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HORNET JUICE

par | 21 Sep, 2023 | 0 commentaires

Hornet Juice…

Cet article remonte au début de ce siècle, à l’époque où je collaborais activement à la revue « VO2 Marathon » de Gilles Bertrand et Odile Baudrier. A l’affût de toute information novatrice susceptible de faire avancer nos connaissances sur cette discipline, et de mieux aborder sa pratique, je m’étais abonné aux titres tels que « Running Research News » d’Owen Anderson (un mensuel de huit pages sans la moindre illustration…) ou « Runner’s World« . A l’époque, la capacité à trouver des informations sur le net n’était pas autant développée, les moteurs de recherche se montraient moins performants que ceux d’aujourd’hui, et il s’agissait d’une authentique aventure que de partir à la pêche aux inventions. C’est dans la seconde revue que je découvris un article évoquant une nouvelle boisson d’effort, à la composition singulière, qui aurait valu à l’un de ses utilisateurs de devenir champion olympique. Le texte en question mentionnait une boisson à base de « hornet juice ». Les purs anglophones croient sans doute qu’il y a une faute de frappe ou se demandent si , à défaut de leur latin, ils n’auraient pas perdu leur anglais. Ceux qui maîtrisent moins la langue de Shakespeare… je leur laisse découvrir le fin mot de l’histoire dans l’article qui suit, paru en 2001.

De tout temps, l’homme a cherché à copier les habitudes alimentaires des espèces animales les plus admirables pour tenter, par analogie, de s’en accaparer les vertus. Mais qui aurait cru, après avoir vu les lutteurs antiques manger de la viande de buffle, que les marathoniens modernes mangeraient du frelon ?

NAOKO TAILLE DE GUÊPE :

            L’information fut largement relayée aux Etats Unis et au Royaume Uni, aussi bien dans la presse spécialisée (« Runner’s World » d’octobre 2000), que dans la presse grand public (« London Telegraph »). En France personne n’en parla, sans doute parce que l’affaire Perec et le fiasco retentissant de nos athlètes occupaient-ils totalement l’esprit de nos confrères. Pourtant, il s’agissait d’un fait vraiment étonnant. La triomphatrice du marathon féminin olympique de Sydney, la Japonaise Naoko Takahashi, utilisa en cette occasion, comme au cours des trois saisons précédentes, une boisson de l’effort au jus de frelon. Après la très controversée soupe à la tortue de Ma, s’agissait-il d’un nouveau leurre aux relents d’exotisme proposé pour noyer le poisson et masquer une banale affaire de dopage ? Loin de là ; les conseillers de l’athlète nippone de 28 ans, qui signa en cette occasion le chrono le plus rapide jamais enregistré sur un marathon exclusivement féminin (2 h 23 mn 14 secondes), prenaient appui sur les solides travaux de l’équipe de l ‘éminent professeur Takashi Abe (1). C’est d’autant plus à prendre au sérieux que le fruit de leurs découvertes est commercialisé sous le nom de « Vespa drink » par une petite société localisée près de la frontière du Canada (voir l’encadré).

            Les scientifiques nippons se sont intéressés aux frelons de l’espèce « vespa manadarina japonica », afin de comprendre où ils trouvaient l’énergie leur permettant d’effectuer en volant, d’une seule traite, l’équivalent de deux marathons consécutifs pour chercher de quoi manger. Ils se sont aperçus que c’était un suc acide contenu dans leur estomac qui leur tenait lieu de carburant. Cela se déroule en fait de manière encore plus subtile. Les frelons tuent d’autres insectes pour se nourrir. Ils mâchent leur chair et la transportent dans une poche, où  ils peuvent stocker l’équivalent de la moitié de leur poids. Ils en nourrissent alors leurs rejetons une fois arrivés dans leur « nid ». Quand ceux-ci ont terminé leur repas, les adultes, dans un curieux manège, leur tapent sur la tête. C’est le signal qui déclenche alors, chez les plus jeunes, l’émission de quelques gouttes d’un liquide clair que les adultes gobent aussitôt. C’est une étape essentielle à leur survie, puisque démunis de sucs digestifs, ils doivent impérativement récupérer ce liquide pour dégrader la nourriture solides dont ils ont besoin. C’est également lui qui leur confère une telle endurance.

Les chercheurs japonais, à ce stade de leurs observations, ont dû passer en revue pas moins de 80 nids, comprenant chacun près de 4000 individus, de façon à disposer d’une réserve de liquide suffisante pour mener à bien leurs travaux. Ce produit est très riche en acides aminés- d’où le nom de «VAAM » donné à la boisson, abréviation de « vespa amino acids mixture ». Y abondent notamment la proline et la glycine, connus comme étant des substrats de la « néoglucogénèse », c’est-à-dire qu’ils peuvent se substituer, dans certaines conditions d’exercice, au glucose sanguin ou hépatique (3). Cette récolte ne se déroula pas sans danger compte tenu de la taille moyenne de cette variété, dont les adultes atteignent 8 cm 55 fois plus qu’en Europe !), et de leur agressivité, à laquelle on attribue 40 décès annuels. Ils entreprirent alors une première série de travaux, sur des rats soumis à un entraînement de natation, bientôt rejoints par d’autres cobayes, humains cette fois, sous la forme d’étudiants en médecine soumis à un entraînement sur bicyclette fixe. Qu’est-il ressorti de ce travail ? Le « VAAM » a permis aussi bien aux rongeurs qu’aux carabins de prolonger leur effort en tirant davantage d’énergie des graisses et en produisant moins de lactate. En outre, un mélange d’acides aminés de synthèse, proposés à des taux similaires à ceux rencontrés dans le « VAAM », ne donnent pas des résultats aussi impressionnants. En clair, soit le mélange à l’état brut apparaît sous une forme mieux assimilable ou mieux utilisable, soit on trouve en plus, dans ce suc, d’autres substances renforçant l’action simple des acides aminés du frelon.

UN EXEMPLE QUI FAIT TÂCHE D’HUILE :

            En dépit d’un coût franchement prohibitif, et couverts par le relatif mutisme des associations de défense des animaux, peu enclins à s’épancher sur le massacre d’un insecte tueur,            les fabricants du « VAAM » ont entrepris en toute quiétude une collaboration avec la société Meiji, spécialiste de l’agro-alimentaire, ce qui a permis de doter le produit final d’un goût apparemment tout à fait acceptable… sauf pour les frelons bien sûr. Elle fut très vite testée et adoptée des marathoniens japonais des deux sexes, Takahashi elle-même n’hésitant pas à avouer que le recours à cette boisson, tant durant ses entraînements que durant la course, avait constitué un facteur « crucial ». Et même si certains athlètes, à l’instar de Brendan Reilly qui donnait son avis à ce sujet dans les colonnes de « Runner’s World », mettent d’abord en avant le talent de Naoko pour expliquer sa victoire, affirmant que « le VAAM n’apporte rien de particulier », d’autres y voient au contraire un produit miracle incontournable pour qui veut réussir sur longue distance. Or, hormis la publication originelle des savants extrème-orientaux (1), aucune autre étude (pas même de cette équipe), n’est venue confirmer leurs conclusions, ce qui en soi constitue déjà une bonne raison de se méfier. A leur décharge, reconnaissons que le coût de telles études peut s’avérer dissuasif, d’autant que, fort de leur succès commercial, les responsables de la firme n’ont certainement aucune envie de sponsoriser une étude qui pourrait remettre en cause leur argumentaire de vente. Attendons voir ce que l’avenir nous réserve à ce sujet.

            Au-delà de ces considérations théoriques, l’élaboration d’une telle boisson pose un certain nombre de questions de bon sens. Observant qu’elles peuvent porter plusieurs fois leur poids de corps sur de longues distances sans fatiguer, ou qu’ils disposent de défenses anti-oxydantes exceptionnelles qui pourraient leur permettre de survivre en cas d’explosion nucléaire, les fourmis ou les scorpions pourraient-ils servir à leur tour de base à l’élaboration d’un produit pour culturistes ou d’une boisson anti-vieillissement ? rien ne pourrait l’empêcher, a priori. Il y a quelques années un spécialiste de la lutte anti-dopage affirma : « si une étude montrait que la merde améliore les performances, c’est sûr qu’on en trouverait pour en bouffer. » D’aucuns pensaient alors qu’il poussait le bouchon un peu loin. On sait aujourd’hui qu’il a raison ; il suffit seulement d’en masquer le sale goût par un arôme approprié et de le vendre à un prix prohibitif. Après, il suffit d’attendre l’effet de la rumeur. Comme l’a déclaré un officiel britannique : « C’est quelque chose que nos athlètes n’ont pas essayé, mais çà m’a l’air de valoir la peine qu’on y regarde de plus près… » (*). Cà paraît tellement évident !

(*) : « London Telegraph ».

ENCADRE : LA VESPA QUI FAIT « VAAM ».

 

            La société qui commercialise la boisson « VAAM » possède un site internet (vespapower.com), où on découvre que divers champions d’Outre-Atlantique utilisent avec succès cette préparation. Parmi les plus connus de ce côté-ci de l’Atlantique figure par exemple Mick Larocco, champion du monde de supercross (pas sur une « Vespa », cependant), alors que « Vespa Drink » a fait partie des sponsors de l’édition 2000 du Marathon de Boston, le nec plus ultra avec celui de New York. On découvre également que les 30 flacons de 140 ml de préparation sont disponibles pour la modique somme de 155 dollars, ce qui met le litre à environ 221 FF. Du jamais vu même si le second joyau de la gamme, une boisson au propolis, est proposé à peine pour moins cher, 135 FF le litre. Qu’est-ce que le propolis ? Il s’agit d’une substance résineuse, d’une couleur allant de jaune à ocre, et qui est récolté sur les plantes par les abeilles ouvrières. Elles le transportent sur leurs pattes pour le ramener vers la ruche où elles le mélangent à la cire. On le récolte depuis la nuit des temps pour bénéficier de ses possibles bienfaits thérapeutiques. Ainsi le mot hébreu qui le désigne, « tzori », figure dans l’Ancien Testament  où on évoque ses propriétés curatives. Hippocrate le proposait pour traiter des ulcères et des blessures internes et externe. Pline l’Ancien en vanta tous les bienfaits au monde romain. Plus récemment, des textes du 12ème siècle montrent qu’au Moyen Âge aussi on appréciait ses vertus. Bref, tout au long de l’Histoire ses panégyristes n’ont pas manqué. Actuellement, on en produit surtout en Chine, au Brésil, aux USA, en Australie et en Uruguay, mais ce sont les Japonais qui en détiennent le record de consommation.

 

On reconnaît aujourd’hui encore au propolis de nombreuses vertus thérapeutiques, principalement anti-bactériennes, anti-inflammatoires et anti-oxydantes, qui s’expliquent par sa richesse en substances protectrices bien connues, qu’on trouve aussi dans certains végétaux et le thé. Il s’agit des fameux flavonoïdes qu’on range désormais parmi les micronutriments (2). D’après l’abondante bibliographie disponible sur le site de « vespapower », où on aime décidément associer la nutrition des insectes et les produits pour sportifs, aux doses fournies dans ce produit, ces substances seraient efficaces. Mais pour le même prix, combien de kg de fruits et légumes et combien de bols de thé ou de verres de vin aurait-on avalés ?

 

On peut aussi imaginer une autre chute à cette histoire; le professeur Jean Paul Escande, impliqué dans la lutte anti-dopage à la fin du XXème siècle, déclara un jour à la radio, aux moments du séisme Festina : « Si une étude venait à démontrer que manger de la merde améliorait les performances, on peut parier que bon nombre d’athlètes seraient prêts à tenter l’expérience. » Cette curieuse histoire de frelons ne contredit pas son point de vue. Il s’agit de la croyance en des substances miraculeuses qui, en apportant un surcroît de compétences à l’athlète, contribueraient à apaiser son angoisse de l’échec. Finalement, ce mode de pensée s’apparente à celui qu’on adopte en présence d’un autre phénomène plus récent, lui aussi venu lui aussi d’Asie. Dans ce contexte si particulier, l’espoir procuré par la solution miraculeuse que constituerait un vaccin sorti tout droit du sac d’un magicien, viendrait apaiser la peur de l’inconnu, de la nouveauté, de l’absence de contrôle, bref le stress lié à cette peur. Comme je l’explique dans « Comment le microbiote gouverne notre cerveau« , le recours au dopage peut constituer une réponse limbique pour apaiser l’anxiété liée à l’incertitude du sport, quand bien même fût-ce sous la forme d’un jus de frelons!.

BIBLIOGRAPHIE :

(1)   : ABE T, TAKIGUCHI Y & Coll (1995) : Jap.J.Phys.Fitness and Sports Med., 44 (2).

(2)   : CHOS D, RICHE D (2001) : “Diététique et micronutrition du sportif”, Vigot Ed.

(3)    : PILARDEAU P (1995) : « Biochimie et nutrition des activités physiques et sportives- Tome 1 : le métabolisme énergétique ». Masson Ed.

Denis Riché.

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