système immunitaire vers d’innocentes cellules constitutives.
Cette hypothèse qui relie l’action des lectines aux maladies auto-immunes fait actuellement l’objet de nombreux travaux. Ainsi, une étude récente associe la consommation excessive de lectines alimentaires (blé, soja, haricots rouges) à des dysfonctionnements du transport de minéraux de part et d’autre de la membrane intestinale (14). Plus gênant encore: elles risquent de déclencher, par leur seule présence, une réaction inflammatoire violente, créant des brèches dans la muqueuse intestinale, ce dont profitent des grosses protéines alimentaires pour pénétrer dans le sang, alors qu’elle n’auraient jamais dû s’y trouver. Cette perte de perméabilité intestinale va également profiter à des microbes (1) ou à d’autres lectines qui se chargeront de propager la situation de chaos dans tout l’organisme.
Toutes les maladies se ressemblent
L’influence négative des lectines jouerait ainsi un rôle essentiel dans la genèse de multiples pathologies, notamment la maladie cœliaque qui affecte beaucoup de sportifs (*). Ainsi, dans la fraction protéique du blé (la gliadine), on a pu identifier une lectine capable de se lier très solidement à la muqueuse intestinale (10, 13). Est-ce l’origine du mal? Certains spécialistes optent effectivement pour cette thèse dite « de la toxine » (28). Pour d’autres, on commettrait une erreur en cherchant un facteur unique de dysfonctionnement et ils recommandent d’aborder le syndrome dans sa globalité. De toute façon, ces querelles d’experts n’offrent aucun répit à ceux et à celles qui en souffrent. La solution passe alors et de toute façon par l’exclusion du gluten de l’alimentation et donc la suppression du blé et de ses dérivés. D’autres maladies peuvent encore être interprétées sous l’angle d’une intoxication par les lectines. Même le cancer! Des auteurs britanniques relient les cas de croissance anarchique du pancréas à l’ingestion de lectines d’arachides ou de champignons comestibles (12, 16). Une équipe allemande a montré in vitro que certaines lectines alimentaires favorisaient la prolifération de lignées de cellules de cancer du sein (24). Chez l’homme, on a aussi évoqué cette piste pour le cancer colorectal (6). Des maladies auto-immunes sont également sur les rangs. Chez la souris, un lien a été établi entre la présence de certaines lectines et le déclenchement de pathologies thyroïdiennes (2). Les reins sont également en ligne de mire. Il arrive en effet que les lectines se fixent sur les parois des capillaires glomérulaires, les empêchant de bien fonctionner. Elles s’attachent aussi aux tubules rénaux, ce qui les rend plus vulnérables aux attaques immunitaires. Là encore, des études cliniques montrent que l’éviction du gluten entraîne souvent une amélioration de l’état du patient (3). Même tableau avec la polyarthrite rhumatoïde (4). Cette maladie auto-immune touche des personnes porteuses d’une toute petite anomalie sur un anticorps (IgG) qui les rend particulièrement vulnérables à l’action des lectines (*). Enfin, des observations assez convaincantes suggèrent également la responsabilité de certaines lectines dans la survenue du diabète insulino-dépendant. Des auteurs ont observé que, chez les sujets diabétiques, les auto anticorps dirigés contre les ilôts de Langerhans du pancréas réagissaient plus particulièrement à la présence, à leur surface, d’un disaccharide bien particulier, le N acétyl lactosamine (23). Or, ce motif se lie très fortement aux lectines de la tomate, mais aussi à celles du blé, des pommes de terre et de l’arachide. En présence de ces aliments, il s’ensuivrait une amplification de la réponse auto immune par agglutination.
Le coupable idéal
Ce schéma qui présente la perte de perméabilité intestinale comme l’origine de très nombreuses pathologies a déjà été abordé dans nos colonnes. De ce point de vue, les lectines représentent simplement l’introduction d’un acteur supplémentaire. Est-ce le coupable idéal? Peut-être… Mais alors, la satisfaction intellectuelle d’avoir résolu l’énigme laissera vite la place à un sentiment d’effroi. Car les lectines sont partout! Elles abondent dans notre assiette, et chaque famille d’aliments en contient des variétés propres (7). Est-ce une question de doses? Cela n’aurait rien de rassurant. Le sportif qui mange beaucoup pour compenser les dépenses énergétiques de l’entraînement s’avérerait alors particulièrement menacé. On se demande d’ailleurs s’il ne laisse pas déjà entrevoir une relation de cause à effet entre ces habitudes alimentaires gargantuesques et la fragilité qui caractérise effectivement la santé de nombreux champions? Prudence tout de même! On se trouve face aux lectines comme devant les allergies. A savoir que tout le monde ne réagit manifestement pas de la même façon. Dans l’exemple de l’hôpital servant d’introduction à l’article, onze consommateurs de haricots rouges sont effectivement tombés malades. Vingt autres personnes n’ont manifesté aucun trouble. Pour d’autres lectines, on aurait probablement pu obtenir un résultat inverse. Tout cela signifie que la seule présence des lectines ne suffit pas à produire la pagaille. Cela dépend aussi beaucoup de la personne. En clair, nous serions tous plus ou moins programmés pour supporter certains aliments et réagir à d’autres! Mais comment savoir ce qui est bon ou mauvais pour nous?
D’Adamo entre en scène
Une réponse à cette question nous est proposés par James d’Adamo, un naturopathe américain qui s’interrogeait lui aussi sur nos prédispositions à supporter plus ou moins bien les différentes familles d’aliments. Pendant 50 ans, il a recueilli un tas d’informations sur le sujet, et ses travaux sont actuellement poursuivis par son fils, Peter D’Adamo, auteur d’un best-seller intitulé Eat Right 4 your type. Dans celui-ci, on souligne l’importance de bien choisir sa nourriture en fonction de son bagage génétique. Notre équipement cellulaire nous rendrait aptes à réagir à certains types de poisons mais pas à d’autres. Pour démontrer la valeur de son raisonnement, l’auteur cite d’abord un exemple tragique. Il raconte l’histoire de l’assassinat de Gyorgi Markov en 1978 (5). Ce dissident russe fut mystérieusement tué par des agents du KGB alors qu’il attendait tranquillement son bus en plein cœur de Londres. A l’époque, un tas d’hypothèses farfelues furent avancées pour tenter d’expliquer cette mort sans violence apparente. Pas de coups de feu, pas de strangulation, pas d’arme blanche. Les médecins légistes mirent d’ailleurs beaucoup de temps à authentifier les causes de son décès. Finalement, ils découvrirent l’existence d’une petite bille d’or vraisemblablement tirée dans la jambe du défunt qui se révéla être imprégnée de ricine. Or la ricine est une lectine extrêmement puissante extraite des graines de ricin. Une dose infinitésimale suffit à provoquer la mort par coagulation des globules rouges, exactement comme lors d’un choc transfusionnel chez des personnes présentant des groupes sanguins incompatibles. Peter D’Adamo pousse alors le raisonnement jusqu’à proposer de tenir compte du groupe sanguin pour poser ses choix alimentaires. L’idée est originale et pas aussi sotte qu’il n’y paraît.
Comme les autres cellules, chaque globule rouge se caractérise en effet par un certain nombre d’antigènes de surface qui constituent une sorte d’empreinte biologique pour se faire reconnaître du système immunitaire. Le nom du groupe sanguin se détermine d’après ces caractéristiques antigéniques. Les individus du groupe A portent une protéine appelée « acétyl galactosamine ». Pour ceux du groupe B, il s’agit de « galactosamine ».
Les membres du groupe AB associent les deux antigènes.
Et enfin ceux du groupe O constituent un cas à part, du fait qu’ils ne possèdent aucun véritable antigène. En cas de transfusion sanguine, il est impératif de tenir compte de cette appartenance pour éviter que l’intrusion d’antigènes inconnus ne déclenche une libération brutale d’anticorps et une réaction mortelle d’agglutination.
Seul le groupe AB ne produit pas d’anticorps, ce qui explique son statut de receveur universel. En revanche, leur sang du groupe AB ne convient à aucun autre groupe.
A l’inverse, ceux du groupe O peuvent donner leur sang sans restriction mais ne peuvent s’en faire injecter que des échantillons prélevés au sein du groupe lui-même. On parle alors de donneurs universels. S’appuyant sur des considérations d’ethno génétique plus ou moins validées, Peter D’Adamo a construit alors une théorie qui s’inspire de ces problèmes de compatibilité pour nous guider vers les différents types d’aliments. D’Adamo père et fils ont consacré une grande partie de leur vie à tester les compatibilités, aliment par aliment et groupe par groupe, puis à valider leur hypothèse sur base d’observations cliniques qui, reconnaissons le, sont, aux dires de certains patients et même médecins convertis à ces pratiques, tout à fait surprenantes.
Ces expériences ont abouti à la caractérisation, groupe par groupe, des aliments autorisés ou interdits. Les maladies résulteraient alors de l’abus d’aliments vecteurs des lectines incompatibles avec le groupe sanguin du sujet concerné. Cette théorie qui mêle la diététique et l’hématologie s’inspire aussi d’anthropologie. Dans son ouvrage, Peter D’Adamo explique que les sujets du groupe « O » sont les descendants directs de la population ancestrale de chasseurs cueilleurs. Leurs tolérances alimentaires se sont constituées dans ce cadre là. Ils auraient hérité de l’équipement enzymatique de leurs ancêtres carnivores, ce qui leur permet de bien digérer la viande alors qu’ils doivent plutôt se méfier des lectines délivrées par les produits céréaliers et les laitages qui seraient à l’origine de tous les maux. Soulignons que dans la population américaine, à laquelle s’adresse prioritairement l’auteur, 45% de la population se range dans le groupe « O » (8). Quant au groupe « A », il englobe les descendants d’une population qui se serait tournée il y a dix mille ans vers l’agriculture. Il aurait développé des caractéristiques de tolérance et d’immunité en rapport avec ce cadre de vie. Il s’agirait de sujets dont l’équilibre reposerait plutôt sur des pratiques végétaliennes. Si l’on en croit d’Adamo, ces sujets devraient éviter les laits animaux et les céréales riches en gluten et limiter l’ingestion de viandes. Outre-Atlantique, ce groupe englobe non moins de 41% de la population. Le groupe B (comme « barbare » selon d’Adamo) correspond à une mutation apparue chez une population vivant sur les hauts plateaux de l’Himalaya. Elle serait apparue spontanément pour permettre une meilleure adaptation à ce contexte climatique difficile. Doté d’un bon système immunitaire, très tolérant et capable de s’adapter, le sujet du groupe « B » serait celui qui pourrait diversifier le plus largement sa ration, acceptant sans trop de mal le blé, mais devant cependant surveiller le bacon, le jambon et certains aliments marins. Il ne doit cependant rejeter aucun groupe alimentaire dans sa quasi totalité. Les sujets du groupe « B » sont minoritaires aux USA, représentant à peine 10% de la population locale. Quant au groupe AB, il serait issu d’un métissage de populations européennes de groupe A et de populations mongoles de groupe B. L’auteur prétend qu’il est le plus récent. Apparu autour de l’an 900, il afficherait un système immunitaire particulièrement performant ce qui le mettrait à l’abri des risques. Là aussi, les évictions imposées aux représentants de ce groupe ne portent pas sur un groupe d’aliments particuliers et, globalement, il s’agirait d’adaptations très fines.





Les quatre vérités
Disons le clairement: autant les travaux consacrés aux lectines suscitent notre curiosité et sont soutenus par des publications rigoureuses, autant les arguments venant directement appuyer le fait que tel groupe sanguin favoriserait plutôt telle pathologie, et tolèrerait mal tel groupe de denrées sont peu fournis, souvent anciens, et parus de surcroît dans d’obscures revues pas toujours très exigeantes sur le plan de la méthodologie (11, 17, 20, 22). Avouons aussi que la curiosité suscitée par cet énorme travail de compilation retombe nettement lorsque d’Adamo se hasarde sur le terrain de la psychologie à deux sous, par laquelle il attribue aux représentants des différents groupes sanguins des caractéristiques comportementales. Impensable pour un esprit rationnel, même ouvert, d’adhérer à ce genre de discours. Enfin, on relèvera un gros paradoxe dans ce concept alimentaire. Alors qu’il se proclame comme étant le seul à proposer une réponse individualisée aux problèmes de santé, D’Adamo ne donne le choix, en fait, qu’entre quatre options très précises, répondant aux spécificités de plusieurs milliards d’individus. En outre, la présentation des populations constituant ces quatre groupes comme homogènes est un raccourci franchement contestable, un grand nombre d’antigènes de surface différents étant connus (voir l’encadré 2). De ce fait, si chaque antigène de surface doit conduire à l’éviction d’aliments particuliers, c’est plus de 600 régimes distincts qu’il faudrait concevoir. Avec un écueil énorme : celui d’être incapable de savoir, spontanément, dans lequel on se range ! Cette tendance à simplifier à l’extrême, qui ne laisse aucune place au doute (ce qui est sans doute son côté le plus négatif), semble pourtant marcher. Beaucoup de médecins ont été séduits par cette approche et les patients eux-mêmes ne tarissent pas d’éloges sur la méthode. Chacun de nous a déjà pu entendre le témoignage d’une personne qui, se découvrant du groupe « O », décide d’abandonner le végétarisme pour devenir un expert ès barbecue et qui affirme haut et fort que, depuis lors, elle se sent en pleine forme et a vu disparaître tous ses problèmes de santé. Au delà de la réfutation immédiate, au nom du cartésianisme, de ce genre de récit, attardons nous un instant sur la question. Imaginons que ces gens disent vrai! Que les recommandations du docteur D’Adamo marchent vraiment! Cela prouverait il pour autant leur validité sur le plan théorique? Pas sûr…
En passant rapidement en revue les particularités des régimes propres à chaque groupe sanguin, nous avons constaté que les possesseurs des groupes O et A se trouvent mieux portants en cas d’éviction systématique des laitages et du gluten. Rappelons que ces sujets représentent près de 86% de la population américaine. Or, des travaux autrement plus sérieux, consacrés aux problèmes des maladies auto immunes et aux intolérances alimentaires, ont mis en exergue la fréquente responsabilité des laitages animaux et des sources de gluten dans ces pathologies. Si vous décidez, en première intention, de proposer l’éviction de ces denrées à un sujet atteint d’une pathologie articulaire, inflammatoire, digestive ou auto immune, il y a 86 chances sur cent pour que vos conseils rationnels coïncident avec les recommandations dictées par les groupes sanguins. Et au moins une chance sur deux pour que le patient s’en trouve amélioré. La conclusion sera donc en demi-teinte. Autant la question des lectines mérite d’être approfondie et risque à l’avenir de modifier notre conception des pathologies (notamment celles du sportif), autant l’idée de devoir manger selon son groupe sanguin relève, pour l’instant, de la simple divination. Et le fait que cela marche parfois ne change rien à l’affaire!
(*) Voir Sport et Vie n 72
(**) Le problème se situerait au niveau des chaînes glucidiques latérales d’un anticorps (IgG) qui se terminent normalement par du galactose. Dans le cas de la polyarthrite rhumatoïde, le galactose manque et l’on se retrouve en bout de chaîne avec du NAG (N acétyl glucosamine). Or, la lectine du blé manifeste une grande attirance pour le NAG (21). Ce phénomène serait à l’origine des brutales réactions inflammatoires articulaires (4)
Attention, tomates dangereuses
L’attention récente portée aux lectines possède des implications dans de nombreux domaines et notamment dans la perspective d’une alimentation génétiquement modifiée.
A la fin des années 90, le docteur Arpad Pusztai avait été chargé de dresser un état des lieux des risques liés à l’arrivée des OGM sur la table des Américains. Il soulignait à l’époque le danger des jouer avec les lectines en raison de leur nature allergène, citant même le cas du latex. Des travaux sont effectivement menés pour introduire un gène du caoutchouc dans certaines tomates transgéniques, dans le but d’accroître leurs qualités antifongiques. Ces lectines provoquent une répulsion des insectes qui attaquent le fruit (15). Théoriquement, ces protéines n’affectent pas la santé du consommateur. Mais Pusztai ne partageait pas cet avis et il voulut alerter les autorités sur les risques potentiels de futures allergies à la tomate.
Pour toute réponse il fit l’objet d’une mise à pied qui mit ses collègues en émoi et suscita de vives réactions dans le monde (19). Le message des gros bonnets de l’industrie agro-alimentaire était parfaitement clair. On peut mener des études sur les OGM.
Mais il ne faudrait pas que les conclusions nous desservent!
Le sang mêlé d’Hamilton
Le 21 septembre dernier, on apprenait que le cycliste américain Tyler Hamilton était convaincu de dopage sanguin à l’issue d’un test positif de dépistage à la transfusion homologue. Rappelons qu’il s’agit d’une méthode illicite d’enrichissement de la teneur en globules rouges du sang grâce à des prélèvements effectués sur un donneur compatible. Cette méthode qui date du début des années 70 est très difficile à déceler dans la mesure où les globules rouges sont dépourvus de noyaux. Toute tentative d’identification par l’ADN s’avère donc impossible à réaliser. Les chercheurs sont néanmoins parvenus à contourner le problème. Ils se servent en effet de la présence des antigènes de surface sur les corps cellulaires. Ceux-ci figurent au nombre de 630 environ et ne sont jamais totalement identiques même au sein des 23 principaux groupes sanguins (*). Si l’on découvre alors clairement des populations distinctes avec par exemple dix pour cent de l’échantillon possédant telle séquence d’antigènes et 90% ne la possédant pas, on peut conclure, sans risque de se tromper, que l’athlète a reçu du sang d’un donneur. Mais cela implique des mesures d’une extrême rigueur selon la méthodologie mise au point en Australie. Actuellement, seuls deux laboratoires dans le monde sont capables d’une telle maîtrise: Athènes et Lausanne.
(*) Il faut tenir compte de la distinction classique en quatre groupes sanguins (système ABO) et de l’existence conjointe d’un rhésus positif ou des différentes formes de rhésus négatif.
GROUPES SANGUINS ET AMAIGRISSEMENT.
Beaucoup de témoignages, notamment parmi ceux recueillis sur internet, soulignent l’efficacité de ce régime dans un registre où on ne l’attendait pas initialement : celui de l’amaigrissement. Pourquoi cela peut-il marcher ? Diverses raisons, ne s’excluant pas les unes les autres, peuvent être avancées. Il y a d’abord l’effet de l’éviction de groupes entiers d’aliments. Pour peu qu’il s’agisse des céréales, cela aura une incidence sur l’insulinémie et le poids. Interviennent ensuite la monotonie et la restriction calorique. Ceux qui ont lu le livre de D’Adamo et décrypté menus et portions ont dû se sentir anormaux en le refermant, tant ils ont été ébranlés de découvrir que la norme consisterait en portions faméliques. Une dernière cause, qu’on peut aussi mettre en avant avec le régime paléolithique abordé l’été dernier, c’est qu’en améliorant la tolérance immunitaire aux aliments, on déclenche divers effets en cascade, notamment sur les plans hormonaux et métaboliques, propices à une meilleure efficacité du métabolisme. Quoiqu’il en soit, même si ce n’est pas son objectif initial, le succès relatif de ce régime vis-à-vis du surpoids a contribué largement à sa popularité actuelle.
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Denis Riché –Sport et Vie n°87 – 2004
Photos : MCC
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