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Les Cycles Futiles : les mal nommés

par | 21 Sep, 2023 | 0 commentaires

Les connaissances acquises ces dernières années dans le domaine de la physiologie nous ont permis de comprendre la nature de la plupart des processus métaboliques se déroulant dans notre organisme. Trois d’entre eux ont cependant continué à constituer un vrai casse-tête pour des générations entières de chercheurs : Il s’agit de la notion d' »extra-chaleur », de celle de la « dette d’oxygène » et enfin de la résistance à l’amaigrissement de certains individus. Un pan de nos interrogations est tombé dès lors qu’on a évoqué un mécanisme explicatif commun : Les « cycles futiles ».

UN ALLER ET RETOUR POUR RIEN :

Si l’on s’en tient à la définition qu’en donne le Petit Robert, « futile » qualifie ce qui : « est dépourvu de sérieux, ne mérite pas qu’on s’y arrête, est insignifiant ». Il s’agit d’un terme pour le moins inapproprié pour définir des phénomènes qui jouent un rôle fondamental dans l’adaptation de l’organisme à des apports et à des besoins énergétiques très changeants. Les Anglo-Saxons préfèrent d’ailleurs parler de « cycles métaboliques », ce qui outre l’avantage de ne pas donner une connotation péjorative à ces processus, rend plus justement compte de leurs caractéristiques. En quoi consistent-ils exactement? Vous savez certainement que les voies métaboliques qui interviennent dans notre métabolisme se présentent comme une série de réactions, toutes catalysées par des enzymes différents, chacune donnant lieu à la formation d’intermédiaires spécifiques. Par exemple un composé A se transforme, à travers une réaction faisant appel à l’enzyme E1, en un corps B, lequel va ensuite intégrer une nouvelle réaction catalysée par l’enzyme E2 pour donner un produit C. Certains de ces réactifs ne servent pas seulement de « substrat » à la réaction suivante, mais peuvent aussi intervenir comme agents régulateurs. Prenons le cas de l’ATP ou de la créatine phosphate : Ils peuvent se fixer sur le site des enzymes qui permettent la production d’énergie. Ceci permet de régler le flux d’énergie qui circule dans cette voie. Dans le cas de la glycolyse par exemple, de telles modulations par les produits finaux du métabolisme évitent une surproduction d’acide qui s’avèrerait extrêmement préjudiciable. 

On s’imagine souvent que lorsqu’une voie métabolique est sollicitée, à l’instar de la glycolyse mise en jeu lors d’un effort soutenu, les réactions se déroulent dans un seul sens. Or il n’en va pas forcément ainsi. Dans certaines situations, que nous allons voir plus particulièrement dans cet article, il arrive qu’une réaction ne se trouvant pas à l’état d’équilibre soit contrebalancée par une autre réaction, de sens contraire, catalysée par un enzyme différent (voir la figure 1, d’après (11)). Si les flux et les vitesses s’équilibrent, ce qui survient dans certaines circonstances, on aboutit alors à la situation curieuse où un produit subit deux réactions successives pour revenir à son état d’origine, à ceci près qu’entre temps de l’énergie aura été gaspillée. C’est ce en quoi consistent précisément les « cycles futiles ». On peut comparer cette situation à celle d’un véhicule effectuant un aller et retour entre Paris et Lille, qui gaspille un plein d’essence pour revenir à son point de départ. Les scientifiques se sont beaucoup appesantis sur l’intérêt potentiel de ces réactions « inutiles », mais capables d’élever la dépense énergétique, de manière certes souvent mineure (d’où l’origine de l’adjectif « futile ») et donc d’éventuellement participer à la stabilité du poids corporel.

Ce faisant on oublie que l’un des rôles de ces « cycles futiles » est surtout de maintenir à un niveau suffisant le taux de certains intermédiaires qui jouent un rôle activateur vis-à-vis de réactions très importantes. 

L’EFFET « STARTER » :

Le physiologiste d’Oxford Eric NEWSHOLME, qui a beaucoup débroussaillé ce champ d’investigations, considère ainsi que sans ces « cycles futiles », un coureur de 100 m ne pourrait pas accroître de manière quasi instantanée sa dépense d’énergie plus de 2300 fois entre le moment où il passe d’une situation arrêtée (dans les starting-blocks) et celui où il en jaillit (9). Sachant de surcroît que ces cycles futiles répondent très fortement aux stimulii d’origine nerveuse ou hormonale, on pèse mieux l’importance possible de ces mécanismes sur certains aspects de la performance. Dans le tableau 1, on dresse un comparatif entre la situation de repos, une épreuve de sprint de 100 m effectuée à vitesse maximale, et le cas du marathon, représentatif d’un effort purement aérobie, pour lequel la préparation fait appel à des filières bien spécifiques et distinctes. Les chiffres qui y figurent restituent l’activité d’un enzyme-clé de la glycolyse (la « PFK ») et dans la colonne de droite son pourcentage d’augmentation par rapport à la situation de repos. L’accélération de cette voie, chez les sprinteurs qui ont l’habitude de solliciter la glycolyse anaérobie, est de plus de 2300 fois, alors que chez les marathoniens l’activation s’avère nettement moindre. Comment parvenir à cette transformation, comment optimiser l’activité des cycles futiles de façon à faire face à cette demande extrêmement accrue? Si le rapport ATP/ADP chute dans les fibres musculaires, ce qui survient quand l’effort se situe à un niveau très intensif, l’activité de la PFK se trouve inhibée. Le sprinteur doit donc parvenir à reconstituer, en phase initiale de l’effort, son ATP aussi vite qu’il le consomme. Or précisément, on a constaté que les sprinteurs possèdent des enzymes de « néoglucogénèse » (c’est-à-dire intervenant dans le sens inverse de la glycolyse) dont l’activité est très fortement augmentée. Inversement, chez les marathoniens cette filière reste au niveau des sédentaires. NEWSHOLME pense par conséquent que les séries de départs lancés, effectués à l’entraînement après un long temps de concentration dans les starting-blocks permettent d’optimiser à la fois l’activité de ces enzymes et leur propension à s’accélérer sous l’effet de l’adrénaline. La visualisation qu’effectuent avant une compétition les sprinteurs ou les skieurs (qui évoluent dans un contexte métabolique un peu similaire), leur permettent de conserver une disponibilité métabolique maximale. Ils se trouvent de ce fait dans la même situation qu’un bolide arrêté au feu rouge mais dont le chauffeur conserve un pied sur l’accélérateur. Si par souci d’économie il coupait son moteur à chaque feu tricolore, il perdrait à la fois un temps précieux, mais surtout la possibilité de démarrer au quart de tour. Bien évidemment, la mise en oeuvre de ces « cycles futiles » fait dépenser une énergie considérable, que le simple calcul de dépense calorique « théorique » ne permet pas de comptabiliser. A l’occasion d’un meeting, un sprinteur pourra ainsi griller autant de glucides qu’un joggeur effectuant 40 mn de course lente continue. La mise en jeu, en particulier, du cycle « fructose 1,6 diphosphate, fructose 1- phosphate » (*) , pourrait faire dépenser 1 kcalorie par heure par kg. L’implication de ces cycles plusieurs heures avant l’effort (« la montée en pression ») et leur persistance à l’arrêt de l’activité, explicable par l’accumulation d’adrénaline dans le sang et les tissus, peut ainsi faire griller, sur une durée de 5 heures, 350 calories à un athlète de 70 kg. Tout sport à forte composante émotionnelle conduit à une réponse de ce type, les gardiens de but, par exemple, pouvant faire tourner « à vide » ces cycles tout au long des matches, de façon à conserver l’aptitude indispensable à pouvoir réagir sans hésitation à tout instant. L’accomplissement de séances d’intervalle-training, chez des spécialistes du demi-fond, va également faire jouer ces cycles futiles, et les conséquences vont en être notables : On les évoquera plus loin à propos de la « dette d’oxygène », elle aussi en rapport avec ces cycles.

Un autre exemple de leur intérêt nous est fourni par le cas des cyclistes de haut niveau, dont l’activité fait cette fois essentiellement appel à l’utilisation aérobie des glucides et des lipides. On a constaté que chez eux le taux sanguin d’acides gras et le débit d’utilisation des graisses par les fibres musculaires se révélaient supérieurs à ce qu’on observe chez des individus moins adaptés à ce type d’effort, alors que les hormones favorisant l’utilisation des lipides, c’est-à-dire l’adrénaline et le glucagon, étaient libérées en quantité moindre. On attribue cette efficacité accrue, cette réponse adaptative bénéfique, à la mise en jeu de cycles futiles au niveau des adipocytes et du muscle, le travail à intensité modérée jouant alors un rôle essentiel dans cette transformation allant dans le sens d’une économie du glycogène au détriment des graisses (9).

 

(*) : ce cycle consiste en deux réactions opposées. La première, catalysée par la « PFK » (phosphofructokinase) détermine le flux glycolytique, puisque c’est à ce niveau que les activations ou les inhibitions se révèlent les plus sensibles. Cette réaction ajoute un radical phosphoré au fructose-6-phosphate, pour le transformer en  fructose diphosphate. La réaction inverse, qui retire ce radical, participe à la néoglucogénèse, et restitue le fructose-6-phosphate. La mise en jeu conjointe des deux réactions fait consommer de l’ATP mais surtout limite l’accumulation de fructose diphosphate qui autrement inhiberait la PFK. En effet, l’enzyme qui dans la glycolyse fait suite à la PFK donne lieu à un étranglement métabolique, du fait que sa vitesse est beaucoup plus faible. Très vite, le fructose diphosphate s’accumulerai si ce cycle n’existait pas.

30 ANS D’HISTOIRE CONFINES DANS L’ANONYMAT :

La notion de « cycle futile » a fait son entrée dans le vocabulaire scientifique en 1966, mais l’intérêt accru qu’on leur porte depuis la fin des années 70 résulte de l’émergence de techniques de mesure plus sophistiquées, la démonstration directe de leur existence (délicate en raison de la versatilité des intermédiaires et de leur caractère temporaire) ayant été rendue possible grâce à l’utilisation des isotopes. On a identifié plusieurs de ces cycles dans le muscle, le foie ou le tissu adipeux, tous pouvant participer au contrôle local ou général de l’équilibre énergétique. Tous également se caractérisent par l’extrême rapidité de leurs ajustements, par leur dépendance vis-à-vis des hormones et du système nerveux (autrement dit ils offrent a possibilité à l’organisme d’adapter ses dépenses en réponse à des stimulii extérieurs d’ordre physiologique ou psychologique), et on a également pu caractériser la déficience ou la perte progressive de l’aptitude de ces cycles à se mettre en place chez les personnes âgées ou chez certains obèses (2, 5). L’hypothermie des vieillards pourrait ainsi résulter d’une impossibilité de l’organisme à faire face à une soudaine chute de la température extérieure du fait que l’activation de ces cycles futiles s’avèrerait impossible, et ne permettrait pas de fournir le surcroît de chaleur nécessaire à lutter contre l’hypothermie. Dans ce contexte particulier, le métabolisme de repos et le frisson n’assurent pas une réponse suffisamment rapide face à l’agression environnementale. 

Chez certaines personnes affligées d’une surcharge pondérale massive, on a longtemps suspecté une lenteur du métabolisme de repos, en l’absence de surconsommation alimentaire manifeste, d’expliquer la prise régulière de masse grasse. Autrement dit, ce ne serait pas une gourmandise exagérée, mais une paresse du métabolisme qui déterminerait ce handicap statural. Or, malgré les multiples tentatives entreprises par d’innombrables équipes de chercheurs, on n’a pas pu apporter de preuve tangible d’une baisse du métabolisme de repos, chez ces individus, comparativement à des individus de corpulence normale. Par contre, l’aptitude à produire de la chaleur en réponse à une prise exagérée d’aliments, ou à mobiliser les réserves dans le contexte d’un stress émotionnel, apparaît souvent réduite chez les plus gros (10). Ainsi, c’est en fait non pas sur le niveau « normal » du thermostat que se jouerait la différence, mais sur la capacité à positionner le bouton à une valeur plus élevée lorsque l’ingestion d’énergie dépasse les besoins. Autrement dit, quasiment insignifiants dans un contexte « neutre », les cycles futiles peuvent devenir des acteurs très influents à chaque fois qu’on s’écarte de la normalité, et si pour une raison donnée cet ajustement ne peut pas se mettre en place, le bilan énergétique peut à terme devenir positif, et la prise de poids manifeste. Leur déficience chez certains permettraient de comprendre pourquoi le moindre écart se révèle pénalisant chez certains individus gras, et pas du tout chez un individu plus svelte. 

La dépendance de ces cycles futiles vis-à-vis du contexte émotionnel, en particulier leur aptitude à s’accélérer sous l’effet de neurotransmetteurs ou de médiateurs tels que l’adrénaline, pourrait également expliquer un phénomène longtemps jugé désarmant : Depuis de nombreuses années, à l’instar du professeur TREMOLIERES disparu en 1976 l’avait bien pressenti dans ses écrits, on considère qu’on « profite moins » de ce qu’on mange avec plaisir, ce qui semble défier les lois de la thermodynamique puisque, avalé sous la contrainte ou en totale harmonie, un repas de 500 calories reste un repas de 500 calories. Il devrait donc toujours exercer, a priori, la même influence sur l’homéostasie énergétique. Ceci n’est pas si évident qu’il n’y paraît ; dans sa série de travaux consacrés aux « rôles physiologiques du plaisir », CABANAC a évoqué la mise en jeu des endorphines lorsqu’une activité revêt une connotation très agréable. Les épicuriens, toujours prêts à apprécier les plaisirs de la table, en libèrent indéniablement davantage en ces occasions (3). Or ces molécules semblent posséder l’aptitude à accélérer les cycles futiles. Autrement dit, plus on apprécie un mets, et plus on peut « gaspiller » de calories inutiles dans les heures qui suivent. Ainsi, un écart de table vécu dans la convivialité et la réjouissance s’avère bien moins pénalisant, en terme de poids, qu’une entorse au régime vécu dans la frustration et la culpabilité. A cet égard, les exégèses de la diététique qui ont longtemps influencé les pratiques des spécialistes de la santé ont contribué, inconsciemment, à la moins bonne efficacité des régimes les plus sévères. On comprend donc en quoi l’éducation nutritionnelle, une approche comportementaliste et un renforcement du suivi affectif des personnes affectées d’une forte surcharge pondérale se révèlent aussi nécessaires à la réussite à terme d’un programme d’amaigrissement que son contenu-même (6). 

L’EXTRA-CHALEUR ENFIN EXPLIQUÉE :

Le concept d' »extra-chaleur », encore qualifiée d' »action dynamique spécifique » des aliments, a été énoncé au début des années 20, dès qu’on a pu mesurer précisément l’importance de la dépense énergétique. On s’est alors aperçu qu’après chaque prise alimentaire elle s’élevait sensiblement au-dessus du niveau « basal ». Ce phénomène qui pouvait persister plusieurs heures variait selon la taille du repas ce qui a conduit à imaginer, aussitôt, que la mise en branle des processus digestifs et la libération d’hormones déterminaient ce processus. Il varie aussi aussi selon la composition en glucides, lipides et protides du repas consommé. Ainsi, si on ingère isolément des protéines, les dépenses s’élèvent de 20%, contre seulement 5% avec les glucides et 3% avec les lipides, ce qui constitue l’un des intérêts des régimes enrichis en protéines en phase d’amaigrissement, puisqu’ils s’accompagnent d’une dépense calorique supérieure. Pour séduisante qu’elle parût, la théorie des processus d’assimilation ne permettait pas d’expliquer certains faits paradoxaux. Ainsi, la consommation isolée d’acides aminés conduit à une extra chaleur aussi importante que la prise de protéines, alors que dans le premier cas le travail digestif se trouve fortement réduit. Par ailleurs, l’extra-chaleur s’observe même en l’absence d’utilisation des aliments. Des travaux au cours desquels on a donné du glucose à des individus n’en ayant pas reçu depuis trois semaines, ont montré que ce sucre faisait presque entièrement l’objet d’un stockage hépatique. Malgré cela, l’extra-chaleur s’élève autant que chez un individu nourri, et chez lequel une partie des glucides ingérés sont consommés dans les heures qui suivent le repas. C’est en fait en 1976 que NEWSHOLME a fait appel à l’hypothèse des cycles futiles pour expliquer le phénomène de « l’A.D.S. ». Selon lui, ces processus s’accélèreraient immédiatement après les repas. Cette procédure serait due à l’élévation du taux sanguin de glucose, d’acides aminés, de triglycérides et d’acides gras libres. Leur teneur dans les tissus augmenterait également, ce qui conduirait à une activation temporaire des cycles futiles. La part des influences respectives de la disponibilité en substrats et des influences neuro-végétatives a été discutée. En fait, on admet aujourd’hui que les fluctuations des taux sanguins d’hormones et que l’activation du système nerveux végétatif (2) constituent les principaux facteurs réglant l’importance de ces cycles. Une stimulation nerveuse plus forte à l’occasion de l’ingestion des repas peut donc s’accompagner d’une plus grande production de chaleur. On sait ainsi que la réponse thermique à un copieux repas s’avère supérieure chez un sujet maigre, ce qui l’aide à mieux contrôler son poids.

LA DETTE D’OXYGENE : UNE AFFAIRE DE CYCLES FUTILES :

La notion de « dette d’oxygène » découle de la cinétique particulière de la consommation d’énergie lors d’une activité sportive (voir la figure 2). En effet, lorsqu’un athlète entame une activité, ses muscles ont besoin d’un apport accru d’oxygène. La transition entre le débit de repos et celui requis ne s’opère pas de manière instantanée : La consommation d’oxygène n’atteint un état stable qu’après une certaine latence. Durant cette période transitionnelle, et même s’il s’agit d’un effort peu intensif, une partie de l’énergie va provenir des processus anaérobies. Il peut s’agir d’un point crucial dans le cas d’une épreuve telle que le marathon, puisque l’utilisation incomplète du glycogène qui survient dans ces conditions de déficit en oxygène conduit à une usure prématurée de ce carburant, qui disparaît ainsi 12 fois plus vite (11). On comprend donc l’intérêt des échauffements très progressifs et des mises en route « en-dedans » sur ce type d’épreuves. Par la suite, lorsque les adaptations cardiaques, circulatoires et pulmonaires sont survenues, l’ensemble des besoins sont couverts par les processus aérobies et les cycles métaboliques deviennent négligeables. L’oxygène qui a manqué au cours de la première phase (partie A de la courbe) a été appelé « dette d’oxygène ». 

Lorsque l’exercice s’interrompt, la consommation d’énergie ne retourne pas immédiatement à son niveau initial. On peut comparer cette situation à l’eau d’une casserole, portée à ébullition, et qui reste chaude longtemps après avoir été retirée du feu! Cette consommation d’oxygène supplémentaire en phase de récupération, notée dès le début des années 20, s’est vue qualifiée de phase de « remboursement de la dette ». La nature exacte des processus en jeu a fait l’objet de multiples spéculations, d’autant qu’on distingue une composante rapide (qui dure quelques mn), une autre dite « lente » (de l’ordre d’une heure) et une dernière, tout juste perceptible, qualifiée d' »ultra lente » et s’étendant sur plusieurs heures. Seule la phase rapide a rapidement fait l’objet d’une explication cohérente : On attribue à la reformation des stocks d’ATP et de créatine phosphate, ainsi qu’à la recapture de l’oxygène par l’hémoglobine et la myoglobine cette surconsommation initiale d’O2 (9). Mais pour les autres composantes, seule l’intervention des cycles futiles permet de résoudre ce qui a constitué une énigme. Que se passe-t-il selon toute vraisemblance? En début d’exercice, certains cycles futiles se trouvent activés. A l’arrêt de l’activité et au cours de la récupération, on note une augmentation transitoire de certains métabolites qui, en raison du ralentissement des filières énergétiques, vont servir de substrats aux cycles futiles, qui vont accroître alors leur activité. Il va s’ensuivre une surconsommation d’oxygène, laquelle va peu à peu décroître à mesure que les taux de ces composés vont chuter. Ce processus cadre bien avec le niveau de dépense d’énergie « supplémentaire » enregistrée en phase de récupération, de l’ordre de 12 kcal par heure (9).

L’ampleur de ces phénomènes va dépendre de l’intensité de l’exercice effectué, et en particulier de la quantité d’adrénaline libérée en cours d’effort. Plusieurs études témoignent de la réalité de cet « engorgement » à l’adrénaline, également tenu pour responsable des difficultés d’endormissement des athlètes ayant effectué une séance intensive ou une compétition en fin de journée puisque l’adrénaline, qualifiée « d’hormone de stress », favorise le maintien en éveil. Un travail nous a montré que le lendemain d’une séance de 3 heures, effectuée à une intensité faible (50% de VO2 Max), la dépense d’énergie est encore supérieure de 5% au niveau basal, ce qui signifie que plus de 12 heures après l’activité ces sportifs continuent à griller plus de calories que des sédentaires, sans se montrer plus actifs pour autant durant cette période. Il s’agit d’un des privilèges des athlètes, encore plus prononcé après un exercice particulièrement intense. En effet, un effort à 50% de VO2 Max, comme dans le cas précédent, et même s’il dure plus de 3 heures, ne représente pas la situation la plus propice à la libération d’adrénaline. On sait en effet que celle-ci voit son taux s’élever de manière exponentielle dès que l’intensité dépasse 75% de VO2 Max, et un véritable engorgement survient lors de sessions de type « PMA » ou lors de compétitions effectuées à des vitesses proches du maxima (demi-fond, poursuite à vélo, etc…) (4, 7). Le travail de musculation, notamment celui axé sur la force explosive, s’accompagne de perturbations hormonales et nerveuses d’ampleur comparable. Ceci explique que les athlètes s’adonnant à une préparation hivernale pour les cross, perdent plus facilement du poids- en dépit d’un kilométrage inférieur-, que dans le cadre d’un entraînement pour le marathon, nécessitant un plus lourd kilométrage mais des vitesses moins souvent élevées (11). On comprend également pourquoi, en levant de la fonte l’hiver, les cyclistes professionnels limitent plus facilement leur prise de masse grasse.

En outre, l’existence de ces processus influe durablement sur le mélange utilisé par le muscle en phase de récupération. Si l’exercice fait suite à un repas, l’organisme consomme davantage de graisses en phase de récupération : Le sportif arrive à mobiliser davantage de lipides lors du repos réparateur grâce à ces cycles futiles ainsi sollicités (1, 8). Ils aident à mieux comprendre en tout cas pourquoi, dans certains cas, il existe de telles différences entre la dépense calorique théorique d’un sujet et ce qu’il grille en réalité. Une meilleure connaissance de ces cycles, ainsi que des façons les plus appropriées de les stimuler, fournira certainement de nouveaux atouts aux préparateurs physiques dans les années à venir.

Vous avez dit « futile »?

Bibliographie :

(1) : BIELINSKI R, SCHUTZ Y & Coll (1985) : Am.J.Clin.Nutr., 42 : 68-82.
(2) : BRONDEL L, FANTINO M (1994) : Cah.Nutr.Diét., 29 (6) : 372-3.
(3) : CABANAC M (1979) : Quart.Rev.Biol., 54 : 1-29.
(4) : CHRISTENSEN M, GALBO H (1983) : Ann.Rev.Physiol., 45 : 139-52.
(5) : DABBECH M, BOULIER A (1994) : Cah.Nutr.Diét., 29 (6) : 372.
(6) : GUY-GRAND B (1983) : Cah.Nutr.Diét., 18 (5) : 279-87.
(7) : HÄGGENDAL J, HARTLEY L & Coll (1970) : Scand.J.Clin.Lab.Invest., 26 : 337-42.
(8) : KAMINSKY L, KANTER M & Coll (1989) : Nutr.Res., 9 : 605-12.
(9) : NEWSHOLME E (1978) : Bioch.Soc.Symp., 43 : 183-205.
(10) : RAVUSSIN E, BURNAND B & Coll (1982) : Am.J.Clin.Nutr., 35 : 566-72.
(11) : RICHE D (1997) : « Guide nutritionnel des sports d’endurance- 2ème édition. »  VIGOT Ed.

Denis RICHE, pour « Sport & Vie » – 1997
Photos et création  : Philippe ENG & Girls band

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