On reconnaît les marathoniens au fait qu’il s’agit des seuls individus capables de programmer leur réveil à 5 h du matin, de s’extirper du lit à la troisième sonnerie, et d’engloutir sans broncher un bol de pâtes froides jusqu’à la dernière nouille … N’existe-t-il aucune alternative à ce grand moment d’épicurisme ?
RESITUER LE PROBLÈME :
Quels soucis le coureur doit-il conjurer ? Ils sont de deux natures ; d’abord éviter la panne sèche, ensuite se prémunir contre les problèmes digestifs. Cette double contrainte crée un dilemme : il faut manger juste ce qu’il faut, ni trop tôt, ni trop tard, ni trop, ni trop peu, sachant que le stress et l’adrénaline inhérents à la compétition faussent les données, par rapport aux jours d’entraînement. Ainsi, on met parfois en cause le petit déjeuner pour expliquer les diarrhées ou les fringales survenant au Refuge de Mariailles, alors que la cause première est tout simplement le fait de disputer le Championnat du Canigou. Cela ne signifie pas qu’on est inévitablement condamné, dans ce contexte fortement chargé sur le plan émotionnel, à faire sur soi en course. On doit simplement intégrer cette donnée supplémentaire pour mieux se protéger. Cette protection reposera à la fois sur des stratégies alimentaires optimisées (et testées en amont sur des sorties reproduisant du mieux possible les contraintes de course, durée, horaire, fatigue initiale, etc…) et sur un travail mental aidant à relativiser et à positiver. C’est quand même dommage de succomber à un stress qu’on a choisi de s’imposer, non ?
A quoi sert ce dernier repas ? Il ne contribue pas de manière majeure à changer la donne. Ainsi, pour une épreuve dominicale de longue durée, ce sont les réserves constituées au niveau musculaire entre le mercredi soir et le vendredi soir qui s’avèrent déterminantes. Le repas de la veille au soir et le petit déjeuner servent uniquement à maintenir les réserves énergétiques du foie. Le calcul est simple : Le corps humain consomme 10 g de glucides par heure, dont 4 pour le seul cerveau, même chez Franck Ribery. Ce glucose provient en grande partie de celui libéré au compte-gouttes par le foie. Il possède une autonomie restreinte : 100 g de glycogène, constitués principalement à partir des glucides de l’alimentation, dont il capte une fraction à son profit. Nul besoin d’avoir fait Maths Sup pour comprendre ce qui suit : Au terme d’un jeûne nocturne de 10 h, on a brûlé 10 x 10 = 100 g de glycogène, soit l’intégralité du capital disponible. Certes, le foie dispose de mécanismes d’urgence pour transformer d’autres nutriments en glucose (à partir des protéines notamment). Mais s’élancer à l’assaut de la montagne mythique des Catalans sans glycogène hépatique n’est pas la meilleure façon de réussir à la vaincre. En effet, à un moment donné, le cerveau moins bien alimenté, les intestins moins bien nourris et le système immunitaire aussi déprimé qu’un mélomane qui entendrait Mylène Farmer, vont pâtir de l’absence d’une prise alimentaire pré-compétitive. C’est là qu’intervient le petit déjeuner.
CHASSER L’HYPO…
Alors quoi manger ? Au vu de ce qui précède, la réponse semblerait logique : Des glucides, et à la seconde question « en quelle quantité ? », il paraîtrait non moins logique de répondre « au moins 100 g ». Sauf que ce n’est pas la démarche la plus appropriée. En effet, lorsque nous ingérons des glucides (sous forme de sucre, de céréales, de pain, voire de fruits ou de fruits secs), leur arrivée plus ou moins rapide dans le sang déclenche la libération d’une hormone dont vous avez sûrement déjà entendu parler, l’insuline. C’est elle qui fait défaut chez les diabétiques. Cette insuline est chargée de répartir le glucose présent dans e sang entre différents organes, principalement les muscles ou le tissu adipeux. Si la libération d’insuline est trop importante, cela survient par exemple si on ingère trop de sucres « rapides » d’un coup ou si on prend de grosses portions de céréales, de riz, de pâtes, alors sa mise en jeu va se traduire par un mécanisme en deux temps. D’abord elle est relâchée massivement pour favoriser l’entrée du glucose dans les tissus cibles. Ensuite, on relève une chute marquée du taux de sucre. C’est la fameuse « hypoglycémie », qu’on qualifie dans ce cas de « réactionnelle », puisqu’elle fait suite à une élévation initiale. Notons que les « hypo » tant redoutées ont majoritairement deux caractéristiques : a) elles sont 99 fois sur 100 « réactionnelles » (autrement dit, elles frappent surtout quand on a trop ou « mal » pris les glucides avant l’effort et non pas, comme on le croit souvent, si on s’élance à jeun et avec des apports énergétiques à l’effort). Et b) elles ne surviennent jamais à l’entraînement. Cette dernière constatation amène à considérer l’un des facteurs impliqués : le stress. L’anticipation de l’événement à venir, l’inquiétude parfois, conduisent à la mise en jeu d’une deuxième hormone, le cortisol. Que fait-elle ? Elle conduit à la mobilisation prématurée du glucose du foie. Autrement dit, pour ceux qui ont suivi jusque là, quand vous prenez trop de sucre avant une compétition, votre glycémie monte à la fois sous les effets de la consommation du repas et sous l’effet du stress. Par conséquent, elle grimpe davantage que lors des sessions d’entraînements, avant lesquelles vous auriez consommé le même dernier repas. Et on fait une hypo carabinée… Qui laisse démuni car, comme disent souvent les coureurs, « je ne comprends pas, j’ai fait le même petit déjeuner que d’habitude… », sauf que ce n’est pas, justement, comme d’habitude…





JUGULER LA DÉPRESSION…
Ce risque majeur amène logiquement à s’interroger : Y-a-t-il un autre repas-type à envisager pour éviter les affres de l’hypo qui scie les jambes ? Deux idées majeures se sont dégagées de tous les travaux consacrés à ce thème et publiés depuis trente ans. L’une concerne le délai optimal qui devrait séparer le petit déjeuner du début de l’effort. L’autre porte sur l’intervention d’un second larron : les protéines. Concernant le délai, même si des fabricants de « gâteaux équilibrés » (un oxymore), supposés prévenir à la fois les « hypo » et les maux de ventre, recommandent une prise seulement 90 mn avant le départ, une chose est claire : Un solide avalé moins de 180 mn avant le coup de fusil augmente le risque potentiel de faire une « hypo » ou de souffrir de maux de ventre. Ainsi le fameux « délai de trois heures » s’est, du moins dans les livres, imposé comme une règle. A ceci près : quand le départ d’une épreuve estivale est donné à 7 h 30, cela impose de se lever suffisamment tôt pour déjeuner avec entrain à 4 h 15… et se laver les dents à 4 h 31. Remarquez, c’est un bon moyen de dissuader les coureurs de prendre part à des compétitions tous les dimanches !
A partir de l’échauffement, le muscle utilise les sucres sans intervention de l’insuline : cela signifie qu’on pourra commencer à consommer une boisson glucosée dès les premières foulées d’échauffement ou, pour ceux et celles qui partent à froid (considérant qu’ils auront bien le temps de chauffer la machine tout au long des trois à quatre heures d’effort qui les attendent) ce sera impérativement 10 mn précisément avant le départ. On ne peut pas y déroger, c’est le bon compromis. En outre, le respect de ce délai autorise une digestion correcte. En effet, si on écourte ce délai, le conflit entre l’intestin et les muscles augmente, ainsi que le risque d’inconfort et de défaillance ultérieure. Cela étant, le risque de désagrément intestinal dépendra aussi de la composition du dernier repas. Et cela nous renvoie au second larron : les protéines.
LES PROTÉINES VOUS VEULENT DU BIEN :
Que dire de concret à ce sujet ? Des travaux relativement anciens ont montré que, pour un apport glucidique équivalent, l’apport de 25 g de protéines diminuait de moitié les perturbations de la glycémie. Autrement dit, il se produisait une arrivée plus progressive des glucides et le risque d’hypoglycémie « réactionnelle » était quasi nul. Cette observation soulève deux questions. La première c’est de savoir à quoi correspondent, en gros, 25 g de protéines. La seconde est de se rassurer quant aux éventuels risques de troubles digestifs qui pourraient résulter, ensuite, de l’ingestion d’œuf ou de saucisse le matin. La difficulté, avec les études scientifiques, c’est que les auteurs de celles qui traitent de l’hypoglycémie ne rencontrent pas forcément ceux dont la thématique de recherche porte sur les troubles digestifs… Et ce sont les coureurs qui paient ensuite la note. Et leur attente est très simple : qu’on fasse une synthèse de toutes ces données pour leur dire, enfin, quoi manger le matin d jour « J ». On trouve 25 g de protéines dans 125 g de steack… qui met 5 heures à quitter l’estomac, ou dans 120 g de saucisse, qui en met deux de plus, ou dans 80 g de fromage, qui vous restera sur le ventre jusqu’au lendemain soir. Mauvais choix, donc. On en trouve un peu moins dans l’association d’un yaourt (6g) de 50 g de müesli (6 g) et d’un œuf (7 g). Le total représente 20 g, certes, mais on n’est déjà pas loin du compte et c’est une option envisageable… car digeste et compatible avec nos habitudes.
On peut encore élaborer une recette de gâteau de riz, avec du lait sans lactose (mal toléré avant l’effort) et de l’œuf (une manière de se préparer à l’œuf au riz, en quelque sorte…) et prévoir un nappage à la crème dessert vanille soja. Le délai de digestion est compatible avec l’entame d’un effort trois heures plus tard. Et si l’idée d’avaler de l’œuf avant de courir (Gerrit Adriaensen, le berger du Pas de la Case, en gobait 6 avant le départ du Canigou…) testez cette approche lors de vos petits déjeuners habituels, notamment avant vos sorties longues. Faute de quoi, sans ces tests, vous risquez d’être en proie au doute face au starter. Et comme le rappelle souvent mon ami Bernard Brun : « Le jour de la course, il ne faut rien changer, rien inventer, rien innover dans aucun domaine. » C’est trop tard et on a 364 jours, préalablement, pour se faire une idée…
Denis Riché – Jogging 66 – 2012
Photos et création : Philippe ENG & Girls band
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