Une fois n’est pas coutume. Après quelques semaines de silence, je reviens vers vous pour soumettre à votre attention non pas un ancien article paru dans « Sport & Vie » ou « VO2 », mais pour présenter un papier scientifique, paru en 2005 ans une revue francophone.
Il concernait un sujet totalement iconoclaste à l’époque : le déficit en graisses des sportifs.
Pourquoi iconoclaste ?
Non seulement, la pensée « mainstream » considérait qu’on mangeait toujours trop de lipides et qu’il valait mieux en restreindre les apports, pour être plus léger et ainsi respecter le théorème « d’ArchiMaigre » ; mais en plus l’idée même que des déficits biologiques puissent exister semblait une aberration.
Or, la compilation des données de biologie recueillies depuis 1998 auprès de sportifs de haut niveau, suggérait pourtant l’existence à la fois très surprenante et préoccupante, de déficits généralisés en « oméga 3 » chez les populations test qu’on avait ciblées. Ce constat surprenait car, en regard de l’importance des apports énergétiques de ces athlètes, on aurait pu penser a priori que leurs besoins étaient aisément couverts. En quoi était-ce inquiétant ? Car ces déficiences, au-delà de la difficulté d’amaigrissement qui les accompagnait, contribuaient à majorer le risque cardio-vasculaire.
Les résultats obtenus ont mis en évidence trois points essentiels :
- Quel que soit l’apport énergétique global de la ration, l’absence de certains aliments »clé », tels que l’huile de colza, favorise la présence de déficits biologiques en « oméga 3 ».
- Ces déficiences s’observent avec des niveaux d’apport lipidique très variables. On peut manger très gras et néanmoins présenter ce déficit ou, inversement, manger modérément riche et ne pas souffrir de déficience. Pouvait-on quand même en retirer quelque chose ? Oui ; l’analyse des données chiffrées a montré que si l’apport lipidique moyen se situait sous 1,2 g/kg.j, le risque de déficience augmentait de manière très prononcée. Replaçons ce chiffre dans le contexte de l’époque. Concernant les sédentaires, les experts soulignaient que l’apport lipidique journalier ne devait pas dépasser 1 g/kg.j, et se situer approximativement à 30% de l’apport énergétique total. 15 ans plus tard, un changement brutal de paradigme s’est produit. Ainsi, chez un patient ayant eu un accident cardio-vasculaire (le sujet pour qui, typiquement, on aurait demandé de « manger moins gras »), les lipides peuvent désormais représenter 40% de l’apport lipidique moyen. Les hommes de science n’ont pas fait connaître ce changement de « paradigme » en convoquant la presse. La mutation survint en catimini, dans les couloirs feutrés des laboratoires. D’ailleurs, aujourd’hui encore nombre de professionnels de santé continuent de mettre en garde contre le gras. Que penser plus globalement de ce revirement ? Il témoigne indubitablement que, désormais, on pointe surtout la responsabilité des glucides. Selon les experts, leur part dans la ration, notamment chez les sédentaires, se doit d’être revue à la baisse.
- Enfin, concernant ces derniers, ce travail a permis de constater que si l’apport quotidien moyen était trop faible (surtout lorsque la dépense énergétique liée à l’activité atteignait un niveau important), les déficits en « oméga 3 » étaient avérés. Ceci s’observait quand bien même les individus concernés auraient consommé leur quota d’huile de colza ou de poissons gras. Pourquoi alors cette observation ? Car l’insuffisance des apports glucidiques favorise un recours plus important aux lipides pour faire face aux besoins énergétiques. Et cette combustion accrue des graisses s’exerce préférentiellement aux dépens des « oméga 3 ». Tout se passe alors comme si, faute de bûches, on se chauffait avec les poutres de la maison. On mesure là les interconnections permanentes entre les différents métabolismes. Ainsi, restreindre son apport glucidique plus que de raison constitue une situation à risque, en particulier en regard du statut en « oméga 3 » et donc, plus largement, du risque cardio-vasculaire. Cette conclusion aurait pu interpeller, rédigée à une époque où les morts subites commençaient à défrayer la chronique. On sait d’ailleurs que ce qu’on nomme « indice oméga 3 », qui témoigne de la teneur en ceux-ci dans les membranes des cellules, constitue un élément prédictif de ce risque, le cœur lâchant plus facilement chez les sujets pour lesquels il se situe aux valeurs les plus basses. Or, l’accueil réservé à ce travail quand je l’ai présenté lors du congrès annuel de la Société Française de Cardiologie du Sport, où j’eus toute les peines du monde à aller jusqu’à la dernière diapositive, en a dit long sur le chemin qui restait à accomplir. Avoir raison trop tôt revient souvent à avoir tort. Heureusement, en 2021, la réticence semble moindre.
Je vous laisse donc découvrir la version « word » de cet article après acceptation, tel qu’il fut publié ensuite par « Science & Sports » en 2005.
APPORTS DE SECURITE EN LIPIDES CHEZ LE SPORTIF A HAUT NIVEAU D’ENTRAINEMENT
DIDIER CHOS, DENIS RICHE
Institut Européen de Diététique et de Micronutrition
INTRODUCTION
Depuis 1997, de nombreux sportifs ont bénéficié d’une exploration de leur statut en acides gras plasmatiques dans le cadre des suivis personnalisés en biologie et micronutrition. Les résultats de ces profils en acides gras nous ont surpris par la présence d’une fréquence anormale d’un déficit en plusieurs acides gras notamment dans la famille des acides gras polyinsaturés (AGPI) oméga 6 et oméga 3.
Deux travaux préliminaires nous ont convaincus que ces résultats touchaient tous les sports, et qu’il était possible de définir des apports de sécurité en lipides pour éviter l’installation de déficits chroniques en acides gras potentiellement délétères.
Le présent travail a pour objet de préciser les corrélations entre consommation alimentaire et statut en acides gras et d’observer l’évolution des résultats biologiques sur 3 mois après conseils alimentaires et éventuellement complémentaires sur 2 populations de sportifs à haut niveau d’entraînement.
METHODE
Population recrutée :
Deux groupes de sportifs ont été constitués. Le premier groupe comprend des coureurs et coureuses à pied, adeptes du trail ou de longue distance, et recrutés par le biais d’une annonce dans la presse spécialisée.
Les seuls impératifs sont l’absence de prise de compléments et de dopants au moment de l’étude et dans les six mois précédents, et la réalisation d’au moins 8 heures d’entraînement hebdomadaire.
Le second groupe se compose de dix cyclistes de niveau départemental et au-delà, avec des charges d’entraînement significatives (au moins 8 heures d’entraînement par semaine) et les mêmes critères d’exclusion que dans le premier groupe (pas de dopants ni de compléments).
Déroulé de l’étude :
a) Explication des objectifs de l’étude lors d’un entretien initial.
b) Remise d’un dossier permettant de procéder à l’enquête alimentaire (avec le même procédé que lors de l’étude préliminaire).
c) Réalisation d’un bilan biologique comprenant le P.A.G (Profil des Acides Gras Plasmatiques) associé à un lipidogramme standard, et un P.NA.R (Profil Nutritionnel Antiradicalaire), associé au récepteur soluble de la transferrine.
d) Analyse des données et identification des anomalies.
e) correction des éventuels déficits par conseils diététiques et/ou complémentation
f) Nouvelle évaluation biologique trois mois plus tard.
Les résultats et les conclusions qui en découlent seront présentés dans des publications scientifiques, et les bases de recherches plus poussées seront posées à partir de ce travail préliminaire.
RESULTAT
Sur les 20 sportifs retenus, un seul n’a pas donné suite et a été considéré comme sorti de l’étude.
Les résultats du Profil biologique des acides gras plasmatiques ont confirmé les résultats antérieurs (17 déficits en AGPI sur 19 sportifs).
Parmi les AGPI, les acides gras “ oméga 3 ” sont souvent déficitaire. L’analyse alimentaire montre que ce résultat est prévisible simplement sur la base de la nature des sources alimentaires.
Par contre l’analyse globale des apports en lipides, il est difficile de déterminer un niveau minimal à partir duquel on peut considérer qu’on satisfait ses besoins. Des anomalies du P.A.G se rencontrent alors avec différents niveaux d’apports lipidiques, et il est difficile de ressortir une valeur minimale au-dessus de laquelle on est à l’abri des carences, même si un apport « plancher » de 1,2 g/kg.j semble envisageable, à confirmer néanmoins avec d’autres études..
DISCUSSION
Le statut biologique des acides gras chez les sportifs à haut niveau d’entraînement est habituellement bas. Les répercussions de cet état bien que difficiles à établir à court terme, nous semblent devoir être mieux pris en compte.
La connaissance précise des acides gras alimentaires se heurte à beaucoup de difficultés. Il s’avère difficile de prédire les déficits en AGPI à partir des seules données alimentaires concernant les apports en lipides.
Par contre les corrélations entre les apports en glucides et ceux en lipides sont très intéressants.
REFERENCES
- CHOS D, RICHE D (2001) : Diététique et micronutrition du sportif. Edition VIGOT
- MARTIN A (coordinateur général) (2001) : Apports nutritionnels conseillés pour la population française ; 3ème édition. Editions TEC & DOC.
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