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L’affaire du ZMA : un mauvais conte !

par | 21 Sep, 2023 | 0 commentaires

Le contrôle positif au modafinil réalisé à l’encontre de Kelli White a remis sur le devant de la scène un personnage déjà cité dans une autre affaire, celle de C.J. Hunter. Il s’agit du nutritionniste Victor Conte, précédé curieusement d’une flatteuse réputation dans le milieu scientifique américain. Il a notamment mis au point un complément qui fait actuellement fureur : le ZMA. 

De quoi s’agit-il ?

PRENDRE LE ZINC ET VOLER…

Conte est-il lié de près ou de loin aux deux affaires de dopage ? Toujours est-il qu’à l’époque où il est tombé dans les filets de la lutte anti-dopage, C.J. Hunter, l’ex- Mr Marion Jones, l’avait présenté comme son nutritionniste, et s’était abrité derrière lui pour justifier son contrôle positif à la nandrolone. Cette substance, comme le modafinil en cause avec Kelli White, n’a pourtant, à nos yeux, rien d’un nutriment ni d’un constituant alimentaire. Une telle implication pourrait surprendre… sauf qu’aux Etats-Unis la législation des compléments alimentaires, plus tolérante que la nôtre, autorise l’ajout de multiples composés à des produits alimentaires courants. Y compris des extraits de plante, des hormones ou des composés chimiques. Mieux même, pour échapper aux contrôles drastiques de la FDA, il est plus simple, pour un fabricant, de mettre sa dernière invention sur le marché sous le terme de « complément alimentaire » que de monter un dossier afin d’avoir accès au statut de médicament. De ce point de vue, un nutritionniste un peu averti de la composition des produits présents sur le marché, mais dangereusement ignorant de la législation anti-dopage, aurait effectivement pu proposer ces substances interdites en toute bonne foi. Ce n’est pas le cas de Victor Conte qui déclara un jour à « Testosterone Magazine » (*) : « Je ne condamne pas l’usage des stéroïdes anabolisants ou de l’hormone de croissance. Je connais un certain nombre d’athlètes qui en utilisent et ont connu des progrès fulgurants. Quelques joueurs de NFL qui s’étaient fait attraper aux stéroïdes se sont mis à l’hormone de croissance ». Comment s’étonner, dès lors, qu’il soit précédé d’une réputation sulfureuse ? «C’est un scandale qu’il ait été accrédité, car ce type est dangereux pour l’athlétisme », a ainsi témoigné un entraîneur de premier plan ne voulant surtout pas (on se demande bien pourquoi), être identifié (**).

Ce positionnement pro-stéroïdes n’a apparemment rien de choquant aux Etats-Unis. De plus, Conte entretient par ailleurs un côté plus respectable, celui du chercheur reconnu de ses pairs. Il est en effet le patron-fondateur des Balco Laboratories, et y dirige une équipe de recherche qui publie régulièrement des articles dans des revues scientifiques de premier plan. De quoi faire oublier, à en croire le quotidien local San Mateo Daily Journal (*),  les 22 actions en justice en tout genre que le patron de Balco et son labo auraient accumulées. 

Évitant dans ses écrits les prises de position délicates, Conte met en avant ses derniers travaux consacrés aux minéraux, et plus particulièrement au zinc, pour justifier de ses compétences. Ainsi, on peut lire sur le site internet du laboratoire (www.snac.com), une publication consacrée au ZMA, le produit miracle qui a consacré sa popularité. Et dans la foulée il explique comment il corrige des déficits à l’aide de bilans sanguins sophistiqués. Son approche n’a cependant rien de novateur ni de franchement révolutionnaire. Il vérifie le statut minéral de ses athlètes à l’aide de bilans sanguins tout ce qu’il y a de plus normaux. Ainsi, les mesures du zinc plasmatique et du magnésium érythrocytaire, sur lesquels il s’appuie souvent, font partie intégrante du défunt suivi biologique longitudinal à la française. On peut discuter de la pertinence de ces marqueurs, notamment en ce qui concerne le magnésium, mais certainement pas de l’idée de corriger un déficit, que certains assimilent pourtant à du dopage. 

Par contre, les Américains dérapent allègrement sur cette question. D’une part, ils justifient une préconisation trop fréquente de ces deux minéraux. Pour l’expliquer, ils s’appuient sur des enquêtes alimentaires qui suggèrent que les apports sont souvent insuffisants. Ayons à l’esprit, pour ce qui est du zinc, que les apports journaliers conseillés sont, aux Etats-Unis, parmi les plus élevés au monde, ce qui pose la question de la réalité des déficits généralisés qui y sont évoqués, surtout à la simple lecture des enquêtes alimentaires. En France, qu’il s’agisse des résultats obtenus chez les sportifs ou à l’échelle de la population, les données biologiques (marqueurs plus justes des déficiences) montrent que celles-ci ne touchent pas plus d’un sujet sur sept. 

D’autre part, ils passent allègrement de la problématique de la santé à celle de la performance. Partant du fait que les carences peuvent affecter l’état de santé des sportifs, et que la correction de ces anomalies est bénéfique, ils en viennent très vite à regarder si  un apport complémentaire systématique de zinc influe sur les performances, en particulier sur la force. L’accent est mis sur le caractère ergogène potentiel de ces minéraux, avec évidemment une arrière-pensée commerciale à peine voilée. En cela, on comprend que Didier Polin l’ancien médecin de l’équipe de France d’athlétisme, évoque la « conduite dopante »,  préoccupation typiquement française, et dénonce « la relation presque obsessionnelle avec le médicament » (*) que favorise la supplémentation systématique et massive.

UN PRODUIT ORIGINAL, ET QUI HÉLAS MARCHE…

Pour en revenir au ZMA, il s’agit d’un produit relativement  bien conçu et évalué dans un travail publié en 2000 (1).

Pourquoi ce nom de ZMA ? Ce sont les abréviations de « Zinc Monomethionine Aspartate ». C’est un sel de zinc destiné à la complémentation. Sa particularité réside dans l’association de celui-ci à deux acides aminés (la méthionine et l’aspartate). Cette stratégie nommée la « chélation » améliore l’absorption du minéral, limite les phénomènes de compétition au niveau intestinal, et surtout supplante une forme plus toxique et jadis très utilisée, le picolinate de zinc. Le ZMA contient également du magnésium chélaté à l’aspartate, ce qui évite la compétition entre les deux minéraux présents dans le ZMA. L’étude dont la publication a fait connaître le ZMA au monde sportif apparaît a priori inattaquable. Cosignée d’un spécialiste reconnu des minéraux, et parue dans un titre de qualité elle revêt, en première lecture, un indéniable caractère de sérieux. Ce qui jette un certain trouble compte tenu des résultats mentionnés. Que lit-on en effet ? Qu’avec le ZMA, comparativement à un placebo, on note une amélioration du taux sanguin de testostérone libre, de celui de l’IGF-1 (facteur de croissance cellulaire), et une amélioration de l’ordre de 10% de la force exprimée sous deux angles articulaires différents. Chez les membres du groupe « placebo », l’entraînement effectué s’accompagnait d’une chute de tous ces paramètres, qui contrastait donc avec l’influence du ZMA.

Démonstration apparemment limpide ; mais plusieurs points n’échappent pas à un regard plus attentif. D’abord, sur le plan conceptuel, l’idée d’associer une augmentation légère du taux de testostérone sanguin à une amélioration de la force n’obtient pas le consensus. Loin de là. Mais c’est une donnée qui parle aux culturistes et aux footballeurs américains, clients réguliers de Conte. Ensuite, deux biais méthodologiques sérieux entachent cette étude. Le premier est l’absence d’un critère d’exclusion relativement à l’usage de dopants, de sorte que parmi les volontaires de cette étude on comptait sans doute une proportion non négligeable d’utilisateurs d’anabolisants. Le second à avoir retenu notre attention, comme il aurait dû alarmer le comité de lecture de la revue qui a accepté de publier ce papier est le suivant : Sur les 57 volontaires initialement présents, seuls 27 sont arrivés au terme de l’expérience, ce qui représente une perte d’effectif de plus de 50%. S’agit-il réellement de sportifs qui ont abandonné en raison de la répétition (relative) des bilans sanguins imposés ou des blessures survenues au cours des sept semaines de suivi ? Ou a-t-on écarté de l’analyse ceux dont les résultats n’étaient pas convaincants ? On peut effectivement s’interroger. Car si d’anciens travaux ont montré que le déficit en zinc et en magnésium pouvait donner lieu à une diminution plus ou moins fréquente des performances de force (2), rien n’indique que la prise d’une dose équivalente à 100% des apports recommandés va booster les aptitudes. Surtout chez des sportifs qui, comme ici, ont des apports nutritionnels initiaux supérieurs aux chiffres conseillés par les experts. Car le travail de Conte amène à conclure que chez des sujets non carencés la prise de zinc et de magnésium pendant un mois et demi, réalisée à des doses nutritionnelles, améliore systématiquement la force de sujets bien entraînés. Ce serait rudement bien que ces observations soient confirmées par d’autres travaux.

Trois ans après, on attend encore… Faut-il s’en étonner ?

(1) : BRILLA M, CONTE V (2000) : J.Exerc.Physiol., 3 (4) : oct. 2000.

(2) : RICHE D (1998) : « Guide nutritionnel des sports d’endurance », Vigot Ed.

(*) : « L’Equipe », 17 septembre 2003

(**) : « L’Equipe » : 5 septembre. 2003

 


Denis Riché, pour « Sport & Vie » – 2003

Photos : .MCC

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