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La grenade convient-elle aux sports explosifs

par | 20 Sep, 2023 | 0 commentaires

Après avoir jeté leur dévolu sur la carnitine, la créatine, ou d’autres substances moins avouables, les adeptes des sports de force s’éclatent désormais avec le jus de grenade. Pourquoi un tel engouement ?

LA FIN DES ERGOGENES :

Depuis que la nutrition du sport existe, on a vu des modes se succéder, mettant en exergue des molécules supposées améliorer les performances d’endurance, de vitesse ou de force. L’histoire était toujours la même ; survenait d’abord le temps des promesses étayées de témoignages authentiques. Puis suivait celui de la pondération, avec la publication de premières études montrant certes des effets positifs, mais à un niveau moindre que celui attendu. Enfin arrivait le temps des déconvenues : L’augmentation exponentielle du nombre de travaux portant sur le même produit, menés par d’autres équipes scientifiques indépendantes et sans conflit d’intérêt finit de faire retomber le soufflé. Qui se souvient de la L-carnitine, brûleur de graisses, tombée en désuétude, et numéro 1 des compléments alimentaires chez les sportifs dans les années 70 ? Ou encore de l’acide pangamique, richesse renfermée dans le noyau d’abricot, et présenté comme le produit miracle des athlètes de l’ex-URSS ? La créatine a vu elle aussi sa cote d’amour retomber, alors que dans les années 90 on ne jurait que par elle. Même le jus de betterave, qu’aucun cycliste sérieux n’oubliait d’avaler avant une épreuve contre-la-montre il y a encore 4 ans, ne sort plus des cartons oubliés au fin fond des bus des équipes. Tout a une fin mais, dans ce domaine, elle arrive plus vite que dans d’autres.

Ces dernières années, le regard porté sur des nutriments potentiellement utiles a singulièrement changé. A l’origine, dans les années 70 et 80, une molécule ne semblait présenter un attrait que si elle possédait un effet ergogène démontré. Qu’est-ce à dire ? C’est simple. Si on apporte cette molécule à la moitié d’un groupe d’athlètes, tandis que l’autre moitié reçoit un placebo, alors on doit observer que cette molécule améliore la performance moyenne du premier groupe par rapport au second. De plus, pour que son utilisation s’inscrive dans la durée, un nombre significatif d’athlètes en ayant reçu doit en avoir perçu l’effet. Autrement dit, il ne faut pas seulement que les athlètes du premier groupe courent en moyenne plus vite, mais il faut aussi que la plupart d’entre eux le fasse. Ou poussent plus fort s’il s’agit de substances supposées améliorer la force. Evidemment, s’il n’existe pas de différence significative entre les deux groupes, la substance est alors considérée comme inutile, et tombe très vite en désuétude. C’est ce qui est arrivé par exemple au magnésium, dont il fut conclu, au début des années 80, qu’il n’améliorait pas la performance. En regard de cette longue saga souvent répétitive, que peut-on dire aujourd’hui de l’intérêt pour les sportifs du jus de grenade ?

LA GRENADE DEFENSIVE :

Depuis quelques années, les physiologistes qui testent et découvrent de nouvelles molécules abordent le sujet d’une manière un peu différente. Plutôt que de mesurer directement l’effet sur la performance, à l’aide de données chiffrées instantanées, métrées ou chronométrées, ils s’interrogent désormais davantage sur les processus susceptibles d’affecter celle-ci, et d’entraver la réalisation des programmes d’entraînement. Autrement dit, plutôt que d’améliorer, on attend d’elles qu’elles maintiennent ou protègent. Cela semble logique. Dans le sport de haut niveau, la question des forfaits se pose de plus en plus. Prenons un sport collectif. Si à l’approche d’un événement majeur un tiers, voire la moitié de votre groupe, est sur le flanc en raison de blessures, d’infections ou de fatigue anormale, alors c’est la performance de l’ensemble du groupe qui s’en trouve affectée. Y compris celle des valides. D’où la question que se sont posés les physiologistes : Quels mécanismes délétères empêchent les athlètes d’être présents le jour « J », et quelles molécules pourraient minimiser ces mécanismes ? Les travaux publiés ces dernières années pointent plus particulièrement trois types de mécanismes qui, poussés à l’extrême, contribuent à la désadaptation. Il s’agit de l’inflammation, du stress oxydatif et des perturbations de l’écosystème intestinal (voir l’encadré 1). En d’autres termes, les projecteurs se braquent désormais sur les modalités de récupération.

L’approche théorique de ces mécanismes physiologiques s’avère compliquée. En effet, l’inflammation procède des mécanismes de réparation tissulaire, et sa présence à un niveau « physiologique » est bénéfique. A l’inverse si elle s’emballe, elle participe aux blessures. Et la frontière entre les deux est ténue ; ainsi, les chercheurs doivent se confronter en permanence à une situation paradoxale et difficile à gérer. Quant aux influences de l’exercice sur le microbiote et à ses liens avec le stress oxydant il semble encore plus complexe : l’activité modifie l’équilibre de l’écosystème, ce qui peut accentuer le stress oxydant. A l’inverse, certains probiotiques viennent atténuer le stress oxydant en modifiant le dialogue entre l’intestin et les cellules (9). De quoi s’y perdre !

            Toujours est-il que tout ce qui peut permettre d’éviter l’emballement de ces processus, et de réduire le risque d’infection, de blessure ou de méforme, va évidemment s’avérer précieux. Ce constat s’étend bien au-delà des sphères de l’activité physique et c’est dans ce contexte que, depuis une dizaine d’années, plusieurs fruits ont suscité un grand intérêt, notamment la grenade.

DES « EPINUTRIMENTS » :

La grenade n’est pas le fruit le plus facile à manger, ni celui dont le goût reste le meilleur des souvenirs gustatifs. Avec seulement 50% de matière comestible il constitue ce que Coluche appelait un vrai plat de pauvre : il y a plus dans l’assiette après l‘avoir mangé qu’avant. Ses vertus tiennent plus particulièrement à un ingrédient : l’acide ellagique (*).

Son émergence, comme celle des polyphenols, de la curcumine, ou encore du resveratrol, fait entrer la nutrition dans une nouvelle ère, celle des « épinutriments ». Anciennement, les micronutriments « classiques » tels que les vitamines, les minéraux ou les oligo-éléments, se caractérisaient par des actions bien documentées dans notre organisme, qu’il s’agisse d’auxiliaires des enzymes, ou d’éléments structuraux comme le calcium ou le fer. Leurs besoins ont pu être déterminés dans les années 60 et 70, notamment dans le cadre d’études conduites dans des chambres métaboliques où on mesurait très précisément les entrées et les sorties. De ces travaux résulte la notion d’apport journalier recommandé ». Il s’agit de la quantité minimale à ingérer quotidiennement pour que les apports et les pertes s’équilibrent. Ensuite, il s’agissait d’assurer la couverture des besoins quotidiens et d’éviter les déficits.  Avec l’avènement de l’épinutrition a tout changé. Rappelons ce que désigne ce terme. Il s’intéresse à certains ingrédients contenus dans notre assiette, qui possèdent l’aptitude à moduler l’expression de nos gènes. Les élus sont de plus en plus nombreux : citons la curcumine, la quercetine (présente dans l’ail, l’oignon et les pommes), le resveratrol du vin rouge, ou encore l’acide ellagique de la grenade (15). Nul signe de déficit si on en manque, ni aucun chiffre minimal à trouver au quotidien. Rien de tout cela ici. Il n’existe pas, pour eux, d’apport nutritionnel conseillé. Vous aurez beau chercher partout, vous n’en trouverez pas. Avec cette nouvelle génération de nutrition « santé », les actions s’exercent de manière beaucoup plus large. Ils peuvent notamment communiquer avec nos gènes et réparer des erreurs de lecture. C’est le cas du jus de grenade comme on le sait depuis 1988 et des travaux menés en Asie sur l’acide ellagique (8).  Cela fait donc 35 ans qu’on sait qu’il participe à l’épigénèse. Avant même que le concept existât !

Ces dernières années, la grenade ou l’acide ellagique ont fait l’objet d’un nombre croissant d’études, aux données dénuées d’ambiguïté ! Ces travaux ont pu démontrer un effet anti-oxydant (3, 6), anti-inflammatoire (4,7) encore anti-mutagénique (8, 12, 16). On leur reconnaît encore des vertus antifongiques, antiseptiques (13, 15) et de récents travaux ont apporté la démonstration de leur aptitude à modifier les équilibres bactériens de notre intestin (5). Il suffit en effet d’un verre de jus de grenade quotidien pour multiplier par dix l’effectif de certaines populations de bifidobactéries et de lactobacilles, ce qui aura des effets favorables sur l’immunité. Saviez-vous que quand une substance végétale change les effectifs des populations du microbiote, les scientifiques la qualifient de « prébiotique » ?  La grenade fait encore mieux, puisqu’il s’agit du premier aliment à intervenir à la fois comme anti-oxydant et comme prébiotique. On le nomme de ce fait « cobiotique ». De quoi nous embrouiller encore plus.

Le jus de grenade peut par ailleurs freiner des processus qui s’emballent, comme l’inflammation ou le stress oxydant, ce qui en fait logiquement un acteur de premier plan dans la prévention des maladies cardio-vasculaires.  Ainsi, les gènes dont dépend la synthèse de certains messagers de l’inflammation comme l’interleukine 6 ou le TNF alpha, peuvent-ils être réprimés par les constituants du jus de grenade (5). De telles aptitudes semblent alléchantes. Qu’en est-il de l’effet du jus de grenade chez les sportifs ?

(*) : D’où lui vient son nom ? De son découvreur, le chimiste Français Braconnot, qui en 1831 l’a malicieusement nommé « ellagique », en ayant inversé les lettres de « galle ». 

DES EFFETS PARTAGES :

L’équipe sévillanne du Professeur Daniel Roja Ortega, s’attelant d’arrache-pied au sujet, a recensé dans une revue systématique de la littérature, les résultats des travaux consacrés à la grenade (11). Un tel travail est difficile et fastidieux. Il faut en effet trier les études solides de celles qui présentent des imprécisions, des approximations ou des biais. Il faut ensuite observer les protocoles expérimentaux, les durées des supplémentations, voir si les différentes formules testées peuvent être comparées. Enfin, la nature des efforts fournis dans le cadre des expériences, et le choix des volontaires constituent autant de facteurs de confusion. Néanmoins, malgré toutes ces réserves et ces difficultés, plusieurs tendances se dégagent. Le jus de grenade semble exercer un effet favorable à condition que l’apport soit entrepris suffisamment en amont du test, et qu’il soit prolongé au moins huit à dix jours après celui-ci. Il n’a d’effet que lorsque les exercices demandés impliquent une masse musculaire importante. Enfin, il faut que la quantité de polyphénols apportés par les extraits de jus de grenade atteigne au moins 100 mg/j. Dans ce cas, les indices de récupération (fatigue perçue, taux de cytokines pro-inflammatoires, niveau des douleurs survenues après le test), sont significativement améliorés (1, 2). Fort bien.

Mais qu’en est-il alors de son intérêt dans les sports d’endurance, et notamment la course à pied ? Même si aucune étude n’a encore apporté la démonstration de son intérêt, on peut légitimement considérer que cette démarche aurait du sens. Pourquoi ? Parce que dans cette discipline, contrairement au vélo ou à certains exercices d’haltérophilie, il se produit une part de contraction « excentrique », potentiellement susceptible de léser les fibres, notamment lors d’efforts accomplis en descente ou en privation glucidique (10). La difficulté éprouvée par des marathoniens à monter les marches du bus le surlendemain de leur course vient en témoigner. Surtout, la désadaptation et l’augmentation progressive des états inflammatoires et oxydatifs s’observent avec la répétition, au jour le jour, de ces sollicitations. On peut logiquement considérer qu’une cure de jus de grenade sur une période plus longue, lors des phases où l’entraînement atteint ses charges maximales, s’inscrirait dans une logique de prévention des blessures. Et ce qui a du sens pour la course vaut-il aussi pour les sauts ou les lancers, responsables de lésions encore plus violentes au niveau des membres inférieurs ? Sans doute que oui. Mais suggérer que la grenade convient à des efforts explosifs, est-ce vraiment surprenant ?

ENCADRE 1 : Le stress oxydant : ami ou ennemi ?

Dès qu’on respire, a fortiori lors d’une activité musculaire où la consommation d’oxygène est fortement accrue par rapport à la situation de repos, une fraction de l’oxygène consommé par nos tissus échappe aux voies métaboliques habituelles et se trouve engagé dans des réactions « annexes » dites « radicalaires ». Au cours de celles-ci, des molécules potentiellement agressives sont formées. Elles se nomment les « radicaux libres » ou « formes radicalaires oxygénées.  Pour protéger nos cellules et nos tissus de ce danger potentiel, nous disposons de moyens variés qu’on désigne sous l’expression « défense anti-radicalaire ». De fait, nos capacités à gérer le stress oxydatif dépendent à la fois de nos gènes (pour lesquels existe ce qu’on nomme un « polymorphisme ») et de notre alimentation (où nous montrons des modes de fonctionnement très variés). Il dépend également de l’entraînement mis en œuvre. En effet, en habituant le corps à une exposition régulière à ces molécules, il apprend non seulement à mieux y faire face mais il en tire même profit pour améliorer certains processus directement impliqués dans la performance : transport d’oxygène, réparation tissulaire, formation de nouveaux vaisseaux (14).

            Il arrive que la production de radicaux libres dépasse les capacités de défense. Dans ces conditions-là, les radicaux libres proviennent non seulement de la production liée à l’activité, mais aussi des effets directs des perturbations immunitaires, des déséquilibres du microbiote ou encore du stress. On comprend donc que, dans le même contexte d’entraînement, tel athlète subira un stress oxydant à tel autre, simplement parce que le stress, les perturbations immunitaires ou ses choix alimentaires le différencient du précédent.  On comprend donc l’intérêt porté à des molécules susceptibles d’enrayer ce processus dévastateur. Beaucoup de végétaux, notamment ceux qui renferment beaucoup de polyphénols, possèdent cette capacité intrinsèque à neutraliser les radicaux libres. La grenade et la cerise de burlat figurent parmi les mieux dotées, d’où l’intérêt croissant qu’on leur porte ces dernières années (15, 17).

BIBLIOGRAPHIE :

(1)    :Ammar A, Turki M & Coll (2020) : J.Int.Soc.Sports Nutr.

(2)    :Ammar A, Turki M (2016) : PlosOne.

(3)    :Baek B, Lee S (2016) : The Korean Journal of Physiology & Pharmacology.

(4)    :Bensaad LA, Kim KH (2017) : BMC Complementary and Alternative Medicine, vol. 17, no. 1.

(5)    :Bialonska D, Ramnani P (2010) : International Journal of Food Microbiology.

(6)    :Devipriha N, Srinivasan N (2007) : Singapore Medical Journal, vol. 48, no 1.

(7)    :Dornelles GL, De Oliviera DS (2020) : Neurochemical Research, vol. 45, no. 10.

(8)    :Hayatsu H, Arimoto S (1988) : Mutation Research, vol. 202, no. 2.

(9)    :Michalikova D & Coll (2018) : Journal of Human Kinetics, 64.

(10)           :Noakes (2008) : « Lore of running ». Capetown Univ.Press

(11)           :Ortega DR, Lopez AM (2021) : Biology of Sports, 38 (1).

(12)           :Ramadan DT, Ali MAM (2019) : Anti-Cancer Agents in Medicinal Chemistry, vol. 19, no. 12.

(13)           :Rhatinam M, König S (2018) : Infection and drug resistance, 11 : 2357-62

(14)           :Riché (2022) : Epinutrition du sportif », DeBoeck Supérieur Ed.

(15)           :Sharifi Rad J, Quispe C (2022) : Oxidative Medicine and Cellular Longevity.

(16)           :Zahim M, Ahmad R (2014) : BioMed Research International, vol. 201.

(17)           :Zarleshany A, Asgary S & Coll (2014) : Advanced Biomedical Research.

Denis Riché

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