Lorsqu’on demande aux spécialistes quel est le minéral ou l’oligo-élément dont le déficit concerne le plus nos concitoyens, leur réponse ne manque pas de surprendre. Ils ne désignent pas le fer, ni le magnésium, ni le calcium, mais un autre élément bien moins connu : le sélénium. Qui est-il, à quoi sert-il et qu’en est-il des sportifs ?
AUCUN EFFET SUR LA PERFORMANCE…
La médecine du sport, et toute discipline qui, peu ou prou y participe (comme la nutrition), s’intéresse d’abord à la performance. Or, sur un terme aussi simple, on peut définir des concepts bien différents. Comme je le mentionne dans un récent ouvrage, « il peut s’ensuivre de regrettables approximations théoriques et conceptuelles. En effet, on parle aussi bien de performance comme étant des « résultats chiffrés obtenus dans une compétition », que de « compétence » ou de « prouesse ». Il va sans dire que pour l’homme de la rue, le plus souvent, mais aussi semble-t-il dans l’esprit de certains physiologistes, la nutrition de l’exercice se résume alors à la recherche effrénée de molécules « miracle », plus ou moins tirées de notre ration, parfois de manière saugrenue comme l’acide pangamique des noyaux d’abricot, ou carrément absentes comme l’acide pyruvique ou le bêta-HMG, qui ne sont que de lointains dérivés de constituants de base de notre ration. Bref, tout cela est souvent tiré par les cheveux et a pourtant, à d’uniques fins commerciales, valu à certains compléments « alimentaires » d’être conçus. Si personne ne conteste la volonté de leurs concepteurs d’en faire des compléments, il est évident qu’ils n’ont rien d’alimentaire. Mais curieusement, alors qu’on connaît de mieux en mieux ses rôles cruciaux dans notre organisme, aucune recherche bibliographique entreprise sur le thème de la nutrition de l’exercice ne permet de trouver le moindre article dans lequel on ait envisagé le rôle du sélénium sur la performance.
En dépit de ce désert absolu concernant le rôle du sélénium sur la performance, il est paradoxalement l‘objet d’une attention croissante de la part des praticiens et des médecins du sport. Pourquoi ? Les scientifiques s’accordent à reconnaître, de manière consensuelle, l’extrême importance que revêt, chez le sportif, la couverture de ses besoins; les répercussions d’un éventuel déficit sont elles aussi bien connues, notamment en regard de ce qu’on a observé au sein de la population générale. C’est dans ce contexte de sensibilisation croissante que les dernières conclusions des études de surveillance nutritionnelle menées en France présentent un réel intérêt.
UN OLIGO-ELEMENT QUI EMPÊCHE D’ÊTRE MALADE :
Classiquement, on s’intéresse au sélénium, notamment dans le cadre de l’activité physique, en raison de son rôle d’anti-oxydant. Cela signifie qu’il contribue à la neutralisation des « radicaux libres », ces entités souvent néfastes formées en quantité accrue sous l’effet d’efforts intenses ou de longue durée, mais aussi dans le cas de maladies inflammatoires, infectieuses, ou après exposition à des polluants ou à des U.V. Le sélénium, sur ce plan, n’agit pas seul. Il travaille au contraire en synergie avec la vitamine E, et collabore à l’activité d’un enzyme crucial dans la défense contre cette rouille cellulaire, la « glutathion peroxydase » (abrégée « GPX »), qui protège plus particulièrement les acides gras membranaires ou tissulaires impliqués dans tous les processus de contrôle, hormonaux ou non. Compte tenu de la très grande fréquence des perturbations du métabolisme des graisses chez les sportifs, notamment dans les disciplines d’endurance, (comme nous l’avons rappelé lors du dernier colloque tenu la veille de la « Course des Templiers »), la présence de cet oligoélément à un taux approprié apparaît essentiel au bon déroulement de l’ensemble des fonctions de l’organisme. Des problèmes tendineux, infectieux, de l’asthme, des atteintes articulaires très pénalisantes, peuvent faire suite à sa présence en trop faible quantité. C’est dire son influence sur l’état de santé du sportif.
Mais ce travail d’anti-oxydant lié à la GPX ne constitue pas la seule intervention de cet oligo-élément. En effet, il entre dans la composition de nombreux enzymes, dont certains participent au métabolisme de l’ADN (qui porte toute l’information génétique de notre organisme), au bon fonctionnement de la thyroïde et de divers autres organes. En tout, près de 35 sélénoprotéines (protéines liées au sélénium) ont déjà été identifiées. Cet oligo-élément a d’autres rôles importants, par lui-même, notamment en relation avec la fonction immunitaire et la prévention du cancer. Il peut aussi exercer une autre forme de protection vis-à-vis du foie, très importante quoique mal connue ; il réduit la toxicité de plusieurs métaux lourds, plomb, cadmium, mercure entre autres, en formant avec eux des complexes inertes, qui rapidement éliminés se révèlent moins toxiques. C’est un fait très important dans la mesure où le sélénium, comme on le verra plus loin, abonde dans les produits de la pêche. Chacun se souvient des drames survenus au Japon dans les années 70, qui mettaient toujours en cause des espèces provenant de sites très pollués. En cas d’intoxication par le plomb (vieilles peintures par exemple) ou par des amalgames dentaires (voir « Biocontact » n° 120), l’apport de sélénium à des fins prophylactiques s’avère alors très utile. Enfin, dans le contexte très pollué des villes, où on peut inhaler des quantités parfois élevées de métaux lourds, un déficit en sélénium peut en accentuer l’impact de ces composés.
De multiples données indiquent enfin que le sélénium est important pour le cerveau ; chez des sujets âgés, un faible taux sanguin de sélénium est associé à la démence sénile et à une accélération du déclin des fonctions cognitives, comme cela fut démontré pour la première fois en 1991 ; les auteurs de ce travail sont partis de l’hypothèse qu’un déficit mineur en sélénium pourrait avoir des répercussions sur l’humeur ou le bien-être. Cette étude a consisté à fournir de la levure riche en sélénium, à raison de 100 µg/jour (*) à la moitié d’un groupe de sexagénaires et de septuagénaires. En contrepartie, de la levure pauvre en sélénium, indiscernable sur le plan du mauvais goût de la précédente, était fournie à un autre groupe de sujets. Dans chacun des deux groupes, on avait répertorié la moitié des effectifs comme ayant de faibles apports quotidiens en sélénium, et l’autre moitié comme satisfaisant largement ses besoins théoriques. Ainsi, on complémentait à la fois des sujets déficitaires et des sujets non déficitaires. Après 5 semaines de cure, puis 6 mois d’intervalle, on changeait les traitements. Qu’est-il ressorti de ce travail ? A chaque fois, l’apport accru de sélénium améliorait significativement les scores d’humeur et de bien-être. Par la suite, une nouvelle étude jouant sur des niveaux d’apports alimentaires distincts a confirmé le bénéfice résultant d’une large couverture des besoins en sélénium sur l’humeur et le bien-être. Compte tenu des fréquents émoussements de motivation et des passages à vide psychologiques éprouvés par un nombre croissant de sportifs de haut niveau (ce que suggèrent très clairement les bilans biologiques que nous pratiquons régulièrement), et ce aussi bien chez les triathlètes, les skieurs, les coureurs que chez les lutteurs, cet aspect souvent ignoré du rôle du sélénium ne manque évidemment pas d’intérêt…




30% DE LA POPULATION EN MANQUE…
Des données indiquent que, chez nos concitoyens, sportifs ou non, c’est avec une fréquence de l’ordre de 30% que ce déficit s’observe. De surcroît, les athlètes constitueraient un groupe particulièrement exposé. Est-ce à cause de l’entraînement, de mauvais choix alimentaires ou des deux ? Sans doute à cause ni de l’un ni de l’autre. En effet, l’analyse d’une ration alimentaire, à l’inverse des autres nutriments, ne permet pas de dire si elle permet de couvrir les besoins théoriques. On ne peut pas dire non plus à quel niveau les besoins s’accroissent sous l’effet de la pratique sportive de nos besoins. En fait, l’apport de sélénium effectivement réalisé dépend énormément de la teneur en sélénium des sols où poussent les plantes qu’on consomme, à tel point que les apports en sélénium sont beaucoup plus faibles dans la plupart des régions d’Europe (où les terres sont pauvres en cet élément) qu’aux Etats Unis. Les tables de composition ne peuvent donc pas nous renseigner de manière fiable sur cette question. Les sols de Scandinavie sont globalement carencés et cet élément, ce qui explique qu’en Finlande on utilise des engrais enrichis, alors qu’en Norvège et en Islande les autorités ont choisi d’importer des graines riches en Se pour compenser la pauvreté des plantes locales. Un groupes particulier, dans ces pays, semble à l’inverse à l’abri de toute menace. Il s’agit des pêcheurs qui, avec en moyenne 50 portions de poisson par mois (principalement des poissons gras), avalent de grandes quantités de sélénium bien assimilable, ces choix alimentaires plutôt monotones s’accompagnant, chez eux, d’une meilleure fonction thyroïdienne. En Nouvelle-Zélande cette situation de pauvreté des sols se pose a contrario en termes de santé publique, tout comme certaines régions de Chine. Alors, finalement, que conseiller ?
Les végétaux peuvent, lorsqu’ils proviennent de zones sélénifères, en représenter la meilleure source, mais la plus grande constance de son taux dans les produits d’origine animale, et l’apparente meilleure assimilation du sélénium à partir de ceux-ci font que la couverture de ses besoins journaliers dépend surtout d’une consommation suffisante de produits d’origine animale. D’où l’idée de considérer les végétariens, dans certaines régions (l’essentiel de l’Europe), comme une population à risque de déficit.
A l’exception des noix du Brésil, des rognons, du crabe, du foie, de certains coquillages et du poisson, il existe peu de bonnes sources de sélénium dans de nombreux pays européens. En outre, ils apparaissent assez rarement à la table des sportifs. Du fait de ces fluctuations géographiques, le blé en apporte beaucoup en Amérique du Nord, mais il n’en va pas de même sur le Vieux Continent en raison de la moindre teneur en Se de ses sols. Ainsi, la viande, la volaille et le poisson fournissent la plus grande partie du sélénium de notre ration, environ 36% en Grande Bretagne, contre 22% pour le pain et les céréales, du fait de l’importation d’une partie de ceux-ci en provenance des Etats Unis.
IL EST DANGEREUX DE COMPLEMENTER EN AVEUGLE ET DE MANIERE SYSTEMATIQUE :
Fait unique, propre au seul sélénium, on voit que deux personnes choisissant, dans deux endroits différents, de manger exactement la même chose, vont pouvoir se trouver dans des situations radicalement différentes. L’une sera menacée de déficit alors que l’autre couvrira parfaitement ses besoins. Ce problème s’avère d’autant plus difficile à résoudre qu’il est très rare de connaître la provenance des aliments qu’on achète et qu’on mange, surtout à l’ère de l’industrie agro-alimentaire. En outre, le sélénium est le seul élément de notre ration pour lequel on a pu décrire la survenue de graves troubles de surcharge, dans des régions où les sols en étaient si riches que la consommation des plantes qui y poussaient et des animaux qui se nourrissaient de celles-ci pouvaient poser des problèmes aux gens qui mangeaient leurs légumes et leurs volailles. C’est notamment le cas dans plusieurs régions de Chine. La préconisation d’une supplémentation systématique, de ce fait, pose un double problème : d’une part, elle peut pousser un sujet non déficitaire à avaler un oligo-élément qui l’amènera peut-être alors en situation de surcharge ; d’autre part elle ne tient aucun compte des spécificités de chacun. Dès lors, seule une évaluation biologique du taux de sélénium permettra de répondre à la question suivante : « Ce sportif est-il carencé ? »
Pourtant, on a récemment vu un laboratoire pharmaceutique en proposer sous forme de comprimés « dans les cas », y précise-t-on, « de fatigue générale, d’insuffisances veineuses, troubles vasculaires, états inflammatoires chroniques ou dans des périodes de besoins accrus en oligo-éléments » (voir la pub dans « la vie pratique du coureur » du numéro de décembre- janvier). De telles affirmations soulèvent un certain nombre de questions de fond. D’abord sur le plan du concept-même de la complémentation. Considérer que 30% de la population est déficitaire et que la pratique sportive accroît les besoins ne justifie pas qu’on en donne à tout le monde. C’est comme si, observant que la moyenne d’acuité visuelle des coureurs français était de 6/10 pour l’œil gauche et 7/10 pour l’œil droit, on décidait de donner les mêmes lunettes correctrices à tout le monde, y compris ceux qui ont un beau 10/10 des deux côtés ! Par ailleurs, quel coureur est capable de dire où se situent les « périodes de besoins accrus en oligo-éléments » auxquels il est fait allusion ? Enfin, la « fatigue générale », pour reprendre ce seul exemple parmi les situations évoquées dans ce publi-rédactionnel, peut résulter d’une multitude de causes, y compris de maladies graves, et proposer à un coureur de s’auto-complémenter en sélénium à la simple présence de cette lassitude constitue tout simplement un non-sens.
Mais alors comment faire ? Il convient d’abord d’améliorer son alimentation, de manière à ne pas être le perdant de cette loterie géographique. Il faudrait notamment prendre l’habitude de consommer suffisamment d’aliments renfermant du sélénium bien assimilé, et présent à des taux relativement stables. Il s’agit évidemment des produits animaux, repris dans le tableau ci-dessous. Leur ingestion trop faible représente alors, à l’inverse une situation à risque de déficit, puisque pour ce qui est de nos végétaux, globalement, ils ne permettent pas, en général, de satisfaire à eux seuls à nos besoins.




LE CONTENU DE L’ASSIETTE NE DIT PAS TOUT :
En effet, on rencontre aussi certains sportifs confrontés à des déficits avérés en sélénium, alors même qu’on n’a pas pu identifier, chez eux, d’anomalies flagrantes dans leurs habitudes alimentaires. La variabilité des aliments peut expliquer ce paradoxe. Mais pas seulement ; on doit aussi évoquer le problème de l’assimilation. Le sélénium, comme la plupart des minéraux et des métaux, fait l’objet d’une absorption au niveau intestinal, régie par des mécanismes très complexes qui nécessitent un parfait équilibre de l’écosystème intestinal. Or celui-ci, sous l’effet d’une pratique sportive intensive, peut se voir très fortement perturbé, ce qui influera notablement sur la rétention du sélénium. La correction des perturbations du système digestif s’avèrera alors indispensable.
Le souci de pallier à une déficience sans courir le risque d’une surcharge toxique explique qu’on ait envisagé deux formes de démarche palliative. La première, particulièrement développée dans le cadre d’interventions à vaste échelle, repose sur le recours à des aliments enrichis, le vecteur d’enrichissement le plus souvent utilisé, notamment en gériatrie, étant la levure de bière. Le « sélégerme » répond à cette logique. Il n’a d’intérêt que chez les sujets « à risque » ou déficitaires, ce qui impose de procéder au préalable à tout achat à une mesure de son taux sanguin de sélénium, ou à défaut de l’employer uniquement sur de courtes périodes (2-3 mois, en espaçant les prises d’un trimestre).
La supplémentation ou mieux la « complémentation » plus physiologique ( car pratiquée à dose moins importante que la première), constituent la seconde démarche envisagée, notamment lorsque l’inertie manifeste du patient, rétif à tout changement brusque de son alimentation (en particulier s’il rejette presque tous les produits animaux), entretient un déficit établi et néfaste. Mais contrairement à une pratique courante, il ne paraît pas justifié d’associer au sélénium d’autres anti-oxydants tels que les vitamines A ou E. En effet, même si tous sont des anti-oxydants, agissant parfois en synergie, le risque de déficit et les situations qui y contribuent n’ont aucun rapport. Les points d’impact cellulaires divergent également. En clair, la correction d’un déficit en sélénium mérite une démarche correctrice qui lui est propre, et n’a pas besoin d’être associée à la prise en « aveugle » de vitamines. On conseille alors de complémenter les sujets déficitaires avec du sélénium lié à des peptides, à des doses qui ne dépassent jamais trois fois les « apports recommandés » et sur de courtes périodes (moins de trois mois consécutifs). Et cette stratégie se double de conseils alimentaires avisés. Dans ce domaine, l’ingestion de compléments sans le conseil éclairé d’un spécialiste de la micronutrition peut s’avérer pire que de ne rien faire…
TABLEAU : TENEUR EN SELENIUM D’ALIMENTS USUELS (*).
> 100 µg/100 g : | 50 à 100 µg/100g : | < 50 µg/100 g : |
cèpe (1900), moules (290-360), saumon fumé (244), crevettes (230), huile d’olive (212), merlu (188), müesli (177, selon les marques) (**), lapin (165), sardine à l’huile (132). |
porc, thon (100), pain complet (100), bœuf, veau, huîtres (80-85), jambon (65). | pain de seigle (40), riz et pâtes cuites (30-50), autres aliments : mois de 20µg/100 g. |
(*) : En France, les apports journaliers conseillés sont de 50 µg/j pour les femmes et de 60 pour les hommes. Selon les études les plus récentes, les apports de 30% de nos concitoyens n’atteignent pas ces valeurs de sécurité.
(**) : valeur moyenne, pour les végétaux, qui masque de grandes fluctuations selon l’origine des ingrédients de base.
Denis Riché, pour « VO2 Marathon» – 2004
Photos : MCC
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